Lors du référendum, la proposition d’une Écosse indépendante a été battue. Les élites dirigeantes ont exprimé un soupir de soulagement, énorme et collectif. C’est une défaite fondée sur la peur et l’intimidation organisées par la campagne pour le « non », en collusion avec Downing street et qui a abouti au résultat de 55,3% de « non », contre « 44,7% » de « oui ».
Tout l’establishment de Westminster ainsi que les trois principaux partis s’étaient regroupés contre le « oui ». A cette coalition, on peut ajouter la très grande majorité des médias, des banques, des supermarchés et la City de Londres (1). La caste militaire est également intervenue dans le débat, en défense des Tridents. En exploitant la peur, en ayant recours à l’intimidation, en faisant appel à toutes sortes de réflexes réactionnaires et conservateurs, ils ont réussi à l’emporter sur l’une des plus remarquables campagnes de terrain jamais réalisée dans les îles britanniques. Au niveau international, ils ont enrôlé de nombreux soutiens, de Barrack Obama jusqu’au Président de l’Union européenne.
Les politiciens travaillistes, dirigés par le revenant Gordon Brown, ont déversé ce sentiment d’intimidation avec encore plus de force que les Conservateurs.
En fait, les élites de Westminster s’attendaient à une victoire facile… jusqu’à la dernière semaine avant le référendum, lorsque le soutien à la campagne pour le « oui » s’est manifesté spectaculairement et qu’un vent de panique a soufflé. Quand on a demandé à Hammond (2) pourquoi il n’envisageait pas l’éventualité de déplacer les Tridents, il a répondu que c’était parce que le Gouvernement considérait la possibilité d’un vote « oui » avec une « très faible probabilité ». Cette déclaration ne témoignait pas seulement du fossé qui existe entre Westminster et l’Écosse, mais aussi du mépris avec lequel le dirigeant conservateur considère ce fossé.
Il faut féliciter chaleureusement la campagne pour le « oui », malgré le résultat. Elle a déclenché un énorme débat politique qui a atteint des niveaux politiques extrêmement élevés au fur et à mesure que l’on se rapprochait de la date du référendum. Cela s’est traduit par un mouvement remarquable d’inscription sur les listes électorales (97%) et une participation finale de 84,6%. C’est la démonstration sans appel que lorsque l’on offre aux gens un changement réel, alors ils s’engagent et saisissent l’opportunité de façonner leur destin.
La campagne pour le « oui » n’était absolument pas basée sur un nationalisme grossier ou un sentiment anti-Anglais, mais sur l’idée d’une Écosse différente, avec un nouveau niveau de démocratie et de participation. Elle était fondée sur l’idée que les gens qui vivent en Écosse pouvaient gérer l’Écosse et mettre fin à une longue période de dépendance vis-à-vis de l’Angleterre. Elle était fondée sur l’idée qu’on ne pouvait leur imposer un gouvernement conservateur pour lequel ils n’avaient pas voté et qui n’a quasiment aucun soutien en Écosse.
Elle reflétait le sentiment que les politiques des Conservateurs – les droits d’inscription pour les étudiants ; les baisses d’allocations, notamment pour les malades et les handicapés ; la bedroom tax ; la baisse des impôts pour les riches ; les guerres étrangères – leur étaient imposées par des gens n’ayant aucun soutien en Écosse.
La force de la campagne du « oui » s’est également manifestée par l’enthousiasme avec lequel les jeunes de 16 et 17 ans – à qui l’on avait donné le droit de vote pour la première fois – se sont investis dans la campagne et dans le débat. Elle s’est aussi exprimée à travers l’énergie qui a saisi les partisans du « oui » lors des dernières semaines de campagne.
Le matin du résultat, on a entendu les politiciens travaillistes (plus encore que les conservateurs) affirmer que ce vote réglait la question de l’indépendance pour une longue période et peut-être pour toujours. Pourtant, la masse critique du soutien à l’indépendance s’est considérablement accrue tout au long de cette campagne et il est peu probable que cela disparaisse. Les Écossais ont passé des mois à débattre et à défendre l’idée de l’indépendance et sont plus concernés que jamais par ce projet.
Il n’est pas étonnant que les politiciens travaillistes soient si vindicatifs en ce lendemain de scrutin. Parce que le Parti travailliste a été lourdement endommagé par cette campagne au coude à coude avec les Conservateurs.
Les votes en faveur du « Oui » sont les plus importants dans les bastions industriels – ou désindustrialisés… – travaillistes de Glasgow, North Lanakshire, West Dumbarton et Dundee.
