Ce samedi 13 juin, le PTB tenait la dernière session, publique, de son neuvième congrès. En réalité, il s’agissait d’un évènement médiatique, pas d’une ouverture sur les travaux du congrès, terminés plusieurs semaines auparavant (et sur lesquels nous reviendrons prochainement). Par ce show, le PTB entendait surtout consolider son image médiatique de parti bien établi sur le champ politique. L’image d’un parti de gauche qui a rompu avec son passé stalinien et soutient la résistance sociale. L’image d’un « vrai » parti, avec un bureau d’étude, des congrès-spectacle, des milliers d’adhérent-e-s et des élus à différents niveaux.
Ce congrès se tenait à la fin d’une année de mobilisations sociales et un an après les élections du 25 mai 2014 où le PTB réussissait à franchir le seuil des assemblées représentatives. Une percée qui récompensait quarante années d’efforts des militants anciens, confirmait l’engagement des nouveaux et encourageait la direction à poursuivre dans la ligne du « renouveau » adoptée au congrès précédent, en 2008.
Syriza sur Escaut ?
Sur le plan international aussi cette année a été importante. Le premier anniversaire du 25 mai 2014 coïncidait avec le succès de Podemos. Quelques mois plus tôt, Syriza avait gagné les élections, formé un gouvernement et entamé son bras de fer avec la troïka. Le PTB a tenté d’accrocher son wagon à ces deux locomotives. Dans le cas de la Grèce, il dut pour cela larguer les communistes anti-Syriza du KKE, qu’il soutenait pourtant contre vents et marées…
Peter Mertens et Raoul Hedebouw disent en substance que leur parti est à la fois « Syriza sur Escaut » et « Podemos sur Meuse ». Mais ils ne disent rien du fonctionnement de ces formations et du débat stratégique en leur sein. Ce qui compte pour le PTB, c’est de s’identifier à ces partis en termes d’image. En même temps, mais plus discrètement, il maintient son soutien aux bureaucrates chinois qui ont écrasé le mouvement de Tien Anmen… puis rétabli le capitalisme… au nom du communisme. Le manque de cohérence est évident (pour ne pas dire l’opportunisme)…
Vous avez dit GO ?
Ce même manque de cohérence se retrouve aussi sur la scène intérieure, fût-ce à une toute autre échelle. En effet, en même temps qu’il se réclamait à grand bruit de Syriza, qui est un regroupement, le PTB achevait d’enterrer le début de regroupement que constituaient les listes PTB-Gauche d’Ouverture (GO).
Pour rappel, ces listes combinaient trois ingrédients : l’alliance PTB-LCR-PC, le soutien engagé d’intellectuels et d’artistes, et l’appui de secteurs de gauche du mouvement syndical. Quoiqu’imparfaite, cette GO avait été saluée par la FGTB de Charleroi comme « un premier pas » dans le sens de son appel du Premier Mai 2012 à une alternative anticapitaliste à gauche du PS et d’ECOLO.
A Liège, Raoul Hedebouw aurait été élu sur une liste du seul PTB, mais Marco Van Hees ne siégerait pas à la Chambre pour le Hainaut s’il n’y avait pas eu la GO. Quant à Bruxelles, c’est sans doute la région où le soutien des personnalités de la gauche intellectuelle a eu le plus d’impact.
Combattre le rassemblement au nom du rassemblement
Pourquoi le PTB a-t-il lâché la GO ? Pourquoi fait-il comme si elle n’avait jamais existé et ne devait plus jamais exister? La question mérite d’être posée. En effet, au Nord du pays, Peter Mertens a raté son siège de si peu qu’il aurait à coup sûr suffi d’une GO « à la flamande » pour qu’il soit élu. Cette conclusion crevait les yeux dès le lendemain des élections mais le PTB l’a occultée. Etes-vous donc si sûr de réussir en 2019 là où vous avez échoué en 2014, camarades ?
