Podemos n’est pas une formation politique anticapitaliste. Elle a pourtant été cofondée par Anticapitalistas (à l’époque encore Izquierda Anticapitalista), l’organisation de la Quatrième Internationale de l’État espagnol. Après plus de deux ans de travail politique intensif au sein de Podemos, Anticapitalistas a décidé d’éditer un livre sur le sujet. Anticapitalistas en Podemos commence avec une introduction sur la problématique qui est suivie par une approche thématique. Une dizaine de responsables d’Anticapitalistas sont interviewé.e.s sur plusieurs sujets précis : les origines de Podemos (avec le cofondateur, anticapitaliste et député européen Miguel Urbán), les questions de la démocratie interne et de l’auto-organisation, le municipalisme (avec Kichi, le bourgmestre/maire anticapitaliste de Cádiz), le féminisme, l’activisme dans les institutions, la jeunesse, l’economie et finalement la stratégie politique après l’échec de Syriza.
De parti anticapitaliste à la participation à un projet anti-néolibéral large
Après la chute du Mur de Berlin, les anticapitalistes avaient opté pour une ligne politique de maintien d’une perspective post-capitaliste . Pendant cette période, les anticapitalistes formaient une organisation très minoritaire, avec une base dans certains milieux alternatifs mais loin des classes populaires. Jusque 2008, les anticapitalistes formaient encore un courant dans la coalition de gauche Izquierda Unida. Au cours de cette année un nouveau projet anticapitaliste naquit dans le sillage du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) français: Izquierda Anticapitalista.
Avec le “15M”, le mouvement des “indigné.e.s” du printemps 2011 , des milliers de jeunes se sont politisé.e.s contre le néolibéralisme et contre le système politique. Les anticapitalistes étaient actifs/ves dans ce mouvement de masse mais sans pouvoir faire basculer le mouvement dans une direction anticapitaliste ou renforcer la propre organisation de manière significative. Le potentiel du mouvement était pourtant grand : face à la politique institutionnelle du « moindre mal » du gouvernement social-démocrate, se levait soudainement une masse de jeunes avec l’envie d’un changement politique.
Izquierda Anticapitalista était dans cette situation un instrument important en tant qu’organisation de cadres révolutionnaires mais ceci était insuffisant pour donner une expression politique à la politisation récente des jeunes masses. La ligne politique de l’organisation au début de l’année 2014 pouvait être résumée de la manière suivante : la nécessité de construire un mouvement politico-électoral anti-néolibéral qui s’inspirerait des pratiques démocratiques du mouvement des indigné.e.s et qui devrait permettre de sortir de l’impasse des luttes sociales qui n’ont pas réussi à obtenir des victoires concrètes (comme la « vague blanche » contre le démantèlement du système de soins de santé, la « vague verte » dans le secteur de l’éducation,…).
L’efficacité réduite des mouvements sociaux contre l’austérité était analysée par l’atomisation sociale avancée de la classe travailleuse. Les travailleurs et travailleuses « fordistes » des grandes usines et administrations avaient réussi dans une certaine mesure de préserver leurs conquêtes sociales mais en face se trouve un nouveau prolétariat urbain précaire et massif, sans organisations syndicales. Pour l’auto-organisation de ces masses avec une conscience anti-néolibérale croissante, une nouvelle forme d’organisation dans les quartiers était nécessaire. Une ouverture était créée pour un nouveau projet politique, construit d’en bas et à partir de la mobilisation : les « círculos » ou cercles de Podemos.
Podemos nait le 17 janvier 2014 à Madrid. La nouvelle organisation politique était à ce moment fortement inspirée par les idées organisationnelles et politiques des anticapitalistes. Vice versa, la participation dans Podemos eut aussi des conséquences pour les anticapitalistes. Anticapitalistas fit connaissance avec la « politique de masse ». Cela a généré la possibilité d’entrer en contact avec des espaces et secteurs sociaux qui constituaient la réalité matérielle de « celleux d’en bas ». Anticapitalistas est passé par un processus d’apprentissage pour s’adapter à cette nouvelle réalité politique : l’utilisation d’un leadership visible avec comme dirigeants et dirigeantes Teresa Rodríguez, Miguel Urbán, Kichi et d’autres, le travail politique dans les institutions, la nécessité de nouvelles formes de communication politique, une définition plus précise du programme politique, un murissement dans des questions et débats politico-stratégiques, etc.
Problèmes et défis
Podemos n’est plus le projet politique de janvier 2014 et des élections européennes de mai de cette même année, qui comprenait l’activation de gens dans les cercles et l’écriture participative d’un programme politique. Au Congrès de fondation de Vista Alegre de septembre 2014, le mouvement Podemos ne fut pas seulement constitué en parti mais surtout furent créées des structures de parti qui encourageaient la bureaucratisation de la formation et qui dépouillaient les cercles de tout leur pouvoir politique . Le « secteur critique » de Podemos, avec les militant.e.s organisé.e.s d’Anticapitalistas ainsi que beaucoup d’autres militant.e.s du « Podemos d’en bas », a du céder la place au projet centralisé et plébiscitaire du double groupe qui, à ce moment, prenait le pouvoir au sein de Podemos, constitué par la tendance néo-réformiste autour de Pablo Iglesias et le courant populiste (d’après le populisme comme théorisé par l’idéologue argentin Ernesto Laclau) de Iñigo Errejon.
Les problèmes auxquels fait face Podemos aujourd’hui sont parmi d’autres : le manque d’une mobilisation d’en bas – liquidée par Vista Alegre, l’oligarchisation du parti avec la formation d’une nouvelle élite politique qui cherche à conquérir des fonctions dans l’État et la faiblesse relative des anticapitalistes au sein de Podemos face à des tendances néo-réformistes et populistes plus fortes qui – malgré les désaccords et bagarres entre-elles – sont responsables pour ces changements et pour la droitisation de Podemos.
Pour Anticapitalistas il est important de continuer le travail et la lutte pour un Podemos radical d’en bas. Au cours des différents entretiens dans le livre , sont précisément présentées les différentes pistes thématiques qui veulent contribuer au renforcement, à la démocratisation et à la radicalisation de Podemos. L’« hypothèse politique Podemos » reste actuelle pour les anticapitalistes qui, jusqu’à présent, ne lâchent rien et continuent leur combat pour un Podemos d’en bas ; prennent des engagements dans l’organisation et comme élu.e.s ; s’engagent dans des débats politiques avec d’autres courants au sein du projet ; travaillent au renforcement des mouvements sociaux et sur la relation entre Podemos et ces mouvements ; ont cherché la confluence de la gauche aux élections locales de 2015 et aux dernières élections parlementaires de juin 2016 ; etc.
Coll, Andreu; Brais Fernández & Joseba Fernández (ed.) (2016), Anticapitalistas en Podemos, Construyendo poder popular. Barcelona, Sylone, 153 pag.