Une opinion de Romain David, acteur.
Voilà donc un nouvel arrêté royal en guise de Bonne Année 2014, qui est sur le point d’être signé afin de réformer le statut d’artiste. Cette réforme réduit drastiquement l’accès au chômage et à la protection de l’intermittence. Les techniciens du spectacle seront désormais exclus de tout régime particulier. Ils tomberont les premiers. Les jeunes artistes, fraîchement sortis des écoles, tomberont avec eux. Si cette réforme est signée, nos écoles d’art enverront sur le marché de l’emploi des milliers de lauréats comme de la chair à canon sur un champ de bataille. On se félicitera surement, en haut lieu, de l’économie engendrée par cette mesure raisonnable et de ce que cela signifie: la disparition totale et définitive des problèmes?
Maggie De Block, notre hyper-ministre de l’Immigration, a compris qu’il suffisait de fermer les centres d’accueil pour clamer haut et fort qu’il n’y avait plus d’immigrés en Belgique. Résultat: la clandestinité et la précarité se sont accrues, l’ignorance de la population aussi. Mais les sans-papiers, eux, sous toujours là. Madame De Coninck, notre ministre de l’Emploi, s’apprête à faire la même chose: en réduisant l’accès au chômage pour les artistes, il y aura d’office moins d’artistes au chômage! La comparaison peut s’avérer fragile, mais le procédé est le même: la fuite. C’était déjà celui de Fadila Laanan l’année dernière. Ignorer la question ne fait pourtant pas disparaître le problème: quelles sont les conséquences d’une politique qui, d’un coté, réduit les budgets alloués à la Culture et, de l’autre, condamne l’accès au chômage pour les intermittents du spectacle? Clandestinité, précarité, ignorance… et colère.
Joli trait d’union que cette réforme: Culture – Emploi – Affaires-Sociales – Enseignement supérieur artistique! Des voix se font entendre pour convoquer des états généraux de la Culture. Il faudrait que toutes ces compétences (Culture, Affaires Sociales, Emploi, Enseignement) y soient associées. Ou bien toujours nous serons confrontés à des politiques fuyantes qui, jonglant d’une casquette à l’autre, affaiblissent et divisent le secteur. Aujourd’hui, c’est la réforme du statut d’artiste. Hier, c’était le budget du C.A.PT et le conventionnement des compagnies. Avant-hier, les conservatoires bataillaient pour préserver leurs emplois pédagogiques. Demain, ce sera au tour des institutions de saigner. Toutes ces attaques révèlent un constat: le désintérêt croissant des pouvoirs publics pour la chose artistique. C’est inquiétant, car il est difficile d’évaluer dans quelle mesure cette tendance est réversible. Non pas d’un point de vue économique, mais du point de vue de la volonté politique, et du courage.
S’il fallait réunir toutes ces compétences, ça ferait beaucoup de monde à la table des états généraux. Mais pourquoi pas? Nous aurions raison – particulièrement en temps de crise – de valoriser la création artistique et le statut de l’artiste. L’arrogance se trouve dans le chef de nos responsables politiques qui refusent de reconnaître le bénéfice économique et social qu’apporte la culture à un pays. Ce n’est pas en muselant les jeunes artistes qu’ils remettront la Belgique à flot. Ce n’est pas en condamnant les intermittents à uncombat de pauvres qu’ils relanceront la sacro-sainte croissance du pays. Au contraire! Des études l’ont prouvé: la culture est un facteur économique qui génère de la richesse. Encore une fois, ce n’est pas la bonne cible Mesdames et Messieurs les ministres! Visez plus à droite!
Le secteur culturel est aussi prompt à se mobiliser qu’à se déchirer. Il y a des raisons d’être en colère. Il faut rester vigilant. Il s’agit de culture, certes, et pas seulement. C’est aussi une question de dignité.
Carte blanche publiée dans La Libre Belgique (20/12/2013).
Titre et chapeau choisis par la rédaction de la Libre.
Lettre ouverte de Conseildead aux présidents de partis
Mesdames,
Messieurs,
À l’approche des élections et des prises de parole publiques de la campagne, nous tenons à vous interroger sur la place que vous prévoyez d’accorder, durant la prochaine législature, à la création artistique. Autant le dire clairement : nous avons constaté, depuis quelques temps, que son importance et sa nécessité étaient manifestement méconnues – méconnaissance, d’une part, des potentialités économiques qu’elle représente ; méconnaissance, d’autre part, du rôle éclairant qu’elle peut et doit tenir dans la période d’instabilité et de trouble que nous traversons.
Notre secteur est particulièrement inquiet pour son avenir. Depuis plusieurs années déjà, il est la cible, de la part de l’ONEM, d’une suspicion permanente et organisée. À ce titre, la réforme d’accès et de maintien des allocations de chômage, récemment annoncée, semble participer, une fois de plus, de la précarisation de notre profession et empêcher, notamment, un nombre considérable de jeunes travailleurs, représentant l’avenir de notre secteur, formés dans nos écoles, d’exercer la profession à laquelle ils se destinent et à laquelle on les a destinés. À nos yeux, cette forme de licenciement par anticipation est tout à fait inacceptable. L’ostracisme mis en place par l’ONEM et dont sont victimes des professionnels désireux d’exercer leur métier dans un cadre légal l’est tout autant.