Les dirigeants du PTB ont dit que la fin de la GO s’imposait face au nouveau gouvernement de droite. « Il faut quelque chose de beaucoup plus large », ont-ils affirmé. En réalité, la décision d’enterrer GO était prise bien avant la formation du gouvernement Michel. Dès le 25 mai au soir, la messe était dite. Le plaidoyer pour un rassemblement « plus large » a servi à liquider une première ébauche de rassemblement. On a « combattu le drapeau rouge au nom du drapeau rouge », comme disait Mao Zedong. Les ex-maoïstes du PTB connaissent leurs classiques…
Membres fâchés, syndicalistes trompés
Pourquoi le PTB a-t-il lâché la GO ? La question mérite d’autant plus d’être posée que cela lui a coûté assez cher. A l’interne, les affilié-e-s appréciaient que leur parti agisse comme un rassembleur. La direction a posé le fait accompli du « stop ». D’une manière plus générale, d’ailleurs, le fonctionnement très verticaliste du PTB crée un malaise et amène des membres à quitter le parti.
A l’externe, c’est peu dire que l’affaire a été mal perçue. Les électeurs qui avaient voté pour un rassemblement de la gauche se sont sentis floués. La gauche syndicale qui avait rendu la GO possible n’a pas apprécié d’être pour ainsi dire renvoyée à ses casseroles – ou plutôt à ses conventions collectives.
Début novembre 2014, Daniel Piron déclarait dans une interview : « Nous avons appelé à un rassemblement le plus large possible à gauche du PS et d’Ecolo et nous continuons à le faire. Il ne faut pas de retour en arrière. Le PTB-GO qui devient PTB, ça ne va pas » (1). Lors d’un débat public avec R. Hedebouw, en décembre chez les métallos FGTB de Tournai, une responsable syndicale a dit son sentiment d’avoir été « trompée » (2). Au cours d’une assemblée interprofessionnelle de la FGTB carolo, un délégué a parlé de « trahison » du PTB. Il a été applaudi…
Une autre orientation
« Pourquoi le PTB a-t-il lâché la GO ? » La question mérite d’être posée à nouveau dans le contexte des percées de Syriza et Podemos. Le PTB tourne en dérision les fronts entre organisations, mais la comparaison avec la Grèce, surtout, montre que ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
De quoi s’agit-il alors ? Du fait que le PTB aurait pu, à partir de la GO, poser les jalons d’un Syriza à la belge : un regroupement catalysé par l’intervention de la gauche syndicale dans le champ politique. Un regroupement alternatif à la social-démocratie et aux « piliers ». Un regroupement qui se pose comme candidat au (changement du) pouvoir pour en finir avec l’austérité. Un regroupement militant où le PTB aurait joué un rôle majeur –comme Synaspismos au sein de Syriza – mais où chacun aurait été amené à composer, dans l’intérêt du mouvement social.
Lors du rassemblement co-organisé à la Géode en avril 2013 par la FGTB de Charleroi, la CNE et le comité unitaire de soutien à l’appel du premier mai 2012, on a senti que c’était possible (3). Il n’est pas trop tard pour reprendre ce chemin, mais les déclarations et les actes du PTB depuis un an indiquent clairement qu’il a choisi une autre orientation.
Depuis un an, le PTB ne parle plus tant d’alternative à gauche du PS et d’Ecolo que de « front populaire » avec le PS et Ecolo (4). Depuis un an, son soutien à l’appel de la FGTB de Charleroi a été remplacé par un soutien acritique aux stratégies de concertation de Marc Goblet et de Marc Leemans. Depuis un an, il se positionne dans le système belge comme un nouvel ami politique des syndicats – un ami parmi d’autres, qui défend la concertation comme les autres et qui, comme les autres, feint de ne pas s’y immiscer. Depuis un an, il parle de moins en moins de « changer de société » et de plus en plus de « transformer notre société » (5)…
Le fond de la question
Dans l’interview citée plus haut, Daniel Piron déclarait : « La Gauche d’Ouverture a créé un début de dynamique. Beaucoup de nos militants ont été enthousiastes. La question n’est pas de mettre des sigles les uns à côté des autres mais de maintenir cette dynamique, branchée sur ce qui bouge dans les syndicats, et de l’élargir si possible. Sans cela, on ne concurrencera pas le PS. Si le PTB s’imagine qu’il va se substituer au PS il se fait des illusions. D’ailleurs ce ne serait pas une solution car ça reproduirait des relations parti-syndicat du genre ‘eux c’est eux, nous c’est nous’ ».