Le Parti travailliste écossais est maintenant sérieusement fragmenté et va vraisemblablement connaître bien des déboires lors des prochaines élections pour Holyrood (3) en 2016 : à la recherche d’une nouvelle majorité, le SNP pourrait bien remplacer le Parti travailliste en tant que principal parti de centre gauche, social-démocrate, en Écosse.
Les dizaines de milliers d’électeurs travaillistes qui ont soutenu la campagne du « Oui » – et ont été attaqués par le Parti travailliste pour l’avoir fait – sont maintenant polarisés par le SNP. Notamment parce qu’un vote important pour le SNP lors de cette élection à venir sera considéré comme le meilleur moyen de reposer la question de l’indépendance.
D’autant que l’on ne peut considérer comme acquis que l’élite de Westminster va maintenant conférer de nouveaux pouvoirs à Holyrood… simplement parce qu’ils ont signé un engagement à le faire sur un parchemin bidon ! Des députés conservateurs de base ont déjà jeté le doute en indiquant qu’ils s’y opposeraient, de même que certains ministres de la coalition qui ne veulent pas en entendre parler…
Cameron sait que transférer de nouveaux pouvoirs à l’Écosse ne pourrait que renforcer l’aspiration à l’indépendance au Pays de Galles. Leanne Wood, dirigeante du Plaid Cymru (4) a joué un rôle tout à fait appréciable en soutenant la campagne du « oui » en Écosse. Elle affirme aujourd’hui sans ambiguïté qu’il n’est pas question de voir le Pays de Galles être écarté des discussions sur de nouveaux transferts de pouvoirs en Écosse…
Cela soulève aussi la question de l’énorme déficit démocratique que connaît la Grande-Bretagne en tant que telle, puisqu’elle est l’un des pays les plus centralisés d’Europe. Cela soulève la question de la dépendance par rapport à Westminster des métropoles et des régions du Nord et du Sud Est. Cela soulève une fois de plus la question du système électoral (majoritaire à un tour) qui signifie que, lorsqu’il s’agit d’élire un représentant, la majorité des votes ne sont tout simplement pas pris en compte.
Par ses premières déclarations, Cameron a bien montré qu’il s’intéressait plus à envoyer des signaux à destination de l’UKIP, du nationalisme anglais et de ses députés les plus à droite plutôt qu’à un nouveau traité avec l’Écosse. Ce qui l’intéresse, c’est uniquement d’empêcher les députés écossais de participer aux votes concernant les questions anglaises (ce qui plairait bien à Nigel Farage) plutôt que de nouveaux changements constitutionnels.
Évidemment, cela pose un problème au Parti travailliste parce que cet engagement (5) a été le fait, d’abord et avant tout, de Gordon Brown, et non de Cameron. Pour Cameron, l’enjeu est maintenant de tourner la page de cet engagement. Mais ce ne sera pas facile. Par bien des aspects, la campagne pour le « oui » a remporté le débat. Parmi les 1,6 millions de gens qui ont voté pour l’indépendance, beaucoup vont rester politiquement engagés. Ils ne prendront pas avec le sourire de nouvelles promesses non tenues ou de nouvelles attaques de Westminster.
La radicalisation de la campagne du « oui » peut très bien se traduire par une radicalisation du débat politique en Écosse. Et cette tendance peut avoir des répercussions à travers toute la Grande-Bretagne. Les revendications en faveur de nouveaux transferts de pouvoir et de réformes démocratiques sont inévitables. Westminster ne représente pas mieux les villes du Nord de l’Angleterre ou les régions du Nord qu’il ne représente l’Écosse.
Malgré la défaite, les choses ne seront plus jamais ce qu’elles étaient. Le simple retour aux affaires courantes n’est pas possible. ■
* Alan Thornett (Socialist Resistance). Traduction et notes François Coustal. La traduction de ce texte en français est initialement parue sur le site d’Ensemble.
(2) Dirigeant du Parti conservateur, Philip Hammond a été successivement secrétaire d’État à la Défense, puis Secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le gouvernement de David Cameron.
(3) Holyrood est le siège du Parlement écossais.
(4) Plaid Cymru est un parti politique gallois, de tendance social-démocrate et partisan de l’indépendance du Pays de Galles
(5) Il s’agit de l’engagement, pris quelques jours avant le référendum par les leaders du Partis travailliste, du Parti conservateur et du Parti Libéral-démocrate, de transférer de nouveaux pouvoirs à l’Écosse
Source : inprecor