De ces temps-ci on parle beaucoup dans les gazettes des deux camps qui « s’affrontent » : ceux qui veulent aller travailler (« c’est mon droit ») et ceux qui veulent les empêcher d’y aller.
Il y a pourtant une autre catégorie dont on parle moins et que j’appellerais les « employés modèles ».
Je prends un exemple à peine fictif. Ils sont 9. Ils travaillent ensemble dans un Service Public Fédéral. La plupart du temps ils s’emmerdent au boulot (ou ils emmerdent les autres). Ils se plaignent de tout : des résultats d’Anderlecht, de la météo, du coût de la vie, des programmes télé et parfois un peu des politiciens. Bref des gens normaux.
Et puis il y a eu cette annonce : on va faire grève. D’abord des tournantes (« comme d’habitude c’est d’abord les Wallons, après on s’étonnera que les usines foutent le camp »). Et bientôt une grève générale…
Le premier réflexe, après avoir refermé la DH, c’était d’en discuter pour savoir comment on allait s’organiser. Pour ne pas la faire. Pendant trois ou quatre jours c’était l’incertitude : il va y avoir des piquets ? Et le chef il va savoir venir ? Et si je ne peux pas passer, qui va me payer ? Je ne vais quand même pas prendre un jour de congé (bon il m’en reste 67 de l’année passée…) ? Et puis le premier lundi fatidique approchait.
En allant manger leur sandwich le vendredi midi, M. et R. (initiale d’emprunt) eurent une idée : « si on désignait quelqu’un pour venir à 7h45 lundi pour voir s’il y a des blocages ? Si c’est bloqué il nous téléphone et on reste à la maison ». N. et V. (idem) se demandaient qui allait venir en éclaireur. A. (re-idem) se porta volontaire (« de toute façon j’ai une petite course à faire »). On échangea donc les numéros de téléphone. Chacun espérait bien que le chef ne viendrait pas et que les abords du bureau seraient bloqués. D’ailleurs ils avaient tâté le terrain auprès d’une autre fonctionnaire, toujours dans les mauvais coups avec les syndicats, pour savoir ce qui se tramait. Sa réponse évasive était bon signe : les gauchos complotaient-bien contre l’Etat. La voie était libre pour avoir un jour de congé à l’œil.
Moralité
Dans la bande des 9 on a appris beaucoup : d’abord on a discuté ensemble d’autre chose que de la météo de merde. On a échangé nos numéros de téléphone. On s’est organisés. Et on a réussi.
La grève fut néanmoins un succès. Grâce aux grévistes et surtout à l’impact que les interminables discussions des « employés modèles », avant et après la grève, plus leur absence lundi ont eu sur le service. Il ne reste plus qu’à remettre ça le 15 pour réussir la grève générale.
Post Scriptum
Le lundi 24, A. qui s’était porté volontaire pour détecter les mouvements subversifs, alla faire « faire sa petite course » avec M. qui n’avait pas envie de rester chez elle avec son mari qui avait pris un jour de récup. à la Ville pour ne pas se mettre en grève. N. commenta un article sur le site de la DH : « c’est quand même un vrai scandale, des grévistes haineux et bourrés m’on empêché d’aller voir ma famille mourante ». Et V. se tapa un super mal de tête toute la journée.
Edgard