La LCR a fait un choix résolu pour le rassemblement PTB-GO! il y a un an. Ce choix était principalement animé par la nécessité d’avancer vers la concrétisation du processus, historique, lancé par la FGTB de Charleroi vers un rassemblement des forces à gauche du PS et d’Ecolo. Toutefois, dès le lendemain des élections du 25 mai, les premières inquiétudes ont commencé à se faire sentir parmi les soutiens et les composantes de ce rassemblement. Le PTB allait-il simplement écarter l’option de la Gauche d’ouverture, ce nom qui symbolisait un pas en avant majeur dans l’histoire de la gauche radicale belge ? La LCR a cherché depuis lors à maintenir le contact avec les camarades du PTB. Nous avons développé notre bilan et notre philosophie pour la suite dans la brochure « PTB-GO, Stop ou encore ? », dans laquelle nous expliquions notre choix résolu pour consolider le rassemblement politique, en partant des acquis significatifs de la campagne PTB-GO!. Nous avons cherché aussi à engager un débat constructif sur des positions politiques, tactiques et stratégiques. Le sentiment que le PTB tournait la page de la Gauche d’ouverture, sans faire de bruit, s’est cependant affirmé au fil des mois et malgré nos tentatives de donner suite à l’expérience.
Le 5 décembre 2014, les métallos FGTB du Hainaut occidental (MWB) organisaient une conférence publique sur le thème « Résistance et mobilisation ». A la tribune : Jean-François Tamellini (Secrétaire national de la FGTB), Antonio Cocciolo (Président de la MWB Hainaut-Namur) et Raoul Hedebouw, député du PTB-GO!.
Tournai, décembre 2014, des syndicalistes interpellent le PTB
Les discours et le débat portèrent avant tout sur la lutte en cours contre l’austérité. Cependant, dans sa présentation de la soirée, le secrétaire régional MWB, Robert Sénéchal, qui présidait les travaux, interpella Raoul Hedebouw sur la disparition du « GO! » (Gauche d’Ouverture). Il le fit courtoisement et de façon constructive, mais fermement, au nom de l’investissement de son syndicat dans la campagne PTB-GO! et de son attachement au rassemblement de la gauche. La victoire électorale du 25 mai appartient à toutes celles et ceux qui l’ont rendue possible, dit-il en substance.
Lors du débat qui suivit les discours à la tribune, quelques syndicalistes exprimèrent leur insatisfaction face aux réponses de Raoul Hedebouw à cette interpellation. Un délégué métallo de Charleroi, Freddy Visconti, dit craindre une évolution « social-démocrate » du PTB. Sandra Goret fit part de son sentiment d’avoir été « trompée » lors de la campagne. « Et je crois que je ne suis pas la seule », ajouta-t-elle (1).
Ces échanges étaient empreints d’un esprit de camaraderie responsable, d’autant plus nécessaire que l’essentiel de la soirée portait sur la lutte commune contre l’austérité. N’empêche que ce qui a été dit ce soir-là sur la disparition de la « Gauche d’Ouverture » est important. Cela soulève des questions sur l’éthique politique du PTB mais aussi sur l’évolution de sa stratégie. On continuera certainement à en débattre dans les mois qui viennent, et pas seulement chez les métallos tournaisiens…
Chronologie des événements qui ont mené à l’émergence du PTB-GO!
Avant de préciser ces questions, un petit retour en arrière s’impose. Pour comprendre pourquoi la MWB du Hainaut occidental a jugé important d’organiser cette conférence le 5 décembre 2014, il faut en effet remonter au Premier Mai 2012.
Ce jour-là, on s’en souvient, la FGTB de Charleroi, par la bouche de Daniel Piron, appelait à rassembler largement les forces de gauche sur une base anticapitaliste, à gauche de la ligne social-libérale du PS et d’Ecolo.
Ce n’étaient pas des mots en l’air. En janvier 2013, le syndicat invitait les organisations de gauche à se regrouper dans le cadre d’un comité de soutien à cet appel. La CNE du Hainaut s’y joignait et ce rassemblement débouchait sur l’exceptionnelle journée de débat que la FGTB carolo et la CNE co-organisèrent à la Géode, en avril 2013.
