Jadis Jacques Brel, un artiste belge fasciné par le plat pays dans lequel des Frieda blondes aiment sous l’ombre des beffrois, chantait que les bourgeois c’est comme les cochons. Il exprimait ainsi, lui-même fils de bourgeois, cette attitude des fils à papa dans leur folle jeunesse, qui se révoltent contre ceux qui sont incapables d’apprécier ce qui n’est pas comme il faut et qui ne s’intéressent uniquement qu’à la chose matérielle, des philistins quoi. Je ne doute pas de l’honnêteté de Jacques Brel, mais dans cette chanson spécifique il imitait la condescendance des artistes de la bohème de la modernité naissante qui, ayant perdu avec leurs mécènes leurs débouchés, avaient besoin de bourgeois nouveaux riches ou pas. Ces bêtes bourgeois, n’ayant aucune affinité pour l’art qui est l’expression la plus individuelle possible d’un sentiment le plus émotionnel possible, n’étaient bons que pour acheter leurs œuvres d’art, pour orner leurs salons en se donnant un air cultivé.
Traiter le bourgeois de cochon (en réalité il s’agissait pour Brel plutôt d’une certaine petite bourgeoisie bien pensante et pourvue d’argent), évite de le situer sur le plan social et politique : il ne s’agit pas de quelqu’un qui vit du travail d’autrui, mais d’un individu borné qui se roule dans son fric comme un cochon se roule dans la boue. Ainsi on escamote la nature réelle du bourgeois. Car celui-ci n’est pas un cochon, ni d’un point de vue métaphorique, ni d’un point de vue zoologique. J’aime bien, comme d’autres, manger des pattes de cochons, mais je n’ai aucune envie de manger des pattes de bourgeois. D’ailleurs la loi interdit l’anthropophagie et les bourgeois appartiennent à l’espèce Homo sapiens. La preuve ? Certains chantent du pop (comme la princesse Maroline de Conaco), lisent le philosophe Heidegger (Bazar de l’Hôtel de Lille), ou se font voir à l’opéra (comme Patrick Sel-d’Avoine). Il ne faut pas mélanger les genres.
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