« L’enfer, c’est le paradis regardé de l’autre côté » C’est ce qu’écrivait Umberto Eco dans son célèbre roman Le Nom de la rose… La plupart des sociétés écrans offshore sont vues en Occident comme un moyen de se soustraire à l’impôt. En Afrique, l’évasion fiscale prend d’autres formes tandis que les sociétés offshore remplissent une fonction différente, bien plus nocive…
En effet, elles y facilitent le pillage des ressources naturelles du continent au profit des dirigeants africains et des multinationales.
L’évasion fiscale, une industrie bien rodée
L’essentiel de la fraude fiscale dont sont victimes les pays africains vient des pratiques des multinationales qui ont à leur disposition tout un panel pour optimiser leur fiscalisation, notamment la politique du prix des transferts. L’idée est simple : laisser l’essentiel des charges de l’entreprise dans le pays producteur et payer des frais surévalués de centrale d’achat, de droits de marque, de logistique, d’informatique, de distribution, de service juridique à des sociétés offshore appartenant à la multinationale. Ainsi, c’est environ 40 milliards de dollars qui sont sortis illicitement de l’Afrique en 2010 [1].
C’est avec ce type de manipulations comptables que Jersey, l’île anglo-normande et paradis fiscal, est devenue le premier exportateur mondial… de bananes !
Si les fuites des Panama Papers font apparaître que les proches des dictateurs africains ont des comptes dans les sociétés offshore, ce n’est pas pour échapper aux impôts. Si on prend l’exemple de « Kiki le pétrolier », sobriquet du fils de Sassou-Nguesso à la tête de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) et de la raffinerie nationale Coraf, sa société offshore Phœnix Best Finance Ltd n’a pas pour but l’évasion fiscale. En effet, quel inspecteur des impôts serait suffisamment inconscient pour s’intéresser au fils d’un dictateur qui n’hésite pas à bombarder, avec ses hélicoptères de combat, la région de Pool située au sud de la capitale Brazzaville pour asseoir son pouvoir après une farce électorale ?
Corruption
Le rôle des comptes offshore que détiennent les membres des clans des dictateurs, a une fonction bien plus nocive pour leurs pays car ils facilitent la corruption. C’est le cas par exemple de Mamadie Touré, la quatrième femme de Lansana Conté (dictateur guinéen qui a sévi pendant vingt ans dans les années 80). Elle s’est trouvée à la tête de la société Matinda Partners and Co Ltd, ce qui lui a permis d’engranger les fruits d’une corruption en vendant les droits d’exploitation d’un des plus grands gisements de fer du pays.
Idem pour John Bredenkamp, vieux routier de la finance illicite, qui a commencé par vendre des armes à la Rhodésie, sous embargo pour cause d’apartheid, puis est devenu un proche de Mugabe lors de la libération du pays qui a pris alors le nom de Zimbabwe. A la tête de Tremalt Ltd, cette société va jouer un rôle dans le financement occulte de l’état-major de l’armée zimbabwéenne qui prêta main-forte à Laurent Désiré Kabila. Tremalt Ltd va, pour 400 000 dollars, prendre possession de six mines de cuivre et de cobalt estimées à plus d’un milliard de dollars.
Argent sale et hypocrisie
Ces sociétés permettent et favorisent la corruption à grande échelle des dirigeants africains, au détriment d’investissements dans l’éducation, la santé et le social pour les populations.
Elles permettent aussi le blanchiment de l’argent sale issu de différents trafics illicites : cigarettes, prostitution, traite humaine, drogue… Le Mali est un bon exemple de l’hypocrisie occidentale : il est de notoriété publique que les milices pro et anti Bamako trempent, à des degrés divers, dans le trafic de cocaïne. Et parfois, l’hypocrisie frise la complicité : en France, le pouvoir a usé de tous les artifices pour freiner l’enquête sur les biens mal acquis des Bongo, Teodoro Obiang et Sassou-Nguesso.
C’est avec ce type de société offshore que les dictatures peuvent se maintenir en développant un réseau clientéliste. En effet, ce sont ces clans qui entourent les dictateurs et les poussent à se maintenir au pouvoir, au prix du sang versé par les populations. Les paradis fiscaux transforment l’Afrique en enfer social.
Paul Martial
P.-S. :
* Afrique : « L’enfer, c’est le paradis regardé de l’autre côté ». Paru dans l’ Hebdo L’Anticapitaliste – 333 (21/04/2016) :
https://npa2009.org/actualite/international/afrique-lenfer-cest-le-paradis-regarde-de-lautre-cote
Notes
[1] Conférence conjointe UA/CEA des ministres des Finances, de la Planification et du Développement économique (2011) « Flux financiers illicites : rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique », p. 105, http://www.uneca.org/fr/publications/fluxfinanc…. Selon le rapport, ce montant pourrait même être supérieur.