En parallèle, les instances de la FGTB du Pays noir sortaient deux brochures importantes. La première expliquait que l’indépendance syndicale ne signifie pas l’apolitisme, que le syndicat peut légitimement œuvrer à une alternative politique répondant aux besoins de ses affilié/es. La seconde présentait un plan d’urgence anticapitaliste en dix objectifs, première ébauche de cette alternative à mettre en œuvre.
Les élections étant proches, la question se posa rapidement au sein du comité de soutien: comment commencer à progresser vers une alternative électorale crédible à gauche du PS et d’ECOLO ? Plusieurs positions s’exprimèrent.
A la LCR, nous estimions que le début de percée du PTB aux communales changeait les termes du débat sur la recomposition de la gauche. Nous avons donc invité le PTB à favoriser un rassemblement autour de son sigle, afin d’élargir la brèche dans l’hégémonie du PS. L’enjeu, selon nous, était que l’appel de Charleroi reçoive au moins un début de réponse dans la campagne.
A ce point de la discussion, les syndicalistes estimèrent qu’ils avaient fait leur job et qu’il revenait dorénavant aux partis de se mettre d’accord sur la forme d’un rassemblement électoral.
Il faut dire que le front syndical s’était un peu fissuré entre-temps. Le secrétaire du SETCa de Charleroi, appuyé par des syndicalistes proches du PS, avait mis les autres centrales FGTB devant le choix : ou bien la CNE quitte le navire, ou bien le SETCA claque la porte. La CNE dut donc se retirer, hélas. Ce fut un coup dur porté à une dynamique qui faisait passer la cause du monde du travail avant celle des piliers et de leurs appareils…
Le PTB et la LCR ont embrayé sur l’appel des syndicalistes
Entre-temps, le PTB avait pris contact avec la LCR et une première rencontre eut lieu au début de l’été 2013. Surprise positive : Raoul Hedebouw fit savoir que, en réponse à l’appel de Charleroi, son parti était favorable à un rassemblement qui s’appellerait « PTB-quelque chose », incluant la LCR et, si possible, le PC.
Nous avons défendu l’idée d’accueillir aussi d’autres forces, mais le PTB a posé une exclusive à l’égard du PSL. La « Lettre ouverte du PSL au PTB », que le PSL avait cru bon de diffuser publiquement quelques semaines plus tôt, ne facilitait pas les choses. Quand on veut vraiment aboutir à un front, on procède autrement.
Toujours est-il qu’on décida que des représentants de la LCR et du PTB prendraient contact avec des personnalités indépendantes et avec des syndicalistes, afin de former un comité de soutien à l’initiative. Ces contacts s’étalèrent jusqu’à la fin de l’année, dans un bon climat de collaboration.
Vers la fin de 2013, le PC se prononça en faveur de ce qui était en train de devenir le projet « PTB-Gauche d’Ouverture ». Fin janvier 2014, ce nom était fixé et un appel signé par une quinzaine de personnalités était rendu public à la faveur d’une conférence de presse, le 27 janvier. Outre Raoul Hedebouw, des représentants de la LCR et du PC prirent la parole, de même que plusieurs membres du comité de soutien.
Il faut savoir que, quelques jours auparavant, Raoul Hedebouw (PTB), Daniel Tanuro (LCR) et un représentant du PC avaient été reçus ensemble, à leur demande, par le comité permanent de la FGTB de Charleroi. Ils expliquèrent le sens de leur accord aux secrétaires des centrales syndicales, en le situant résolument dans le prolongement de l’appel de 2012. En conclusion, ils formulèrent l’espoir que la FGTB de Charleroi prendrait position publiquement lors de la conférence de presse.
