La Gauche : Quelles sont tes impressions sur la campagne électorale, et des listes PTB-GO en particulier, jusqu’ici ?
Isabelle Stengers : Ce que je vois c’est qu’après les élections, il y a un risque de blocage en cas de succès de la N-VA, mais de toute façon c’est le même « en pire » qui nous est promis. La seule vraie inconnue, et pour l’instant ça se présente plutôt bien, c’est le score des listes PTB-GO. Je rencontre pas mal de gens qui me disent qu’ils vont voter pour ces listes, notamment suite à l’appel Gauche d’ouverture et à la création du comité de soutien pour celles-ci. Ça va au-delà d’un simple ras-le-bol. La participation à ce comité de gens comme Josy Dubié ou moi-même a été entenduecomme un signal que quelque chose bougeait, et que le vingtième siècle était derrière nous. Il était temps ! Un certain nombre de gens n’aurait sans doute pas fait le pas pour le PTB seul, en raison de son passé, mais la démarche PTB-GO fait sentir une réelle ouverture, et ça donne envie de dire oui à cette ouverture, de la cultiver. C’est extrêmement efficace. Je n’ai pas été associée de manière active à la campagne PTB-GO jusqu’ici, mais ce que j’ai remarqué c’est que l’existence même de ces listes « fait » déjà campagne. Il y aussi eu un effet de surprise chez une série de personnes, parce que c’est un réel évènement politique, pas un simple « coup électoral ». Personne ne pense par exemple que la LCR a pris cette décision à la légère, mais bien qu’il y a eu prise de conscience de la gravité de la situation et des responsabilités qui en découlent.
Que penses-tu de nombreuses réactions politiques et médiatiques qui renvoient à ces débats du vingtième siècle, au stalinisme, au maoisme, au trotskisme, etc. ? D’autres avancent l’alternative infernale avec un sophisme qui se résume à « si on vote PTB-GO, on déforce PS et Ecolo et on renforce la N-VA et le MR »…
Je crois que beaucoup jouent à se faire peur. C’est aussi une réaction à la création de ce comité de soutien constitué de personnes qui n’ont jamais été partisanes du stalinisme et qui aboutit à une dédiabolisation de la gauche radicale. C’est de cette dédiabolisation dont ils ont peur. Pour certains, c’est comme si le PTB allait faire 53% le 25 mai ! Si c’était le cas, ça se saurait, et cela signifierait une transformation sociale radicale, pas la victoire d’un parti, quel qu’il soit ! L’enjeu cette fois-ci c’est de rassembler des voix qui hurlent et non de savoir si le PTB est prêt à assumer les responsabilités de gouverner le pays. Les problèmes du 21ème siècle sont tellement urgents et criants qu’il faut sortir des polémiques passées entre le stalinisme, le trotskisme, etc. Nous avons une telle pente à remonter en matière de pensée, d’organisation, de résistance à tous les niveaux… La vraie menace aujourd’hui, c’est plutôt le traité transatlantique qui risque de nous dépouiller de toute possibilité de résister, sans la moindre discussion démocratique, au profit d’institutions du libre marché comme l’OMC, et non le risque d’autoritarisme du stalinisme. L’argument sur la N-VA et le MR c’est vraiment une alternative infernale qui veut nous convaincre de tout accepter, parce que sinon ce serait pire. Se taire pour ne pas exciter l’ennemi, la N-VA, c’est faire de l’antipolitique, et c’est précisément ça qui amène le pire. Je comprends la peur de certains des conséquences si le PS est renvoyé dans l’opposition. Mais cette peur contient un profond désespoir, une profonde résignation, la logique du moindre pire. Cette logique anesthésie toute résistance dans la société. La « responsabilité » à laquelle font appel PS et Ecolo est une responsabilité irresponsable, qui ne prend pas en compte le désespoir dans la population. La grande exclusion des chômeurs en 2015, mesurette qui ne rapportera pas grand chose, ça a peut-être permis d’éviter encore autre chose, mais symboliquement, là, le PS est allé un pas trop loin. Si c’est pour faire ça, il vaut mieux qu’ils soient dans l’opposition.
Tu mentionnes la nécessité de l’émergence d’une nouvelle voix de gauche et le traité transatlantique. Quels sont, selon toi, les autres enjeux politiques du vote ?
Le désordre climatique et les catastrophes qui nous attendent! C’est une lutte en soi d’arriver à faire comprendre comment ceux-ci sont consubstantiels à la dynamique destructrice du capitalisme, et pas le produit d’un « péché humain » qu’on pourrait régler par une prétendue « sagesse » individuelle et apolitique, dans une conception culpabilisante issue du catholicisme…C’est pourquoi Ecolo est à côté de la plaque. On paie encore l’occasion manquée par sa bonne volonté « ni de gauche ni de droite » – même si cela a un peu changé, cela reste consensuel, incapable d’imaginer le style de lutte qui lui serait propre. On ne lutte pas pour des éoliennes ! Même le PTB qui, traditionnellement, n’a pas une fibre écologique, prend en compte, avec la Gauche d’ouverture, la question de la crise climatique. Il ne s’agit pas de moraliser, comme l’a fait Ecolo, mais de politiser la question du réchauffement climatique. Et ceci est d’autant plus important qu’il existe des tendances quasi-négationnistes à ce niveau-là dans certains groupes d’ultragauche. Celles-ci sont en partie le fruit des alternatives infernales, du style « sauver l’emploi ou sauver la planète », qu’on veut imposer à la gauche anticapitaliste.
