Choisi, présenté et annoté par Peter Davison. Agone, 2014, 35 euros
Eric Blair alias George Orwell (1903-1950) est un des plus grands écrivains du 20e siècle. Un des écrivains les plus engagés aussi et ceci jusqu’à son dernier souffle.
Sur son lit de mort, par l’intermédiaire de sa dernière épouse Sonia, il demandait à sa traductrice en français Yvonne Davet d’accélérer la publication en français de son Hommage à la Catalogne, ouvrage qui au cinéma inspira Ken Loach en 1995 pour le film Land and Freedom et qui connut l’immense succès que l’on sait.
On peut lire cette Vie en lettres sans rien connaître de l’œuvre d’Orwell, car ce dernier veillait beaucoup à ce que sa correspondance explicite son œuvre ou ses engagements. Ainsi, dans cette lettre du 26 août 1947 à Richard Usborne qui rédigeait une thèse sur le romantisme dans l’engagement, l’auteur de 1984 y révèle le fond de sa pensée politique :
« J’en suis venu à la conclusion que travailler pour le socialisme est un devoir, même si l’on ne se sent pas émotionnellement attiré par lui, parce que la perpétuation des conditions actuelles n’est tout simplement pas tolérable et qu’aucune solution autre qu’une sorte de collectivisme n’est viable… »
70 ans plus tard, les anticapitalistes sont toujours à la recherche de cette « sorte de collectivisme » qui pourrait nous sortir des « conditions actuelles » toujours plus dégradées.
« Se battre les armes à la main »
Cet ouvrage de correspondances trace donc le portrait de l’homme, de son enfance à l’internat et à sa mort. En dépit de sa pudeur, Orwell révèle ses amitiés fidèles, ses amours, relations de travail, réflexions politiques lucides, sans se départir de son grand sens de l’autodérision.
La correspondance avec son entourage et avec de simples lecteurs, constitue une véritable autobiographie par lettres. De l’internat de ses 8 ans aux sanatoriums des deux dernières années de sa vie, on le suit dans tous les lieux importants pour lui : de la Barcelone révolutionnaire aux appartements londoniens sous les bombes, puis dans sa ferme isolée face à la mer à Jura dans les Nouvelles-Hébrides.
« Ce que j’ai vu en Espagne ne m’a pas rendu cynique, mais me fait penser que notre avenir est assez sombre. Il est évident que les gens peuvent se laisser duper par la propagande antifasciste exactement comme ils se sont laissé duper par ce qu’on disait de la courageuse petite Belgique, et quand viendra la guerre ils iront droit dans la gueule du loup. Cependant, je ne suis pas d’accord avec l’attitude pacifiste. Je pense toujours qu’il faut se battre pour le socialisme et contre le fascisme, je veux dire se battre les armes à la main, mais il vaut mieux essayer de savoir qui est quoi. »
Sachant qui était qui, Orwell s’engagera en 1940 dans la « Home Guard » (milice de volontaires organisée par l’État britannique) tandis que ses camarades révolutionnaires de l’Independant Labour Party allaient encore rester de longs mois sur une ligne de « défaitisme révolutionnaire ».
« Les intellectuels qui, en ce moment, montrent que la démocratie et le fascisme sont la même chose, etc. me dépriment profondément » (lettre du 8 janvier 1940). On ne peut mieux décrire l’alternative marxiste révolutionnaire qui dit que « l’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes et réciproquement ». Le début de ce 21e siècle, avec toutes ces guerres complexes, ne rend que plus profonde l’œuvre et la pensée de George Orwell pour qui veut se ranger du côté de la démocratie et du socialisme.
Source : NPA