Le lancement de PTB-GO! et l’envolée des sondages
Et ce fut le cas. Suite à un débat interne, le Comité permanent décida en effet de participer – au complet ! – à la rencontre avec les journalistes. Au cours de celle-ci, le président de la régionale, Carlo Briscolini, expliqua clairement le sens de sa présence et de celle de ses camarades : « Nous avons appelé à un rassemblement politique à gauche du PS et d’ECOLO, dit-il en substance. Nous savons que c’est une œuvre de longue haleine, elle ne fait que commencer et nous sommes ici pour nous réjouir car l’accord PTB-GO! est un premier pas dans cette direction. »
Interrogé en direct par la télévision, le secrétaire régional, Daniel Piron, fit la même déclaration. Il précisa en outre, en réponse au journaliste (qui persistait à ne pas comprendre !): « Nous ne sommes pas dans une opération de soutien au PTB, et nous espérons qu’il y aura d’autres pas en avant après celui-ci, car il y a encore d’autres composantes dans la gauche de la gauche ».
Cette prise de position syndicale était un évènement, au sens fort du terme : rompant avec l’apolitisme qui, sous prétexte d’indépendance, fait le jeu de la social-démocratie, une partie de la gauche syndicale, à la veille d’élections importantes, se prononçait ouvertement en faveur d’une recomposition politique de la gauche, sous la forme d’un rassemblement pluraliste et ouvert autour du PTB. On n’avait encore jamais rien vu de pareil dans notre pays.
Le rassemblement de la LCR et du PC autour du PTB, le soutien des personnalités et la prise de position des carolos de la FGTB donnèrent un énorme retentissement à la conférence de presse. Cela favorisa un véritable bond en avant dans les sondages : en février 2014, les intentions de vote en faveur du PTB-GO! étaient environ deux fois plus importantes que les intentions de vote en faveur du PTB au cours des mois précédents (voir le tableau).
Sondages La Libre/RTBF. Intentions de vote en faveur du PTB+ et du PTB-GO | ||||
Régions | Mai 2013 (PTB) | Sept. 2013 (PTB) | Nov. 2013 (PTB) | Fév. 2014 (PTB-GO!) |
Bruxelles | 2,4 | 3,2 | 2,3 | 6,5 |
Wallonie | 4,7 | 3,7 | 4,1 | 7,6 |
Ce bond en avant n’était pas qu’un phénomène médiatique : il traduisait le fait que les trois facteurs mentionnés ci-dessus (le rassemblement, les personnalités et les syndicalistes) créaient l’image d’un début d’alternative crédible, et contraient de ce fait la pression pour le « vote utile » en faveur du PS.
Les réactions dans la FGTB
Inutile de dire que le Boulevard de l’Empereur suivait la chose avec beaucoup d’attention : être contesté politiquement par une partie de la direction de la FGTB, voilà qui constitue une menace très sérieuse pour la social-démocratie belge.
Cependant, à l’intérieur du mouvement syndical, c’est peu dire que la prise de position de Charleroi suscitait des oppositions. Le Premier Mai 2014, la secrétaire générale de la FGTB, Anne Demelenne, appela à ne pas diviser la gauche. Marc Goblet, qui présidait la FGTB liégeoise à l’époque, soutint ouvertement le PS – son parti.
La tension interne au syndicat se manifestait aussi à Charleroi : certains faisaient circuler des rumeurs sans fondement contre Daniel Piron ; le premier mai 2014, le secrétaire régional du SETCA tirait prétexte du discours – remarquable – du représentant des jeunes FGTB pour se démarquer publiquement du reste de la régionale. De toute évidence, l’exclusion de la CNE ne lui avait pas suffi…
Au plus on approchait des élections, au plus le PS et la droite syndicale augmentaient leur pression sur la gauche. Certains y ont cédé, mais d’autres ont eu le cran de défendre leurs convictions jusqu’au bout, à contre-courant.
La gauche syndicale tient bon, à contre-courant
Sandra Goret, qui a déclaré, lors du débat tournaisien, « avoir été trompée » est de celles et ceux qui ont tenu bon. Invitée à prendre la parole lors d’un souper électoral du PTB de Mons-Borinage, en mars 2014, la Secrétaire régionale de la FGTB locale avait salué à titre personnel le PTB-GO! et demandé l’assurance que la dynamique de rassemblement continuerait au-delà du scrutin. Intervenant juste après elle, Marco Van Hees ne la contredit point…
Au niveau des instances, une des positions les plus à gauche était occupée par la fédération MWB Hainaut-Namur : quelques jours avant le 25 mai, elle sortait un appel à voter pour « la vraie gauche anticapitaliste porteuse d’espoir pour le monde du travail ».