Quelles sont les raisons pour lesquelles tu as signé l’appel à voter PTB-GO et qu’en penses-tu aujourd’hui ?
Premièrement, il me semblait important de faire face aux accusations de populisme contre tout ce qui rappelle qu’il existe une lutte politique, qui trouble le consensus défendant la nécessité des mesures d’austérité « pénibles mais nécessaires ». Dans les années 1990, on parlait de « pensée unique » néolibérale, mais celle-ci afffichait une prétention au progrès. Même cette prétention a disparu, il ne reste que la « malheureuse nécessité », le désespoir. Alors on sort la carte du populisme. Je pense notamment aux amalgames entre l’Aube Dorée et le PTB sur la RTBF. Et deuxièmement, précisément pour empêcher une « Aube Dorée à la belge » et faire rempart à la xénophobie, à la haine et au mépris des perdants qui est en hausse sur l’Europe. Quand il n’y a plus d’espoir pour l’avenir, c’est le pire qui apparaît. Le PTB-GO constitue une alternative qui permet de dire non, de donner voix au « ça ne va pas » général, sans plonger dans la haine des partis xénophobes ou racistes. Il offre une possibilité d’expression de la colère à gauche, qui rappelle les vertus de la solidarité.
Ce n’est pas uniquement par les élections que les choses pourront changer. Une perspective s’ouvre aussi après les élections selon toi ? Et si oui, quelles sont les tâches des composantes de PTB-GO pour l’après-25 mai ?
Là, le rôle de syndicalistes et de leur appel pour favoriser l’émergence d’un relais politique anticapitaliste à gauche est fondamental. Les élections pourraient constituer une ouverture pour eux aussi. Et en Belgique, quand les syndicats bougent, ça se sent ! La quasi-résignation actuelle, où les syndicats sont dos au mur, est en partie compréhensible. Mais la création d’une alliance politique et la diffusion d’informations qui font penser, comme le fait par exemple Marco Van Hees, ça aide. En ce qui concerne nos tâches à toutes et tous, il est important de se saisir de ce moment commun, et la possibilité de faire vivre une perspective anticapitaliste déterminée. Nous avons pour tâche de faire converger les luttes sociales avec une lutte anticapitaliste en tant que telle. La Gauche d’ouverture, ça signifie non pas oublier le passé, ou perdre la mémoire, mais tourner la page et s’ouvrir politiquement. Pour ça, il est nécessaire de faire renouer le militantisme politique avec activisme anticapitaliste. Il est important d’apprendre à s’adresser à une série de milieux a priori pas spécialement habituels de la gauche anticapitaliste parce que le capitalisme est en train de leur donner une fameuse leçon de choses, de démontrer qu’il est irréconciliable avec un avenir digne de ce nom. La simple description du monde aujourd’hui est déjà extrêmement efficace d’un point de vue pédagogique. Plus on en apprend, moins est crédible l’idée que nous serinent nos « responsables » politique, que ce n’est qu’une crise, qu’il suffit de serrer les dents, de fabriquer un budget à l’équilibre et de prier pour la croissance. Le Traité transatlantique par exemple, est typique. Il demande d’accepter de se retrouver pieds et poings liés, alors qu’on aurait besoin de multiples bras pour fabriquer l’avenir. Il y a une contradiction criante entre la désertification néolibérale et le repeuplement de problèmes, de manières de faire, d’idées, d’imagination qui devrait avoir lieu, qui a un potentiel de politisation radicalement anticapitaliste. On a besoin de relayer et de prolonger les informations produites par les groupes activistes sur le rôle des lobbys qui dictent leur politique aux gouvernements, sur ce qu’ils lui font faire, sur ce qu’on est en train de laisser faire. Même les libéraux de la vieille école pourraient être intéressés. Même les climatologues, qui s’en tenaient à « la science », sortent du bois. « Capitalism is fucking the planet » entend-on dans les colloques !
Alors dans tout ça, certains rêvent peut-être que les listes PTB-GO soient un « one shot », mais je pense que beaucoup de nouveaux militant.e.s et sympathisant.e.s de gauche, du PTB, prennent sérieusement ce moment et ne veulent pas le laisser tristement tomber. Ce moment c’est demain aussi. Raoul Hedebouw l’a d’ailleurs bien rappelé, des élus, c’est important, mais les vraies victoires, c’est sur le terrain, dans la rue, dans les usines, dans les apprentissages des pratiques d’insoumission dont on a besoin partout. Ce qui est important par exemple, c’est ce qui va se passer en janvier 2015, quand des dizaines de milliers de chômeurs seront jetés sur le pavé. Le rapport entre politique et syndicats est une inconnue, mais de ce point de vue aussi, il est crucial que les composantes de PTB-GO restent dans une coalition unie. Bref, il s’agit de ne pas décevoir ceux et celles pour qui cette coalition a un sens, qui se sentiraient trahi.e.s, encore une fois, si elle se défaisait. Donc cela vaudra vraiment la peine de continuer un dialogue et un débat respectueux, avec de la patience. Le comité de soutien pourra encore jouer un rôle pour approfondir la dynamique après un succès des listes PTB-GO. Et surtout les très nombreuses personnes qui se sont jointes à l’appel et qui se mêleront de ce qui, désormais, les regarde.
Interview réalisée par Mauro Gasparini et Mathieu Desclin