En septembre dernier, le CNCD-11.11.11 a publié son rapport 2014 sur l’aide publique au développement (APD) de la Belgique. Le CADTM utilise ici ce précieux document ainsi que l’analyse de l’accord du nouveau gouvernement faite par le CNCD-11.11.11 pour rebondir sur quelques éléments liés à la dette publique, aux mesures d’austérité et à l’instrumentalisation de cette « aide ».
En Belgique, le montant consacré à l’APD est de 1,52 milliard d’euros en 2013. Cette somme correspond à 0,45% du revenu national brut (RNB), bien loin de l’objectif de 0,7% fixé au niveau international et que la Belgique s’est engagée à atteindre à de multiples reprises.
Après avoir frôlé cet objectif en 2010 (avec 0,64%), notamment grâce à l’allègement de la dette de la République démocratique du Congo (RDC), l’APD belge est depuis lors constamment en baisse. Soulignons, en effet, que les allègements de dettes sont comptabilisés dans l’APD, ce qui permet de la gonfler artificiellement. On parle donc d’ « aide fantôme ». Sont comptabilisés dans l’APD non seulement les allègements de dettes mais aussi les prêts accordés à des taux concessionnels (inférieurs à ceux du marché), les frais liés à l’accueil des étudiants étrangers ainsi que certaines dépenses liées à la répression des demandeurs d’asile…
Malgré l’inclusion de ces dépenses qui n’ont rien à voir avec le « développement », le budget de l’APD baisse et cette tendance va vraisemblablement se poursuivre avec le nouveau gouvernement. Le Ministre de la Coopération au Développement, Alexander de Croo, a clairement annoncé sa volonté de diminuer l’APD de 150 millions d’euros d’ici 2015 et d’aller jusqu’à une économie de 279 millions d’euros en 2019 |1|. Le prétexte est toujours le même : l’austérité est inévitable et doit toucher toutes les dépenses de l’État. Ce qui est faux. Le budget dédié au remboursement annuel de la dette (le service de la dette), qui constitue la première dépense de l’État fédéral, n’est absolument pas touché par l’austérité.
Les sommes remboursées chaque année sont pourtant colossales : environ 45 milliards d’euros (soit 20% du budget de l’État). De plus, une grande partie de cette dette est illégitime. Rappelons en effet que les sauvetages bancaires (Dexia, Fortis, Ethias, KBC) depuis 2007 ont gonflé la dette publique belge de 33 milliards d’euros |2|. Ce montant n’inclut ni les intérêts sur les emprunts contractés, ni les conséquences financières de la crise, elle-même causée par les banques et les gouvernements complices. La dette a, en effet, augmenté de plus de 100 milliards depuis la crise de 2007.
L’injustice fiscale constitue un autre facteur d’illégitimité de la dette belge. Ainsi, pour la seule année 2011, le SPF-Finances estime que l’État belge a vu s’échapper environ 60 milliards d’euros en exonérations et autres réductions fiscales |3|. À ces cadeaux fiscaux légaux mais illégitimes (puisqu’ils ne profitent qu’à une minorité alors que leur coût est collectivisé), il faut encore ajouter les montants issus de la fraude et de l’évasion fiscale. Selon le CNCD-11.11.11, ce montant s’élève à 30 milliards d’euros par an |4|. Ajoutons également les pertes liées à l’affaire « Luxleaks » |5|.
À côté de ces sommes, le montant de l’aide au développement paraît bien dérisoire, et pourtant, c’est encore trop pour le gouvernement. Par conséquent, le nombre de pays partenaires va être réduit, des projets de coopération au développement seront probablement interrompus et d’autres ne verront jamais le jour.
Toutefois, tous les acteurs de la « coopération au développement » ne reçoivent pas le même traitement puisqu’il apparaît que la Banque mondiale en ressort clairement gagnante. Selon les chiffres du CNCD-11.11.11, c’est la seule organisation qui bénéficie d’une aide en augmentation. La Belgique a augmenté de 18% ses contributions depuis 2010. À elle seule, elle reçoit en 2013 le quart des montants attribués au niveau multilatéral, ce qui équivaut à 130 millions d’euros |6|. Malgré la contribution importante de la Belgique, ses représentants à la Banque mondiale ne rendent aucun compte devant le Parlement.
Mais encore, rappelons que les programmes commandités par la Banque mondiale et les politiques qu’elle impose avec le FMI provoquent des violations de droits humains. En effet, les rapports doing business et benchmarking business of agriculture diffusés par la Banque mondiale vont à l’encontre des droit humains, tout comme les conditionnalités attachées aux prêts et aux allègements de dettes qu’elle octroie. Concernant les conditionnalités imposées par le FMI et la Banque mondiale, elles sont dénoncées par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Selon sa résolution 20/10 : « Chaque État a au premier chef la responsabilité de promouvoir le développement économique, social et culturel de sa population, il a, à cette fin, le droit et la responsabilité de choisir ses moyens et ses objectifs de développement et qu’il ne devrait pas être soumis à des prescriptions spécifiques venant de l’extérieur pour sa politique économique ».
