Vingt-quatre millions de sans emploi en Europe. 60% de jeunes au chômage en Grèce, 50% en Espagne. Des régions dévastées, des pans entiers de l’industrie qui s’écroulent. Une société qui se défait, une misère galopante, du Zola dans nos rues. Les femmes, principales victimes, « invisibilisées » par le patriarcat. L’ordre moral qui pousse la porte de son groin… L’impression d’une spirale régressive qui nous ramène aux années trente…
Faut-il continuer à reculer en sentant dans notre dos le grand trou sombre qui se rapproche? Comment passer à la contre-offensive, en particulier sur le terrain de l’emploi, qui conditionne en fin de compte tous les autres ? Comment faire alors que la contrainte climatique est là, qui impose de réduire de moitié la consommation finale d’énergie tout en réalisant la plus gigantesque mutation technico-sociale de tous les temps : le passage en quarante ans à un système énergétique sans fossiles ni nucléaire ?
A ce point du raisonnement, le syndicaliste moyen dira: « Stop, on a assez de problèmes comme ça! Si on vous écoute, il n’y a plus qu’à tout fermer »… Eh bien non, c’est même le contraire. Amis syndicalistes, levez le nez du guidon. Une catastrophe sociale-environnementale irréversible et d’une ampleur sans précédent se profile. Le capitalisme en est la cause, autant que du chômage, et il est incapable de résoudre l’une et l’autre. La conclusion coule de source : osez vous saisir de cette question à votre manière, au nom du monde du travail. Vous verrez alors que le vert viendra à la rescousse du rouge, qu’il contribuera à rendre à votre combat le souffle civilisationnel et la supériorité morale qui ont porté le mouvement ouvrier vers ses plus grandes victoires historiques.
Isoler tous les bâtiments en Europe dans les trente ans qui viennent, c’est possible. Faire reculer radicalement la route, généraliser des transports en commun de qualité, c’est possible. Remplacer le système énergétique fossile privé et centralisé par un système renouvelable, communal et décentralisé, géré démocratiquement par les collectivités, c’est possible. Eliminer l’agrobusiness au profit d’une agriculture organique de proximité, c’est possible. C’est possible et ça demande des ouvriers, des paysans, des employés, des ingénieurs. Du verre, de l’acier, du ciment, des logiciels. Du savoir-faire et du savoir-prendre soin. De la participation, du contrôle, de l’intelligence, de la créativité. La participation de tous et toutes est une condition du succès.
C’est possible à une condition : sortir de la logique du profit qui nous emmène à l’abîme. Partager le travail disponible et la richesse accumulée. Supprimer les productions inutiles et reclasser les travailleurs. Casser les pouvoirs capitalistes qui se sont approprié l’énergie et la finance. Il y a cinquante-cinq ans, la gauche syndicale de ce pays anticipait le déclin économique wallon en élaborant un programme anticapitaliste de réformes de structures. Il serait judicieux de s’en inspirer pour élaborer à temps un programme européen de réformes écosociales. Quand une moitié de la population vendra des hamburgers à l’autre, ce sera plus difficile.
Publié dans « Politique », mars-avril 2014
Crédit Image : Thierry Tillier