Au même titre que tous les autres citoyens, les artistes sont des acteurs à part entière de la vie économique, travaillant et cotisant comme tous les travailleurs. Si la spécificité de ce travail les amène souvent à œuvrer par intermittence ou via des contrats à durée déterminée, ils ne sont en aucune manière « des profiteurs du système », comme une certaine démagogie voudrait le laisser croire, mais bien des créateurs de richesse, intellectuelle, sociale et économique. Nous nous adressons à vous aujourd’hui parce que nous croyons encore à la Chose Publique. Nous refusons d’accepter l’idée que le mécénat ou les différents types de financement privé (dont ceux dits « participatifs ») soient pour nous des alternatives crédibles. L’Art est affaire de tous ; la Culture est le ciment d’une société. Ils figurent parmi les éléments fondamentaux de la démocratie. Nous n’acceptons pas que leurs rôles soient à ce point mésestimés. Un monde sans création, sans culture, sans appétence intellectuelle et artistique, uniquement replié sur sa simple subsistance, rejoindrait tendanciellement celui d’un élevage industriel de porcs ou de poulets de batterie. Qu’on nous pardonne la violence de cette formulation : elle traduit la nécessité de notre engagement et de notre prise de parole.
Si le budget général de la Culture a certes augmenté lors de la présente législature, les budgets dévolus à la création artistique, c’est à dire aux artistes eux-mêmes, sont en chute libre, en raison, notamment, de leurs amputations répétées et de leur non-indexation – non indexation qui, rappelons-le, perdure depuis plusieurs années, parfois depuis plus de dix ans, sans aucune justification valable. Les budgets artistiques des lieux de création sont devenus de simples variables d’ajustement. Si cette politique se poursuivait, nous en arriverions bientôt à une situation paradoxale : des institutions se trouvant bon an mal an en ordre de marche, mais sans artistes ! Il ne s’agit là que d’un calcul prévisionnel mais il indique clairement l’absurdité et l’impasse de la tendance actuelle.
Dans ce contexte, l’indépendance des créateurs n’est pas un mot vain : pour garantir la diversité de l’offre artistique et son renouvellement, artistes et institutions se doivent de travailler ensemble dans une relation de partenariat et de confiance réciproque, et non dans une relation de dépendance et de soumission.
L’an dernier, Madame Fadila Laanan s’est heurtée à l’opposition de tout notre secteur lorsqu’elle a voulu réduire de moitié les enveloppes consacrées aux aides ponctuelles à la création, celles qui touchent précisément à l’indépendance des créateurs. Au vu des réactions suscitées, et au tollé provoqué par une telle mesure, bien au-delà du seul secteur culturel (rappelons tout de même que les pétitions qui ont été signées à cette occasion avaient récolté plus de 17 000 signatures en quelques semaines), la ministre avait fait machine arrière. Cette affaire avait même eu quelques conséquences positives : ouverture d’un début de dialogue avec le cabinet, union des différents secteurs (théâtre, musique, danse, performance, jeune public…) et surtout prise de conscience par les principaux intéressés du danger qui menaçait la création artistique dans son ensemble.
Depuis lors, notre vigilance et notre capacité de mobilisation n’ont pas faibli, bien au contraire. On pourrait qualifier, sans risque d’exagération, l’ambiance, à l’intérieur de nos professions, d’électrique et même d’explosive.
C’est pourquoi nous vous posons les questions suivantes, au nom de tout un secteur qui, pour habitué qu’il soit à vivre au jour le jour, voudrait tout de même avoir une petite idée de « la sauce à laquelle il va être mangé » :
- Comptez-vous enfin pérenniser les budgets d’aide à la création pour les faire accéder au rang des « dépenses obligatoires » et les faire quitter celui des dépenses « facultatives » ?
- Comptez-vous enfin ré-indexer sur le coût de la vie ces enveloppes, mais aussi celles des budgets artistiques des structures de création, afin d’enrayer leur diminution d’année en année ?
- Comptez-vous enfin oeuvrer à une harmonisation des politiques gouvernementales concernant le statut des bénéficiaires d’allocations de chômage, garantissant une stabilité financière nécessaire au travail de création, et l’arrêt de cette politique de suspicion, voire de harcèlement, de la part de l’ONEM ?
En dehors de ces mesures d’urgence, une réflexion de fond doit être menée, en vue de réformer le fonctionnement du secteur dans son ensemble, et ceci en partenariat avec toutes ses composantes. De nouveaux Etats Généraux de la Culture sont absolument incontournables, et ce dès l’entrée en fonction de nos futurs représentants. En outre, nous le ré-affirmons : la création artistique en Fédération Wallonie-Bruxelles ne pourra pas subsister plus longtemps sans un refinancement conséquent de son budget.
Mesdames et Messieurs les présidents de partis, notre désir, celui des artistes créateurs, est d’entamer avec vous un dialogue dans un esprit ouvert, et dans une vraie volonté de nous battre à vos côtés, pour que soit reconnue à sa juste valeur la place de l’Art et de la Culture dans notre Fédération. La situation actuelle est proprement intenable, c’est pourquoi nous vous demandons de ne pas sous-estimer nos revendications. Sans une augmentation rapide des budgets dédiés à la création artistiques, nous perdrons, durant la prochaine législature, Mesdames et Messieurs, l’une des richesses de notre Fédération.
Mesdames et Messieurs les présidents de partis, ces constats et questions doivent être pleinement considérés à l’occasion du scrutin à venir. Elles sont incontournables pour bon nombre d’électeurs, qu’ils soient eux-mêmes créateurs ou spectateurs, lecteurs, auditeurs, citoyens légitimement en demande d’art et de culture au cœur de la Cité.
Nous attendons de vous entendre.
Conseildead
(Stéphane Arcas, Cécile Chèvre, Antoine Laubin, Denis Laujol, Nicolas Luçon, Claude Schmitz, Vincent Sornaga, Arnaud Timmermans)
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https://www.lapetition.be/en-ligne/Lettre-ouverte-de-conseildead-aux-presidents-de-partis-13678.html
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