L’initiative du débat à Tournai le 5 décembre s’éclaire davantage encore quand on sait que la section MWB du Hainaut occidental était allée un cran plus loin que le reste de la fédération Hainaut-Namur. Au terme d’un débat de fond sur base de l’appel de Charleroi, cette section avait en effet décidé d’appuyer carrément les listes PTB-GO!
Mandaté par ses délégués, le secrétaire régional, Robert Sénéchal, mit donc ses locaux à disposition des réunions du PTB-GO! (avec la LCR et le PC), organisa une conférence de presse, convainquit des militants d’être candidats, invita Raoul Hedebouw à un débat contradictoire avec une parlementaire du PS, puis à un meeting électoral avec des représentants du PC et de la LCR… Cette activité contribua à doubler les intentions de vote pour le PTB-GO! dans la région.
Les syndicalistes le savent : iI n’est pas évident d’assumer ce genre de position politique au sein de la structure. Or, il ne faut pas perdre de vue que cet engagement se faisait dans l’esprit de Charleroi : « un premier pas vers le rassemblement des forces sur une base anticapitaliste, à gauche du PS et d’Ecolo ». Le fait que la PTB ne parle plus de la Gauche d’Ouverture depuis le 25 mai au soir tend donc à mettre en porte-à-faux des syndicalistes qui se sont mouillés dans la campagne…
Un bilan qui passe mal
Voilà pourquoi certains digèrent mal l’abandon du GO! par le PTB. L’interpellation de la MWB du Hainaut occidental n’est d’ailleurs que le sommet de l’iceberg. Un nombre non négligeable de militant.e.s d’autres secteurs et régions se reconnaissent dans la démarche de Robert Sénéchal. Daniel Piron le disait dans une interview pour notre site : « Le PTB-GO! qui devient PTB, ça ne va pas ». Tout en se réjouissant évidemment qu’il y ait des membres du PTB élus dans les assemblées, certains pensent en effet avoir été « trompés ».
Les syndicalistes ne sont certainement pas les seuls à avoir cette impression. Quand on relit les déclarations de personnalités qui soutenaient le PTB-GO!, on est frappé de l’importance donnée aux différents ingrédients de ce cocktail et du souhait unanime que l’expérience se poursuive et se développe après le 25 mai (voir les citations plus bas).
Raoul Hedebouw peu convaincant
Revenons maintenant au débat tournaisien. Face aux interpellations, les réponses de Raoul Hedebouw ont été abondantes mais peu convaincantes. Chacun peut le constater en visionnant la vidéo.
Le porte-parole du PTB a déploré le fait qu’une série de milieux qui avaient exprimé en privé leur sympathie pour le GO! refusèrent de s’engager ouvertement dans la campagne parce que ce rassemblement leur semblait « trop proche du PTB ».
C’est en partie vrai… mais c’est le PTB lui-même qui a créé cette réticence: en collant le label « GO! » sur son propre programme de parti (sans consultation de ses partenaires), en décidant seul la composition des listes, en monopolisant les participations à des débats, etc. On ne peut pas d’un côté hégémoniser un rassemblement de façon aussi outrancière et, de l’autre côté, tirer prétexte des méfiances que cela suscite pour… mettre fin à la dynamique de rassemblement.
Or, c’est bien cela qui se passe depuis le 25 mai. Raoul Hedebouw s’en défend. Il dit vouloir quelque chose de « beaucoup plus large » que le GO!, car celui-ci serait « trop restrictif » face à la nouvelle situation politique. Admettons. Mais pourquoi la quête de ce « quelque chose de plus large » devrait-elle impliquer la suppression de toute référence à l’expérience du GO!, et l’arrêt de toute relation avec la LCR et le PC ? Pourquoi ne pas nous concerter sur ce qui est possible en termes d’élargissement du front politique, et agir ensemble si nous sommes d’accord ?