C’est le fond de la question. La domination bourgeoise en Belgique repose notamment sur le partage des rôles entre les directions syndicales et leurs relais politiques. L’énorme puissance du syndicalisme permettrait d’imposer un programme anticapitaliste, mais la bureaucratie n’en veut pas. Au nom d’une fausse conception de l’indépendance syndicale, elle se contente de négocier des miettes. En même temps, dans la coulisse, loin du regard des affilié-e-s, elle se concerte avec ses amis sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens sur leur politique du « moindre mal ».
Emancipation et parti
La FGTB de Charleroi a eu le grand mérite d’aller à l’encontre de cette conception (6). De manière simple et audacieuse, elle a mis en pratique deux grands principes de la gauche : 1°) l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; 2°) la lutte économique du monde du travail commande sa lutte politique, avec laquelle elle forme un tout. Or, ces deux principes entrent en contradiction avec un troisième, auquel le PTB est très attaché : « le parti dirige le front ». Et ce « principe » – qui n’en est pas un : c’est un dogme- implique notamment… que « le parti dirige le syndicat ».
Un an et quelques semaines après le 25 mai 2014, nous ne regrettons pas d’avoir contribué à l’élection de représentants qui, bien que nous ne soyons pas d’accord avec eux sur tout, font un bon travail de dénonciation de l’injustice.
Mais les réponses à certaines questions sont plus claires aujourd’hui. Pourquoi le PTB a-t-il accepté l’expérience GO? Parce que c’était la condition pour que la sympathie soulevée par l’appel de la FGTB de Charleroi bénéficie à ses candidat-e-s. Pourquoi l’a-t-il enterrée tout de suite après ? Parce que cet appel était contradictoire avec son projet. Pourquoi s’énerve-t-il quand on aborde la question ? Parce que les aspirations qui étaient à la base de cet appel restent vivantes. La crise du syndicalisme de concertation les nourrit, les expériences du Sud de l’Europe aussi.
Le fantôme de la Gauche d’Ouverture pourrait resurgir un jour, sous ce nom ou sous un autre. Il faut espérer que le PTB ne l’enterrera pas une deuxième fois et qu’il en saisira l’importance avec plus de sincérité qu’hier. Sa force accrue ne fait qu’accroître sa responsabilité.
- http://www.lcr-lagauche.org/daniel-piron-ftgb-charleroi-si-le-syndicat-se-limite-a-son-core-business-il-passe-a-cote-de-sa-mission-fondamentale/
- http://www.lcr-lagauche.org/le-ptb-tourne-la-page-du-go-un-rendez-vous-rate-quand-meme/
- http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?view=article&id=2864:qdebatssyndicats-faire-blogq&option=com_content&Itemid=53
- Pour le PTB comme pour nous, l’expression « front populaire » renvoie à une expérience historique précise. http://www.lcr-lagauche.org/mythes-et-realites-des-front-populaires/
- Peter Mertens a même cru bon de dénoncer le fait que l’austérité… nuit à la rentabilité des entreprises qui produisent pour le marché intérieur ! http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/opinieblog/opinie/1.2351947
- Voir en particulier la brochure « Huit questions sur l’indépendance syndicale et la politique » http://www.lcr-lagauche.org/d/8-questions-web.pdf