Le 5 février 2015, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande ont entamé des négociations, d’abord avec le président ukrainien Porochenko puis, le lendemain, avec le président russe Vladimir Poutine, afin de discuter d’un règlement pacifique du conflit en cours dans l’Est de l’Ukraine. C’est le début d’un Grand Jeu entre puissances impérialistes – Union européenne, Etats-Unis et Russie –, dont le but déclaré est d’éviter une guerre de grande envergure en Ukraine grâce au sacrifice des populations du Donbas, auxquelles pourrait être réservé un sort analogue à celui des Bosniaques, et au bradage de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine. (HP)
Durant ces derniers jours, le monde s’est figé en attendant les résultats d’une série de pourparlers sur le Donbass, avec la participation des principaux intervenants concernés : la Russie, l’Union européenne, les États-Unis et l’Ukraine. Un trait distinctif de ces négociations a été leur caractère secret. Des portes closes à Kiev, derrière lesquelles Hollande, Merkel et Porochenko ont parlé entre eux, le jeudi 5 février ; des portes closes à Moscou, derrière lesquelles Hollande et Merkel ont parlé le vendredi 6 février avec Poutine ; une conférence téléphonique entre les quatre chefs d’Etat dimanche ; enfin, une rencontre de Merkel avec Obama à Washington, le lundi 9 février. L’opacité totale des propositions faites, ainsi que des conditions et scénarios imaginés par chacune des parties peut laisser place aux hypothèses les plus pessimistes comme à l’espoir d’une percée diplomatique. Pourtant, tous les observateurs sont d’accord sur une chose : jamais ce conflit n’a été aussi proche d’une guerre de grande envergure.
Quel avenir pour le Donbass et l’Ukraine ?
L’offensive de janvier dans le Donbass, dans laquelle les troupes russes étaient impliquées presque ouvertement, est devenue probablement le dernier acte possible d’une « paix imposée » aux conditions de Poutine. Il s’agit d’un marché de dupes, d’un jeu sanglant qui est le préféré du président russe. Testé à plusieurs reprises au cours de l’année dernière, il a pratiquement épuisé tout son potentiel aujourd’hui. Il est donc temps d’abattre d’autres cartes : l’UE veut éviter la guerre en Europe à tout prix ; les États-Unis sont disposés à fournir des armes et à jeter de l’huile sur le feu en évitant toute participation directe ; le Kremlin est prêt à faire presque n’importe quoi pour obtenir une victoire formelle sans déclaration de guerre à son pays voisin. C’est comme ça que se présente l’équation du pouvoir à la veille de ce marathon de négociations.
Il y a des raisons de croire qu’une solution tactique peut être trouvée. Une option qui impliquerait l’introduction de forces collectives de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU ou de l’OSCE pourrait satisfaire Poutine, car elle garantirait : a. la légalisation de la présence des troupes russes dans l’Est de l’Ukraine (la participation de la Russie à cette « mission de paix » en serait une condition impérative) ; b. la non adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE dans un avenir prévisible (le secrétaire général de l’OTAN l’a confirmé ouvertement lors de la conférence d’hier à Munich) ; c. la prohibition de toute livraison d’armes à l’Ukraine ; d. la participation en première ligne de la Russie à la poursuite des négociations sur le statut du Donbass.
Le Grand Jeu des puissances impérialistes
Les représentants de la soi-disant « République populaire de Donetsk » ne participent pas aux négociations entre « gens sérieux », sans pour autant développer de complexe d’infériorité à ce propos ; ils ont aussi confirmé leur volonté d’accepter le scénario de « maintien de la paix ». Dans cette hypothèse, l’UE montrerait à nouveau son rôle symbolique pour le maintien de la paix et de la sécurité en Europe, et resterait l’un des principaux participants au club fermé habilité à décider du sort de l’Etat ukrainien. Les États-Unis pourraient aussi consentir à une telle option, plaçant cette responsabilité sur les épaules de l’UE et obtenant en retour le soutien de l’Europe (et peut-être même de la Russie, vu le rapprochement de leurs positions sur la crise syrienne) sur un terrain prioritaire comme celui de la lutte contre l’État islamique.
Cependant, quels que soient les résultats tactiques de ces négociations, leur succès ou leur échec – qui peut avoir des conséquences graves, comme la guerre dans le Donbass et l’approfondissement de la crise économique en Russie, en raison de l’escalade des sanctions –, elles ne peuvent déboucher que sur une impasse stratégique totale. D’abord pour la politique de Poutine dans son propre pays et par rapport aux territoires de l’ex-Empire soviétique. Ensuite, pour l’Ukraine, dont la souveraineté et l’indépendance seraient utilisées comme monnaie d’échange dans le cadre d’un Grand Jeu international. Enfin, pour les habitant·e·s du Donbass, pour qui « la meilleure option » pour les 20 ans à venir serait le statut de la Bosnie d’aujourd’hui, un pays appauvri et divisé, mis en place et géré par « les soldats de la paix ».
* Priginal russe paru le 7 février 2015 sur le site OpenLeft.ru
* Traduit par Hanna Perekhoda pour « solidaritéS » (Suisse).
* Ilya Boudraitskis est journaliste et historien, membre du Mouvement socialiste russe (Quatrième internationale).
Source : ESSF