Une question d’éthique politique
Nous ne reviendrons pas sur la « Protest parade », parlons d’autres choses tout aussi concrètes. La LCR souhaite toucher une part de la dotation publique au prorata des voix de préférence de ses candidat.e.s (entre 2,5 et 4,5%, selon les listes). Elle souhaite aussi faire le point une fois par mois avec les membres du PTB élus sur les listes PTB-GO. Pas leur dicter sa politique, non : faire le point.
Ce ne sont pas des demandes exorbitantes : ces camarades ont été élu.e.s avec nos voix (entre autres) et certains ne l’auraient pas été sans cet apport. Pourtant, nous nous sommes heurtés à un refus : « Il ne s’agissait pas d’un rassemblement mais d’un élargissement du PTB », nous a dit Raoul Hedebouw début septembre. Cette réponse sera-t-elle confirmée officiellement ? On devrait le savoir rapidement…
Entre-temps, la LCR a demandé à tenir un stand dans les meetings du PTB, en décembre dernier. Refus poli, au nom de la nécessité de « quelque chose de plus large »…
Etrange logique : faut-il fermer pour ouvrir, rétrécir pour élargir, séparer pour rassembler? En maltraitant ses alliés, le PTB pense-t-il mettre en confiance ses partenaires éventuels dans un « front plus large » ?
C’est ici que se pose la question d’éthique politique évoquée au début de cet article. Le GO! a aidé le PTB à se défaire d’une image extrêmement négative : celle d’un parti complice de régimes et de mouvements sanguinaires. Ne voit-il pas qu’il risque maintenant d’acquérir celle d’un parti comme les autres, cynique, manipulateur et sans scrupules ?
Stratégie: la recomposition, oui mais comment ?
Pour Raoul Hedebouw, la « recomposition de la gauche politique ne se fera pas par la juxtaposition de sigles ». Nous sommes d’accord et nous l’avons prouvé en pratique en collaborant à créer le projet PTB-GO!, puis en participant loyalement à la campagne. Nous ne sommes pas aveugles et reconnaissons la place centrale du PTB.
Mais il n’y a pas que le « nombre de bataillons » qui compte en politique. Il s’agit en effet de « recomposer la gauche», donc de rassembler des composantes, grandes et petites, d’assumer un pluralisme d’opinions, de chercher les convergences. C’est ce que font Die Linke, Syriza, le Front de Gauche et Podemos… Le PTB d’aujourd’hui cite en exemple ces formations (et plus le KKE grec). Pourquoi ne s’inspire-t-il pas de leurs pratiques ?
Dans cette perspective de recomposition, le GO! n’était en effet qu’un petit premier pas. La question qui se pose est : comment en franchir d’autres? Et le PTB, précisément parce qu’il est puissant, a la responsabilité de proposer une stratégie pour y répondre.
Pour étayer son propos sur la nécessité de « quelque chose de plus large », le porte-parole du PTB cite en exemple « Hart boven hard » et « Tout autre chose ». Ces rassemblements sont certainement utiles à la résistance sociale, car ils contribuent à contester l’hégémonie néolibérale dans la société, au-delà des milieux syndicaux. Mais nous ne voyons pas comment ils pourraient se muer en alternative politique électorale, et encore moins en alternative politique anticapitaliste…
Il convient en effet de distinguer deux niveaux différents : celui du front social le plus large contre l’austérité, et celui du front politique pour une alternative anticapitaliste. Ces niveaux sont liés, mais pas identiques. Or, Raoul Hedebouw entretient la confusion entre les deux.
De ce fait, c’est le PTB, et le PTB seul qui émerge politiquement du discours sur le « quelque chose de plus large ». Entendons-nous bien : il est légitime qu’il veuille se construire, mais une stratégie de recomposition de la gauche peut-elle se limiter au grossissement d’un parti qui ne reconnaît pas le droit d’organiser des courants internes ?
Le rôle clé de la gauche syndicale
A Tournai, Raoul Hedebouw a insisté sur les particularités du contexte belge. « Il n’y a pas de gauche au PS, on a cherché mais rien trouvé », a-t-il dit. C’est juste, mais il y a une gauche syndicale dans la FGTB et dans la CSC, qui conteste et affronte la mainmise du PS sur le mouvement ouvrier. Une gauche attachée au pluralisme en son sein, parce qu’elle connaît les difficultés de la lutte.
