En ce mois de janvier 2015 des millions de Français ont investis les rues en défense de la liberté d’expression et pour condamner le terrorisme.
Dans ma qualité de mécréant (mais est-ce une qualité ?) je ne me sens pas offensé quand on se moque d’une religion spécifique ou de la religion en général. La persistance de la pensée religieuse dans un monde désenchanté mérite étude et non pas moquerie. Je me sens pourtant offensé quand on se moque de ma dignité humaine, par exemple quand on affiche un mépris envers ce que je pense ou ressens en tant que membre responsable de la communauté humaine. Se moquer non pas des institutions religieuses qui le méritent, mais de la religion d’une personne, s’est afficher du mépris, la considérer comme quelqu’un d’inférieur par rapport à celui ou celle qui se prétend au-dessus de toute superstition, oubliant que tout un chacun n’échappe pas à quelque superstition ou à quelque idée fantasmagorique ou anti-scientifique. On n’avance pas vers un monde meilleur, à une harmonie sociale souhaitée en méprisant les gens, en proclamant qu’ils sont des cons. Certains athées et autres laïcards oublient souvent cette vérité, en se prenant pour les dirigeants éclairés (et en fin de compte despotiques) des masses incultes. L’émancipation des travailleurs est l’œuvre des travailleurs, et non pas d’un dieu, d’un césar ou d’un tribun, disait le barbu de Trèves, tout en proclamant que les philosophes avaient interprété le monde de diverses manières, qu’il s’agit au contraire de le changer. On ne change pas le monde en montrant aux écoliers les caricatures du Prophète, comme certains instituteurs imbéciles ont fait. Charlie-Hebdo ne veut pas changer le monde, il s’amuse de ses idioties. C’est son droit, mais c’est aussi sa limite.
Chaque fois qu’on entend prononcer le mot liberté il faut se demander ce que l’on considère comme liberté. La liberté d’entreprendre ? D’exploiter son semblable en droit mais non socialement ? Pour les classes supérieures dans l’Ancien Régime la liberté c’était ne pas devoir payer des contributions et autres taxes. C’était une liberté de ne pas devoir, tandis que dans un régime ultra libéral c’est la liberté de pouvoir… Notre liberté de presse n’est pas une liberté à pouvoir dire ce que l’on veut. Ainsi on ne peut diffamer. Dans certains pays on ne peut même pas contester l’interprétation historique déterminée par l’État, comme si c’était à lui et non pas à la communauté des historiens dans leurs ensemble de donner des interprétations de l’histoire. Je pense ici aux génocides du XXe siècle. Les réfuter comme font les « révisionistes » est considéré comme une insulte blessante non seulement envers les rescapés mais aussi envers leurs enfants et petits-enfants. Dans certains États, non seulement islamiques mais aussi « chrétiens » comme la Grande-Bretagne, le blasphème est considéré comme un crime.
Je ne suis certainement pas en faveur de l’interdiction du blasphème. Si j’étais religieux je dirais que Dieux est trop grand pour se sentir offensé par le blasphème, tandis que ceux qui se permettent de parler au nom de Dieu, comme le font les fous de Dieu, commettent un vrai blasphème. Je veux simplement dire que chaque fois qu’on critique ou on se moque de certaines choses, on doit penser aux possibles effets contre-productifs. Comme le dit Ahmed Jaballah, ex-président de l’Union des organisations islamiques de France et directeur de l’Institut Européen des Sciences Humaines de Paris (Le Monde 16 janvier 2014) : « Mais, au-delà de cet aspect légal [les limites démocratiques] je suis convaincu que la liberté d’expression gagne à être utilisée avec responsabilité et dans le respect de la dignité de l’autre. Chacun d’entre nous a déjà été indigné par des propos qui respectent la légalité mais qui abîment le vivre-ensemble. Comment, dans une société de diversité, exercer sa liberté sans nuire au vivre-ensemble ni offenser l’autre dans sa dignité. Voilà une question qui doit être sereinement débattue. » Il est superflu de noter que Mr Jammalah n’invoque pas cette question pour excuser le crime contre les dessinateurs de Charlie-Hebdo, bien au contraire, il le condamne sans restrictions. Mais il veut regarder derrière ce que l’on voit au premier abord.
Ce n’est pas ce que fait l’écrivain en vogue Michel Houellebecq qui se base sur la superficialité des choses pour produire des pensées profondes. Le télescopage du numéro de Charlie-Hebdo consacré à son nouveau roman Soumission avec la tuerie au siège du magazine satirique, mérite un commentaire. De nouveau cette publication à donné la parole à un islamophobe obsédé et un misogyne maladif. Houellebecq, dont on ne peut nier les qualités stylistiques, a une façon de nier l’humanité des gens, cela au nom d’une certaine conception sociobiologique, tout comme les djihadistes le font au nom d’une certaine idée religieuse. Dans ce même numéro du Monde Christine Angot s’insurge : « Houellebecq ne fait pas de différence fondamentale entre chien et humain, animalité et humanité, regard morne de l’animal et regard de souffrance de l’humain. (…) Soumission est un roman, un simple roman, mais c’est un roman qui salit celui qui le lit. Ce n’est pas un tract mais un graffiti : Merde à celui qui le lira. »
citation: Karl Marx
image: Little Shiva