Croissance et capitalisme
Cependant cette thérapie de choc n’est pas forcément viable, même du point de vue des intérêts capitalistes, et c’est le troisième temps de l’analyse : ce rétablissement du profit se fait au détriment de la croissance. Or, le capitalisme a besoin de croissance pour garantir la possibilité même de profits. C’est ce qu’il y a de plus inquiétant au fond dans la conjoncture actuelle : le capitalisme européen apparaît comme le plus fragile, il ne peut compter que sur les marchés étrangers ou sur la course à la compétitivité qui ne peut que nourrir la récession, et cela veut dire aussi que les suppressions d’emplois vont continuer. L’Europe est donc plongée dans une crise à trois étages : une crise des dettes souveraines, une crise spécifique de la zone euro et enfin une crise larvée de rentabilité du capital : sous les dettes, il y a la question du profit.
Une stratégie de rupture
Cette crise est donc très profonde et appelle des solutions radicales, qui tournent autour de deux questions-clé : la répartition des revenus et la construction européenne. La répartition des revenus doit être modifiée par l’annulation de la dette illégitime, la réduction de la part des revenus financiers, l’augmentation des salaires et la réforme fiscale. C’est la condition pour créer des emplois par réduction du temps de travail et par l’investissement public, notamment dans les secteurs contribuant à la transition écologique.
La construction européenne doit viser à l’harmonisation entre des pays à structures économiques très différentes à travers un budget européen permettant de financer des fonds d’harmonisation, et d’assurer la convergence des législations fiscales (par exemple un impôt unifié sur le capital) et sociales (par exemple un système européen de salaires minimum). Un tel projet se heurte frontalement aux intérêts sociaux dominants qui organisent pour leur part une violente régression sociale. Il doit servir de perspective aux luttes de résistance et s’appuyer sur une stratégie de rupture unilatérale avec l’Europe néolibérale : le premier verrou à faire sauter est sans doute l’interdiction faite aux banques centrales de financer le déficit budgétaire.
*Michel Husson, économiste
Michel Husson est économiste à l’IRES (Institut de Recherches Économiques et Sociales). Il vient de publier Le capitalisme en 10 leçons (éditions La Découverte) ainsi que Salaire et compétitivité en collaboration avec Reginald Savage (éditions Couleur Livres)
Source : http://www.rtbf.be