Une partie significative de cette gauche a commencé à prendre ses responsabilités sur le plan politique, en mettant en avant une proposition de programme anticapitaliste (les « 10 objectifs » de la FGTB de Charleroi) et en disant sa volonté de favoriser l’émergence d’un relais politique sur cette base.
Répétons-le : c’est sans précédent. Et décisif, car cela met en cause la division et la hiérarchie des tâches entre le politique et le social, qui permettent au PS de décréter son « rôle dirigeant » sur le mouvement ouvrier.
Le voilà, selon nous, le chemin de la recomposition politique dans le contexte belge. La question soulevée par le débat sur le GO! n’est donc pas de savoir si le grand PTB, avec ses près de 9000 adhérent.e.s , doit faire à la LCR et au PC la faveur de les hisser à ses côtés sur le podium. Elle est de savoir si le PTB comprend la nécessité de jouer le rôle moteur qui pourrait – qui devrait – être le sien dans cette situation riche de précieuses possibilités, et c’est une question stratégique de fond.
Malheureusement, la réponse semble négative aujourd’hui. Le PTB tend en effet de plus en plus à se présenter comme le pendant parlementaire des syndicats en général, et pas comme le partenaire politique de la gauche syndicale en lutte pour une alternative anticapitaliste. Nous pensons que c’est une erreur. Nous souhaitons vraiment que le PTB s’en aperçoive et prolonge le choix gagnant de l’ouverture, car cette erreur risque de l’amener à tourner le dos à la gauche syndicale.
Marcher sur ses deux jambes
Prenons la mobilisation syndicale contre l’austérité, cet automne : pas la moindre critique, pas la moindre prise de distance du PTB par rapport à la stratégie et aux déclarations des états-majors FGTB et CSC. Marc Goblet déclare « nous ne demandons pas le retrait des mesures, seulement leur suspension, tout ce que nous voulons c’est une vraie concertation », et le PTB ne réagit pas. Marie-Hélène Ska renchérit en disant à la télé « Nous n’avons jamais demandé le retrait du saut d’index comme préalable à la concertation », et le PTB ne réagit pas…
Essayons de préciser notre point de vue. Le PTB a certes raison de prendre la défense des organisations syndicales, car celles-ci sont effectivement attaquées en tant que telles par le patronat et la droite. Mais les syndicats ne se sauveront pas en s’accrochant à la politique de concertation chère à Goblet et Ska, car la crise du capitalisme ne laisse plus d’espace digne de ce nom pour cela.
En tant que front social de défense des travailleur.euse.s, les syndicats ne peuvent se sauver qu’en élaborant une stratégie de conscientisation, de mobilisation et de combat pour un programme anticapitaliste, comme la FGTB l’avait fait lors de ses congrès de 1954 et 1956, et comme JF Tamellini l’a proposé lors du débat à Tournai.
La gauche doit donc marcher sur deux jambes, politique et syndicale : une réelle alternative politique à la social-démocratie ne se concrétisera pas sans une lutte de la gauche contre la droite à l’intérieur des syndicats. Toute l’histoire sociale confirme cette conclusion, en particulier dans notre pays. Ces dernières années, des secteurs syndicaux ont d’ailleurs entamé des processus similaires à la FGTB de Charleroi (anticapitalisme et initiatives politiques), notamment en Afrique du Sud et au Mexique.
Daniel Piron, dans l’interview déjà citée, exprimait cette idée en termes très simples et directs: « La Gauche d’Ouverture a créé un début de dynamique. Beaucoup de nos militants ont été enthousiastes. La question n’est pas de mettre des sigles les uns à côté des autres mais de maintenir cette dynamique, branchée sur ce qui bouge dans les syndicats, et de l’élargir si possible. Sans cela, on ne concurrencera pas le PS. Si le PTB s’imagine qu’il va se substituer au PS il se fait des illusions. D’ailleurs ce ne serait pas une solution car ça reproduirait des relations parti-syndicat du genre ‘eux c’est eux, nous c’est nous’ ».
