Il y a 11 ans, l’équipe d’Hachemi Rafsandjani [décédé le 8 janvier 2017], opérant sous le nom de «Conseil de Discernement», a rédigé une directive intitulée «Les perspectives de la République Islamique d’Iran dans les 20 prochaines années» approuvée par le Guide Suprême.
La volonté affirmée de devenir une puissance régionale
Dans les grandes lignes de ce document est affirmé la volonté de «devenir la première puissance économique, scientifique et technologique de la région de l’Asie du Sud-Ouest» comprenant l’Asie centrale, le Caucase, le Proche-Orient et les pays voisins.
La recherche de la suprématie militaire n’apparaît pas dans ce dossier, mais les sous-entendus sont clairs. Afin de parvenir à ce but il est conseillé de développer des relations privilégiées avec des forces et pays amis. Partout il est conseillé de promouvoir des relations étroites avec les forces religieuses.
La même année est parue une analyse concernant l’Irak après l’invasion américano-anglaise. Elle porte le titre «L’Iran et le nouvel Irak, les défis à venir» et a été rédigée par le «Centre des Recherches stratégiques» dépendant de l’équipe de Rafsandjani. Les grandes lignes de cette stratégie y sont appliquées au cas de ce «pays devenu ami» suite à l’invasion impérialiste occidentale de 2003.
Dans ce document, il est clairement stipulé que l’Iran doit intervenir directement dans la politique irakienne, en appuyant les partis chiites contre les autres forces. Il y est également défendu le principe du maintien de l’intégrité territoriale d’Irak, et proclamé l’opposition aux revendications séparatistes. Contrer «les influences» d’autres forces régionales dans ce pays est souligné comme un des impératifs de cette politique à l’égard d’Irak.
Bien entendu, cette stratégie de recherche d’une suprématie régionale se heurte de plein fouet aux ambitions des autres puissances régionales (comme l’Arabie saoudite, Israël, et la Turquie) et exacerbe les rivalités.
On sait depuis longtemps qu’une alliance non officielle anti-République islamique est formée autour d’un axe «Riyad – Jérusalem» à laquelle les pays du Golfe persique sont «affiliés». Mais la Turquie d’Erdogan a aussi ses visées stratégiques et s’appuie sur les minorités turkmènes présentes en Irak et en Syrie.
L’importance stratégique de l’alliance avec le régime syrien
Dans ce cadre, la Syrie a longtemps été considérée comme un allié important, bien que controversé, de la République islamique d’Iran. La Syrie est le seul pays arabe à avoir explicitement soutenu l’Iran durant les huit années de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Le fait que la dynastie Assad soit d’origine alaouite (confession apparentée au chiisme) et l’existence des sanctuaires chiites en Syrie ont contribué à renforcer une relation stratégique entre les deux Etats.
Pour Téhéran, l’impératif de maintenir des liens étroits avec le Hezbollah libanais a renforcé cette alliance.
En conséquence, contrairement à d’autres pays arabes où l’Iran a soutenu certains soulèvements populaires, le régime islamique s’est rangé dès mars 2011 aux côtés du président syrien Bachar el-Assad, définissant la révolte du peuple syrien comme une sédition «d’inspiration étrangère».
Face à la brutalité de la réponse du régime syrien quelques inquiétudes se sont toutefois fait entendre au sein de la direction iranienne. Mais sous l’impulsion directe du Guide de la révolution, Ali Khamenei, l’impératif de la défense de «l’Axe de Résistance» Iran-Hezbollah-Syrie, a été considéré comme la seule ligne officielle. Et cela non seulement face à Israël mais également contre le terrorisme des groupes islamistes «takfiri» (mécréants), tels que Daech et autres salafistes.
Une implication militaire croissante aux côtés de Bachar el-Assad
Au début du conflit, l’Iran a limité sa participation à la fourniture de services techniques ainsi qu’à un soutien financier au régime syrien. Cette action passait principalement par Qods, le bras armé basé en Irak des Gardiens de la Révolution Islamique d’Iran (Pasdaran, GRII), dans le cadre d’opérations transfrontalières.
Fin 2012, Qods a joué un rôle crucial dans la création des Forces de défense nationale (FDN), une organisation paramilitaire syrienne aidant l’armée régulière. Celle-ci rassemblait environ 100’000 combattants de différentes sectes religieuses.
De 2011 à début 2013, l’Iran a envoyé des membres des forces d’élite du GRII en appui au régime d’Assad, et fourni une formation et un soutien logistique à l’armée syrienne.
Mais avec la dégradation constante de la position du régime syrien vers la fin 2013, la Russie a peu à peu assumé ce rôle, tandis que l’Iran augmentait sa présence sur le terrain. Le général Soleimani, patron incontesté de la force Qods, a joué un rôle prépondérant dans cette implication directe de Poutine.
