« Les tenants du système pensent qu’ils peuvent plaquer leurs mots sur nos souffrances, à l’image de ces licenciements frauduleusement rebaptisés « plans sociaux », puis « plans de sauvetage de l’emploi ». Violence sociale rime avec violence verbale. Les labels grossiers que le marché appose sur ce que nous sommes, tel ce titre obscène de « coût du travail » censé désigner la classe salariale qui produit les richesses, ne font pas qu’inverser les sujets, ils nous fustigent, nous culpabilisent et nous déshumanisent. Exploiteurs et oppresseurs entendent ainsi nous parquer dans le stade ultime de notre domination, celui où ils nous privent, en plus de tout le reste, de notre capacité à exprimer notre condition. Dans cette optique, leur harcèlement lexical s’avère plus efficace qu’un lavage de cerveau éclair. Si bien que, harcelés par le flot incessant de ce verbe officiel, assaillis par ce nouveau vocabulaire, nous finissons par ne plus parler notre langue, mais la leur » (1).
« Décrypter le langage néolibéral, appelé Novlangue, permet de voir que le langage utilisé abondamment par les économistes, les politiques et les medias nous impose d’accepter la dérégulation sociale et l’accroissement des inégalités. La répétition incessante des mots « austérité, compétitivité, handicap salarial, poids de la dette publique », ce ne sont pas que des « paroles-paroles », cela a un impact réel sur notre vie quotidienne, sur notre emploi (ou pas), sur nos revenus…Voir et comprendre ces mots permet de montrer au grand jour les stratégies qui se cachent derrière et de réaffirmer que notre choix de société n’est pas celui-là, mais bien celui de l’égalité, de la solidarité et du bien-être collectif » (2).
-Ils nous parlent de « dialogue, de pacte social », d’ « unité nationale », « d’économie collaborative ». Il ne faudrait plus parler de salarié/e/s, mais de collaborateur/ice/s et surtout pas de « lutte de classes », cela fait ringard, 19ème siècle ! « Nous sommes tous sur le même bateau » ! Début juin 2016, soixante patrons lançaient un appel « aux acteurs politiques et sociaux à se reprendre, à préférer l’écoute et la concertation à l’affrontement » (3). Drôle de chassé-croisé entre le vécu et le vocabulaire ! Sur le bateau, c’est quand-même toujours nous qui ramons ! « Le rapport salarial entre un employé, qui vend sa force de travail manuel ou intellectuel, et son employeur, qui la lui achète, ne peut être considéré comme d’égal à égal. Il s’agit d’un rapport de subordination, qui n’a rien de l’entente « à l’amiable (…). Rien de plus excluant dans l’entreprise que le statut de salarié. Le salarié est dépossédé de ses moyens de production, de la valeur qu’il apporte aux choses qu’il fabrique et aux services qu’il rend. En outre, il peut être privé de son emploi du jour au lendemain» (4).
Fondamentalement, depuis la naissance du système capitaliste, rien n’a changé : nous sommes dans la conflictualité des rapports sociaux (lutte de classe !) entre les possédants (des moyens de production – les capitalistes) et les salarié/e/s. Ce sont les rapports de force sur le terrain, dans les luttes – et non les mécanismes de concertation sociale- qui sont à la base des conquêtes sociales.
-Ils nous parlent de « coût du travail » trop élevé ! Voilà qu’avec la « crise », des millions de salarié/e/s, avec ou sans emploi, sont rebaptisé/e/s « coût du travail » ! Force de travail, achetée par les détenteurs des moyens de production, nous voilà devenus des charges et des boulets : en deux mots le problème ! Ils veulent occulter la vérité : les travailleur/euses leur ramènent bien plus de valeur ajoutée qu’ils/elles n’en perçoivent en retour, sous la forme des salaires. Comme disent les Métallos de la FGTB, « sans notre travail, leur capital ne vaut pas un balle » ! Et de plus, le « coût du travail », de la force de travail ne fait que diminuer à cause de la productivité horaire, elle qui n’a fait qu’augmenter depuis des dizaines d’années. Ce travail gratuit, cette plus-value extorquée aux travailleurs, est la source de plantureux profits. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2014, les entreprises non financières belges ont réalisé plus de 57 milliards de profits. Elles en ont redistribué 54 milliards à leurs propriétaires (leurs actionnaires) sous forme de dividendes. Cette dénomination « coût du travail », hypocrite, déshumanisante, culpabilisatrice en dit long sur la duplicité de grands patrons et politiciens !
-Capitalisme « sauvage ? Ah, pas de ça ! On parlera plutôt d’ « économie sociale (et écologique) de marché », et encore d’ « économie sociale de marché hautement compétitive » (article 1er du traité constitutionnel européen). Une manière de crédibiliser une économie mixte combinant un secteur privé dynamique et un secteur public efficace, ou encore de justifier les privatisations ! Nos politiciens de droite ou de « gauche » pensent avoir trouvé, dans cet oxymore linguistique, une issue verbale à leur ralliement, assumé ou non, à une économie capitaliste basée sur la concurrence (qu’ils appellent compétitivité !), poussant au maximum de profit, à la recherche persistante de l’accumulation sans fin du capital, et donc à la (sur)exploitation et l’aliénation des travailleurs.