Autrement dit: une division des tâches où « les choses sérieuses » – la société et le pouvoir- c’est pour le parti, qui ne s’implique pas ouvertement pour donner des impulsions à la lutte et favoriser la gauche syndicale, tandis que le syndicat ne s’occupe que de social.
Lorsque nous l’avons rencontré pour la première fois, à l’été 2013, Raoul Hedebouw a reconnu que le PTB avait sous-estimé l’importance de l’appel de la FGTB de Charleroi. Nous espérons que son succès électoral ne l’amènera pas à commettre une deuxième fois la même erreur, car celle-ci risquerait effectivement de reproduire des relations parti-syndicat de type social-démocrate. Donc d’entraîner le PTB sur une voie qui affaiblirait le combat anticapitaliste, au lieu de le renforcer. Comme disait l’appel des personnalités à voter PTB-GO!: « Il est des rendez-vous à ne pas manquer »
Pourquoi ils et elles ont appuyé la Gauche d’Ouverture:
« Pour la première fois j’appelle à voter pour une liste politique parce que pour la première fois j’y retrouve des tendances diverses étiquetées « communistes », « trotskystes », « maoistes »… ». Depuis longtemps je plaide pour que la gauche laisse les débats historiques du siècle passé à tous ceux que l’histoire passionne et se focalise sur ce qu’il faut faire MAINTENANT et DEMAIN. Ici le moment est venu d’agir ENSEMBLE. »
Anne Morelli, historienne, professeure de l’U.L.B., déclaration d’appui à PTB-GO!
« J’espère qu’il y aura des élus mais, s’il y a des élus, ce sera aussi le moment de tous les dangers. Il faudra être capable de résister aux tentatives de compromissions. En tant qu’appui aux listes PTB-GO!, je compte rester vigilante et nous devons tous rester vigilants afin que la base idéologique anticapitaliste ne soit pas mise en danger. »
La même, interview sur le site lcr-lagauche
« Certains rêvent peut-être que les listes PTB-GO! soient un « one shot », mais je pense que beaucoup de nouveaux militant.e.s et sympathisant.e.s de gauche, du PTB, prennent sérieusement ce moment et ne veulent pas le laisser tristement tomber. (…) Le rapport entre politique et syndicats est une inconnue, mais de ce point de vue aussi, il est crucial que les composantes de PTB-GO! restent dans une coalition unie. Bref, il s’agit de ne pas décevoir ceux et celles pour qui cette coalition a un sens, qui se sentiraient trahi.e.s, encore une fois, si elle se défaisait. »
Isabelle Stengers, philosophe, professeure à l’ULB, signataire de l’appel PTB-GO!, interview sur le site lcr-lagauche
« Le PTB-GO! pourra servir de relais à des mouvements sociaux pour être ce petit caillou qui empêcherait la chaussure d’écraser les plus vulnérables. (…) Le PTB s’est mis en situation d’être au centre de cette dynamique. L’ouverture à d’autres formations de gauche mais aussi à des personnalités indépendantes, à des militants syndicaux et associatifs, à des acteurs culturels et des intellectuels a été un pas supplémentaire qui va dans le sens de l’appel lancé le 1er mai 2012 par la régionale FGTB de Charleroi. (…) La présence sur les listes de candidates de la LCR, dont certaines sont des féministes convaincues et actives, nous permet d’espérer des infléchissements pour une « féministisation » du programme et surtout de l’action des futur- e-s élu-e-s.
