À Gand, la ville de Flandre qui la première connut un essor industriel, il y a un bistrot qui porte le nom « Le Progrès ». Il se trouve sur le marché aux grains, aujourd’hui Korenmarkt, en face de l’ancien bâtiment de la poste en style néogothique. On y mange fort bien. Il vous offre une cuisine bourgeoise de qualité et j’ai tout lieu de croire que ce bistrot était jadis un point de rencontre de la bourgeoisie libérale gantoise, francophone bien entendu. Son nom s’accorde parfaitement avec l’idéologie du progrès née au siècle des Lumières et reprise par la bourgeoisie optimiste du 19e siècle. Grâce au développement industriel, à la concentration du capital et de l’accumulation des marchandises, la misère disparaîtra et le peuple connaîtra dans un futur proche, mais après avoir été impitoyablement exploité, une vie heureuse et saine. On appelait Gand, centre d’une industrie textile de grande envergure, la Manchester du continent. Des grandes fortunes s’y accumulèrent et firent de leurs propriétaires des barons. Le démocrate radical Jottrand et le communiste Marx y fondèrent en 1848 une section de l’Association démocratique et c’est dans cette ville que naquit en 1885 le premier parti socialiste ouvrier belge, le Belgische Socialistische Arbeiderspartij.
L’ idéologie bourgeoise du progrès était reprise par le monde artistique. Jules Verne en était un fervent partisan. Mais cela est une autre histoire. Les socialistes aussi partageaient l’idée du progrès par le développement industriel. Les forces de production allaient par leur développement entrer en contradiction avec le mode de production capitaliste et à ce moment une classe ouvrière massive sera prête pour briser le régime bourgeois et instaurer le socialisme. On peut se poser la question aujourd’hui si ce n’est pas la contradiction entre la sauvegarde écologique de la planète et le mode de production capitaliste qui est devenue la question cruciale.
Mais depuis lors le développement industriel et technologique a servi à faire la guerre, d’assassiner des millions de humains en utilisant le gaz et autres techniques, comme la bombe atomique. Beaucoup aujourd’hui ne croient plus que la technologie industrielle mène au bonheur. L’accident nucléaire de Tchernobyl et récemment celui de Fukushima a porté des coups (mais pas assez, malheureusement) à l’idée que l’énergie nucléaire est propre en contrôlable. La bourgeoisie elle-même ne croit plus au progrès. Elle ne s’intéresse qu’aux profits qu’elle peut tirer de ses capitaux et affiche un cynisme révoltant par rapports aux conséquences de la production capitaliste avec son énorme gaspillage, avec les dangers du changement climatique et la destruction écologique de la planète.
Certains, confrontés à un mouvement ouvrier dont les organisations politiques sont devenues les succursales sociales-libérales du capital, rejettent l’espoir socialiste dans un monde où la technologie semble régner. Beaucoup, surtout dans le monde des penseurs, affichent un pessimisme concernant l’avenir. Le postmodernisme et sa subjectivité en sont une expression. Mais il faut bien comprendre ce que nous concevons comme progrès. Il n’y a qu’un seul progrès qui compte selon l’humanisme socialiste : c’est le bonheur des gens. Cela nécessité un certain niveau de production et d’utilisation de la technologie, mais nullement le gaspillage qui caractérise l’industrie actuelle, qui n’est que de la production pour le profit.
(La semaine prochaine : La nation comme culture)
image: usine Foxconn