On en parlait depuis longtemps, certains l’espéraient, d’autres le redoutaient : le livre de Pascal Delwit sur le PTB est sorti de presse fin mars (1).
Au nom de la Science
Publié avec le soutien de la faculté des Sciences Sociales et Politiques de l’ULB, ce gros ouvrage (380 pages) se donne à voir comme un travail de vulgarisation « scientifique », au-dessus de la mêlée des partis.
Cependant, si l’auteur est rigoureux dans l’exposé des faits historiques, il est évident que son choix de publier ce livre à deux mois des élections n’est pas motivé uniquement par sa curiosité de chercheur mais aussi par sa volonté de souligner les avantages du « vote utile » à gauche.
Sur le plan de la forme, on pourrait résumer les choses en disant du politologue ULBiste qu’il cherche… le PTB… scientifiquement. Les attaques sont peu nombreuses mais vachardes, surtout vers la fin de l’ouvrage: le « populisme » du PTB est « rampant », son image est « formatée », le juge Christian Panier est « porteur tout à la fois de la naïveté et du zèle du converti »…
De l’Histoire…
Mais venons-en au contenu. Delwit se mue en historien pour rappeler où, quand et comment le PTB est né et ce qu’il a été : un parti « mao-stalinien », aligné sur la politique de Pékin au point de considérer le « social-impérialisme soviétique» comme l’ennemi principal, Cuba comme le poste avancé de cet impérialisme, Che Guevara comme le dirigeant de sa « cinquième colonne » et les Khmers rouges comme des héros révolutionnaires…
Il va de soi que ce rappel est désagréable pour les cadres qui ont assumé les zig-zag du PTB et cherchent aujourd’hui à effacer les traces de ce passé. Quant aux nouveaux membres, nombreux sont ceux qui lisent cette prose avec incrédulité. A ceux-là, nous sommes bien obligés de dire que Delwit n’invente rien et qu’il aurait pu en dire davantage. C’est troublant, mais «seule la vérité est révolutionnaire », disait Rosa Luxembourg.
… à la politique
Cependant, étant donné l’évolution du PTB, la question qui se pose est : à quoi sert-il de remuer tout cela? Autrement dit : en quoi l’histoire du PTB aide-t-elle – ou pas – à comprendre ce qu’il est aujourd’hui, ce qu’il fait, ses succès et ses contradictions, ses évolutions possibles et les facteurs susceptibles de l’influencer?
Vu l’importance que le PTB a acquise sur le champ politique, le lecteur est en droit d’attendre des réponses. Le livre n’en donne guère. Paradoxalement, le travail de Delwit comme historien est intéressant, mais son apport en tant que politologue est maigre !
Cette pauvreté politique ne tombe pas du ciel, elle est le produit de la thèse que l’auteur s’acharne à démontrer tout au long de son ouvrage.
Pour Delwit, en effet, le changement du PTB ne serait rien d’autre qu’une ruse habile. Une manoeuvre cosmétique, une manipulation, un attrape-nigauds : « Pour l’essentiel, lit-on, nous sommes dans un registre de forme ».
C’est la métaphore de la cuisine et de la salle de restaurant : vers l’extérieur (la salle de restaurant), le PTB se présente comme « un gentil parti social-démocrate réformateur», alors qu’en interne (la cuisine), il « ne cache nullement son essence marxiste-léniniste »… Celle-ci, pour Delwit, est évidemment synonyme de stalinisme.
Un manichéisme stérile
Cette vision manichéenne des choses empêche l’auteur de saisir les facteurs qui ont mis le PTB en mouvement et qui continuent à le faire bouger en profondeur, au fil des problèmes auxquels il est confronté dans le cadre de sa percée.
En conclusion de son ouvrage, le politologue ne distingue que deux voies possibles pour le PTB : soit « il demeure ce qu’il est : un parti marxiste-léniniste, aspirant à la révolution socialiste, qui interviendra dans des dizaines d’années, au terme d’un très long combat » ; « soit il sort de cette posture et emprunte la très périlleuse voie d’une formation de gauche radicale, acceptant éventuellement l’épreuve du pouvoir et les immanquables déceptions afférentes ».