Irène Kaufer et Hugues Lepaige, in Politique
« Il ne faut pas lâcher le morceau. Il faut continuer à rassembler et aller vers un regroupement plus important aux prochaines élections. Pour cela, il faut aussi admettre qu’un parti peut changer. Il faut arrêter de diaboliser le PTB comme maoïste, stalinien, etc. Chacun doit garder son âme, mais il faut être capable de voir les évolutions quand elles se produisent. Je crois que vous devriez continuer à agir ensemble après les élections, parce qu’il va y avoir des batailles importantes. Et relancer la mécanique avec les autres partis de gauche. Il faut arriver à quelque chose de plus large, pour jouer un rôle important. »
Christian Viroux, ex-Secrétaire régional de la Centrale Générale FGTB de Charleroi, 3e candidat sur les listes PTB-GO à la Chambre dans le Hainaut, interview sur le site lcr-lagauche
« Je n’aurais pas appelé à voter PTB parce que, même si j’apprécie l’ancrage de ce parti dans la population, je pense que la division de la gauche de la gauche est une mauvaise chose. Heureusement, l’ouverture s’est faite, certainement grâce à ce qui se passe à Charleroi sur le plan syndical, à la FGTB mais aussi en partie à la CNE. C’est cette ouverture qui m’a convaincue de soutenir les listes PTB-GO! (…) J’espère que ça va ouvrir les perspectives pour la suite, sans se limiter à combler le vide laissé par le PS. Il faudra discuter ensemble de la façon dont on voit les choses. Pour ma part, ça passe par la poursuite d’un travail en commun, avec des relais entre les élus et les mouvements sociaux et syndicaux. J’espère que les contacts réguliers se maintiendront parce que débattre et croiser les points de vue avec un ancrage fort dans la réalité sociale est indispensable pour avancer »
Irène Pêtre, ancienne permanente CNE-commerce et signataire de l’appel de soutien aux listes PTB-GO! , interview sur le site lcr-lagauche.
« L’initiative PTB-Gauche d’Ouverture a plutôt le vent en poupe. Je m’en félicite. Maintenant on peut se poser la question de savoir pourquoi. Je pense que c’est arrivé à un moment tout à fait approprié. (…) Les inégalités deviennent invraisemblables et les gens s’en rendent compte. Donc l’annonce de ce rassemblement à la gauche de la gauche tombe à pic. (…) Ce que je souhaite, mais je ne sais pas si ce sera possible, c’est que l’initiative qui a été prise, et qui est quand même assez exceptionnelle, va continuer. (…) J’espère que chacun ne va pas essayer de tirer la couverture à soi car il faut continuer à travailler ensemble sur l’essentiel pour faire grandir ptb-go !, lui donner plus de poids en rassemblant tous ceux qui remettent en cause le système capitaliste et faire en sorte que ptb-go ! s’articule sur de nouveaux combats sociaux. »
Josy Dubié, ancien sénateur Ecolo, signataire de l’appel de soutien aux listes PTB-GO! , interview sur le site lcr-lagauche.
« Tout le travail unitaire qu’on accomplit ici en Wallonie picarde va (peut-être) contribuer à valoir des élus à la liste PTB-GO! ; nous, on ne fait pas ça en se disant qu’après on se repose. Nous voulons deux choses : 1) que les élus nous rendent des comptes (…) ; 2) qu’ils viennent sur le terrain pour comprendre quels sont les problèmes concrets et pour pouvoir relayer les revendications qui émanent des travailleurs avec ou sans emploi. (…) Vu la bonne dynamique en Wallonie picarde, je ne compte pas du tout laisser tomber les réunions PTB-GO! telles que nous les faisons actuellement : on va toutes et tous se revoir afin de mettre en place une structure commune qui puisse durer bien au-delà du 25 mai : tout reste en effet à faire afin de construire le relais politique que nous avons appelé! »
Robert Sénéchal, Secrétaire MWB-Hainaut occidental, interview sur le site lcr-lagauche
« Quand l’appel a été lancé à rassembler les forces pour créer une alternative anticapitaliste à gauche du PS et d’ECOLO, on était prêts, c’était vraiment notre appel, celui de la base, et la centrale l’a relayé vers l’interprofessionnelle. (…) Il ne s’agit pas de faire élire des députés, puis basta. Il faut qu’ils restent les élus de la base. L’essentiel c’est qu’il nous faut un outil, un relais, quelque chose qu’on contrôle. (…) La division de la gauche, pour les syndicalistes, ça a toujours été un problème. Surtout face à la complicité des partis traditionnels, qui font semblant de se disputer pendant les élections puis gouvernent ensemble. Le rassemblement PTB-Gauche d’Ouverture a créé un enthousiasme. »
Ivan Del Percio, délégué FGTB Caterpillar, interview sur le site lcr-lagauche