De plus, la SFI (Société financière internationale), qui fait partie du groupe de la Banque mondiale, accorde des prêts à des fonds d’investissement et à des banques commercialesinstallées dans les paradis fiscaux, qui ensuite prêtent aux entreprises des PED. En d’autres termes, « les institutions de financement du développement acheminent des fonds via des paradis fiscaux, alors que les pays en voie de développement perdent chaque année des centaines de millions d’euros à cause de l’évitement et de l’évasion fiscales des entreprises ». Sur 42 fonds d’investissement alimentés par l’institution d’investissement belge, 30 d’entre eux seraient basés dans des paradis fiscaux. D’autre part, en 2012, il avait été découvert que BIO (une société belge d’investissement pour les pays en développement) avait utilisé des paradis fiscaux pour canaliser l’aide au développement.
Le contenu de l’accord du gouvernement qui, soulignons-le, ne parle à aucun moment de la dette des PED alors qu’elle constitue un obstacle majeur à la satisfaction des besoins humains fondamentaux et à la souveraineté de ces États.
Revenons à présent sur le contenu de l’accord du gouvernement qui, soulignons-le, ne parle à aucun moment de la dette des PED alors qu’elle constitue un obstacle majeur à la satisfaction des besoins humains fondamentaux et à la souveraineté de ces États. Outre l’importante diminution de l’APD, l’accord gouvernemental instrumentalise l’ « aide » au bénéfice du secteur privé belge. La Belgique conditionnera ainsi une partie de son « aide » à la signature par le pays bénéficiaire de contrats de biens ou de services avec des entreprises belges : « Les secteurs dans lesquels nous souhaitons nous concentrer dans nos pays partenaires dépendent en grande partie de la valeur ajoutée que nous pouvons offrir à nos entreprises, nos experts et nos universités sans porter atteinte au principe de l’aide déliée » |7|.
Ce n’est pas tout : le nouveau gouvernement opère une nouvelle fois une instrumentalisation de l’aide, mais cette fois dans le but de renforcer le contrôle des flux migratoires. En effet, le nouveau gouvernement dit vouloir choisir ses pays partenaires en fonction des régions d’origine des migrants, afin qu’ils ne quittent pas leur pays pour s’installer en Belgique.
Enfin, l’accord gouvernemental entend inclure les contributions de la Belgique au financement climatique international au budget de l’APD. La Belgique revient une fois encore sur ses engagements. En effet, suite à la déclaration de Copenhague de 2009, elle s’était engagée à ce que les financements destinés au climat et à la coopération soient additionnels. L’actuel premier ministre Charles Michel, alors ministre de la Coopération au développement en 2009, avait pourtant affirmé que « la notion de moyens additionnels est capitale ». Les ambitions de l’accord du gouvernement vis-à-vis du climat sont d’ailleurs d’une discrétion préoccupante : aucun chiffre n’est donné sur les mesures belges envers la lutte contre le réchauffement climatique, aucun engagement chiffré pour les réductions d’émissions de gaz à effet de serre, et aucune référence aux objectifs belges au Sommet de Paris en décembre 2015 ne sont exprimés |8|.
Pour conclure, le discours de l’Union européenne qui présente les mesures d’austérité comme inévitables sous prétexte d’une dette publique trop élevée, sert d’alibi au nouveau gouvernement belge pour se soustraire, entre autres, à ses engagement dans le domaine de la coopération au développement.
Le CADTM dénonce cette APD, qui n’a d’aide que le nom, et exige l’annulation totale et inconditionnelle des dettes du Sud à l’égard de la Belgique, qui sont largement odieuses, illégales et illégitimes.
Le CADTM dénonce cette APD, qui n’a d’aide que le nom, et exige l’annulation totale et inconditionnelle des dettes du Sud à l’égard de la Belgique, qui sont largement odieuses, illégales et illégitimes. Le montant total de ces créancesenvers les pays du Sud ne s’élève qu’à 2 milliards d’euros. Cela représente trois fois moins que le prix des derniers F16. Par ailleurs, cette annulation de dettes ne devra pas être comptabilisée dans l’APD, à l’instar de la Norvège qui a annulé en 2006 ses créances sur cinq pays du Sud au motif que ces dettes étaient reconnues comme illégitimes.
Enfin, l’aide au développement devrait être rebaptisée « fonds de réparation » afin de libérer l’expression de sa teinte condescendante et de tenir compte de la dette historique des pays du Nord envers ceux du Sud. Cette appellation pourrait constituer une première étape symbolique dans l’établissement de nouvelles bases pour les futures relations Nord/Sud.
Notes :
|1| http://www.lalibre.be/actu/movewith…
|2| http://cadtm.org/Sauvetages-ou-nauf…
|3| http://cadtm.org/Dettes-illegitimes…
|4| http://www.cncd.be/Accord-de-gouver…
|5| La Belgique a conclu, selon les données recueillies par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), 37 accords fiscaux secrets avec le Luxembourg au profit de 26 familles ou entreprises belges. Citons entre autres la famille de Spoelberch (AB Inbev), le Groupe Bruxelles Lambert d’Albert Frère mais également des sociétés comme Belgacom, Banque Degroof, Dexia (d’avant l’ère Belfius) ou encore la branche belge de British American Tobacco. Résultat : des milliards d’euros ont échappé au fisc belge, privant ainsi l’État d’importantes ressources financières. Voir : http://www.rtbf.be/info/economie/de…
|6| Rapport 2014 sur l’aide belge au développement, publié par CNCD-11.11.11.
|7| Accord de gouvernement, 9 octobre 2014.
|8| http://www.cncd.be/Accord-de-gouver…
Source : CADTM