Prisonnier de sa thèse du changement cosmétique, Delwit décrète qu’il est « peu probable que le PTB se résolve aisément à ce deuxième pan de l’alternative ». Du coup, le livre s’achève en fait là où la véritable analyse devrait commencer.
Pour être féconde, celle-ci devrait consister à examiner la dialectique entre « la salle de restaurant » et « la cuisine » afin de pointer les défis qui pourraient se poser aux cuisiniers et de discuter leur capacité de les relever.
Des questions ouvertes
Un des moteurs de cette dialectique est la polarisation entre la gauche et la droite syndicales. L’appel au rassemblement anticapitaliste lancé par la FGTB de Charleroi le Premier Mai 2012 interpelle les organisations de gauche, en particulier le PTB. L’enjeu est considérable. Charleroi n’est que le sommet de l’iceberg, face auquel le PS tâche de défendre sa base sociale avec l’aide de ses amis dans la FGTB. Comment le PTB gèrera-t-il cette situation, lui qui se présente comme le relais politique du mouvement syndical dans son ensemble, toutes tendances confondues ? Pascal Delwit ne pose même pas la question.
Un autre moteur est la question écologique. Elle ne figurait pas au menu à l’époque de Ludo Martens. Il suffit de jeter un œil sur le programme du PTB pour constater que les choses ont bien changé. Certaines des réponses apportées sont sans doute discutables, mais parler d’un simple changement de forme est ridicule, car la « crise » environnementale lance des défis qui ébranlent la vision stalinienne de la « domination sur la nature » et du « développement des forces productives ». Pascal Delwit feint de l’ignorer.
On pourrait multiplier les exemples, s’interroger notamment sur la manière dont le PTB relèvera – ou pas- les défis posés par les luttes féministes et LGBT. Ici aussi, des questions de fond sont soulevées : la différence entre exploitation et oppression, les rapports entre classes et couches sociales, la famille bourgeoise comme institution, etc. Pascal Delwit ne les mentionne pas.
Combats d’arrière-garde
Confrontés aux demandes émanant de la « salle de restaurant», il est inévitable que les membres du PTB approfondissent des débats stratégiques. Delwit ne les voit pas. Quand Herwig Lerouge, dans Etudes marxistes, condamne les formations de gauche qui entrent au gouvernement, le politologue y voit la preuve que la direction du PTB est un bloc dogmatique qui manipule ses troupes. En réalité, l’explication pourrait être plus subtile. Sinon, pourquoi Lerouge, dans cet article, tenterait-il de concilier la ligne du « gouvernement des travailleurs » (qui implique une rupture anticapitaliste) et celle du « front populaire » (qui implique la collaboration gouvernementale avec la bourgeoisie « démocratique »)?…
« Le fond trouve sa forme », disait Aristote. Obnubilé par sa volonté politique de démontrer que rien n’a changé depuis Ludo Martens, Delwit veut croire et nous faire croire qu’un parti pourrait changer complètement sa forme extérieure sans que rien ne bouge fondamentalement à l’intérieur. Cette thèse est manifestement absurde.
Aidé en cela par l’ouverture (le « GO! »), le PTB a le mérite mettre les vrais problèmes des 99% au centre de la campagne électorale : la justice fiscale, la justice sociale, l’emploi, la justice de classe, le climat,… Beaucoup de ses membres font un travail remarquable, notamment sur le front de la santé. L’ambiance qui règne dans ses activités est chaleureuse, fraternelle et sans tabous…
La tentative de Delwit de jeter sur tout cela un soupçon de manipulation stalinienne est en porte-à-faux par rapport à la réalité. C’est pourquoi son livre n’a pas dans cette campagne électorale l’impact que certains espéraient, au Boulevard de l’Empereur notamment. C’est un pétard mouillé.
Les gens et les groupes de gauche qui se servent de cet ouvrage pour diaboliser le PTB commettent une erreur et mènent de vains combats d’arrière-garde.
A la LCR, nous partons du constat que les membres et les cadres du PTB sont des gens intelligents et qui pensent. Aux polémiques historiques nous préférons l’action commune et le débat sur les défis à relever pour faire émerger la force anticapitaliste dont les travailleurs et les travailleuses ont besoin.
(1) Pascal Delwit, PTB Nouvelle gauche, vieille recette, Ed. Luc Pire, 2014