Selon les sources, le nombre total de Pasdaran et de paramilitaires iraniens opérant en Syrie se situait entre 6500 et 9200 en avril 2016.
Depuis, sans aucun doute, ce nombre est allé crescendo, surtout avec la mobilisation opérée pour la reprise d’Alep, surnommé «La mère des batailles».
Lorsqu’il est apparu que les forces syriennes étaient insuffisantes pour combattre les forces qualifiées de «takfiri», le pouvoir iranien a facilité le déploiement de milices chiites étrangères. Elle a commencé par faire appel à son allié le plus proche, le Hezbollah, qui a pris part au combat en Syrie dès 2012.
Le régime iranien a également envoyé des groupes chiites irakiens (Katai’b Al-Imam-Ali en particulier), leur fournissant la formation et les armes.
Par ailleurs les Pasdaran ont commencé à recruter des combattants chiites d’Afghanistan et du Pakistan, constituant respectivement les Fatemiyon et les Brigades Zaynabiyun – sous les ordres directs du commandant général des Pasdaran, le général Mohammad Ali Jafari. Les salaires et les équipements nécessaires ont été pris en charge par le régime iranien.
En avril 2016, l’Iran a commencé à expédier «Les Takavaran», les forces spéciales de l’armée régulière iranienne. Ces troupes sont considérées comme étant largement les plus entraînées des forces armées iraniennes.
A maintes reprises, les journaux iraniens ont annoncé «le martyre» de «ces défenseurs des lieux saints», appartenant aux différentes brigades de l’armée comme la «Brigade 65 Nohed» ou la «Brigade 258 Shahrood». Bien qu’appartenant à l’armée régulière, ces forces sont sous le contrôle de commandants supérieurs des Pasdaran, nommés directement par général Jafari, le commandant suprême des Pasdaran.
Force est de constater que le régime iranien ne cache plus son engagement direct dans la guerre civile en Syrie. Les médias du régime couvrent même d’éloges «les martyrs de l’islam».
L’Iran aurait fourni aux forces gouvernementales syriennes et aux milices chiites des armes légères, ainsi que des armes avancées, comme des roquettes, des lance-roquettes, des fusils Kalachnikov, et des missiles antichars. Ces forces ont principalement opéré dans les provinces d’Alep, Latakieh, Homs, Hama, Idlib et Tartus.
Il ne faut pas perdre de vue la convergence globale des analyses du régime islamique et celles de Poutine. L’Iran coordonne également, au niveau ministériel et opérationnel, ses actions sur le terrain avec la Russie.
Les dirigeants iraniens ont déclaré explicitement qu’en ce qui concernait la Syrie, il n’y avait pas de divergences entre les stratégies de Moscou et de Téhéran.
Il est toutefois clair que le régime iranien est attaché explicitement au maintien en l’état: 1° du clan Assad au pouvoir; 2° des institutions étatiques existantes.
En ce qui la concerne, la Russie a sur ce point des positions plus ambiguës, même si elle défend le régime dans son ensemble.
L’ampleur de l’engagement en Syrie des forces du régime des ayatollahs peut être mesurée à la lumière de ses pertes humaines. D’après certaines estimations, près de 700 iraniens appartenant à l’armée régulière, aux Pasdaran ou aux milices auraient été tués en Syrie. Ce chiffre à lui seul met à nu l’ampleur et le coût de l’intervention de Téhéran pour maintenir Bachar el-Assad au pouvoir.
Officiellement, l’Iran soutient que seuls des «conseillers militaires» ont été déployés en Syrie. Mais les médias d’Etat ont signalé de nombreuses victimes sur les champs de bataille. Les Pasdaran ont annoncé officiellement début décembre 2016 que 13 de leurs combattants ont été tués près d’Alep. Cela montre que les forces iraniennes sont engagées d’une manière directe dans les atrocités de cette guerre civile terrible, aux côtés des forces de Bachar el-Assad.
Etant donné que l’Arabie saoudite soutient des groupes djihadistes combattant le pouvoir syrien, et que les deux pays ont des politiques étrangères opposées au niveau régional, les ayatollahs vont continuer à intervenir dans des conflits entre sunnites et chiites au Yémen et à Bahreïn.
En effet, la politique régionale de la République Islamique d’Iran s’inscrit dans une lutte d’influence contre la monarchie réactionnaire des Al Saoud. Il ne faut pas oublier que les ayatollahs et les Al Saoud sont les principaux soutiens des courants réactionnaires de l’islam politique et favorisent les logiques d’affrontements sectaires et interreligieux qui divisent les populations sur la base de leurs identités religieuses, mettent la région à feu et à sang. (Décembre 2016)
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Behrooz Farahany, exilé en France, est militant de Solidarité socialiste avec les travailleurs iraniens.
Source : A l’encontre