-Le win-win : le « gagnant-gagnant » ! « C’est la tarte à la crème de toutes ces belles personnes qui trônent au sommet du pouvoir et qui réclament de nous toujours plus de sacrifices. Et nous serions censés être les premiers gagnants de nos pertes. Renoncer à tout ou partie de nos acquis sociaux, au fait d’avoir encore un travail, aurait pour contrepartie une meilleure santé de nos entreprises, qui, demain, pourront à nouveau embaucher. Se passer de la prestation de services publics, faute de moyens que lui extirpe le gouvernement au profit d’entreprises privées, c’est soi-disant investir dans notre avenir, parce que, demain, ces mêmes entreprises pourront développer le travail » (5). Bon nombre de salariés peuvent témoigner de ce jeu de dupes !
-« Trop d’impôts », « rage taxatoire » ! Non seulement, ils veulent nous faire perdre de vue l’utilité de l’impôt pour le financement des services publics, mais aussi le fait que plus le contribuable est aisé, moins il paye d’impôts : pas d’impôt sur la fortune, sur les plus -values boursières, moins de 5% d’impôts sur les 50 entreprises multinationales les plus bénéficiaires ! Et pour couronner le tout, nos services publics sont privés de milliards d’euros que l’Etat attribue aux plus mauvais payeurs, tels que les magnats de l’industrie et des banques !
-Ils voudraient détruire la sécurité sociale à petit feu, à la grande joie des compagnies d’assurances qui lorgnent, depuis des années, sur ce marché juteux ? On va alors parler de charges sociales (c’est lourd, ça handicape, ça paralyse !) au lieu de cotisations sociales (une contribution commune et solidaire !)
-Le « poids » de la dette publique ! Qu’évoque d’emblée ce poids ?
« Selon le discours dominant, les pouvoirs publics auraient dépensé sans compter et les Belges auraient profité de manière inconsidérée des soins de santé, des pensions et d’autres avantages(…). Les Belges auraient vécu au-dessus de leurs moyens (…). .Il faut payer la dette ; l’austérité est une nécessité ; les réformes structurelles et les sacrifices sont un mal nécessaire (…). Voilà en résumé le principal message diffusé dans la population par la majorité des partis traditionnels, des mandataires politique, et par les grands medias, privés et publics » (6). D’où l’importance de travaux, comme celui de l’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) pour répondre aux questions : d’où vient la dette ? Qui en a profité ? A quoi a servi l’argent ? L’ACiDe avance des mesures concrètes pour sortir du cercle vicieux de la dette et de l’austérité.
-Les grèves ? Relayant le discours patronal et la fermeté gouvernementale, les medias préfèrent évoquer des mouvements de « grogne sociale », de « grèves sauvages », ou encore de « prises d’otages » de travailleurs revendiquant le droit de travailler (à ne pas confondre avec le droit au travail).
Ces expressions, qui renvoient au registre animalier, tentent insidieusement de discréditer les objectifs et méthodes de lutte.
-« Activation des chômeurs » ! Ben voyons, le système n’est coupable ni responsable du chômage ! Activez-vous dans la recherche d’emploi, si non, c’est la sanction ! Ce n’est pas l’emploi qui manque ! Ce sont des « experts » qui le disent, alors, ça doit être vrai !
-Renommer les « sans- papiers » en « clandestins », voilà bien une victoire verbale de l’extrême-droite, pour pousser à un renvoi massif et expéditif…Or, les réfugiés sont pour une grande part des demandeurs d’asile (ils ne sont pas entrés clandestinement !), qui ont vu leur demande rejetée et se trouvent sans papier. Dès lors, Ils ne bénéficient d’aucune allocation. Ils ne parasitent pas la sécurité sociale. Ils n’ont droit qu’à l’aide médicale d’urgence. Par contre, des employeurs peu scrupuleux n’hésitent pas à les faire bosser au noir, en les payant très peu et dans des conditions exécrables.
« Sans crier gare, le néolibéralisme a colonisé les esprits en nous martelant avec des mots dont la transformation progressive de sens est lourde de conséquences. Elle convainc une grande partie de la population qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme. Ce lavage de cerveau tente de casse l’espoir que des alternatives sont possibles (…). Démasquons les mots qui mentent » ! (7)
- Olivier Besancenot, Petit dictionnaire de la fausse monnaie politique, Le Cherche Midi 2016, pp.9 et 11.
- Monique Van Dieren, Edito du n° 170, septembre-octobre 2015, du bimestriel « Contrastes » des Equipes Populaires.
- La Libre Belgique du 9 juin 2016.
- Olivier Besancenot, ibid, pp. 14 et 31.
- O.Besancenot, ibid, p.84
- Audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe), octobre 2014 : Comment briser le cercle vicieux de la dette et de l’austérité.
- Contrastes, Démasquons les mots qui mentent, dossier pédagogique des Equpes Populaires, bimestriel n° 170, septembre-octobre 2015