Le vendredi 11 mars, la formation Léon Lesoil/ Liège organisait, en collaboration avec la LCR, une conférence-débat intitulée : « Onde de choc sécuritaire – Urgence démocratique et sociale ». Cette conférence s se situait, en quelque sorte, dans le prolongement de l’appel « De la peur à la résistance- Urgence démocratique » lancé, il y a plusieurs mois déjà. Appel qui se terminait par : « Nous lutterons contre la politique sécuritaire et liberticide que nos gouvernements veulent imposer au nom de la lutte contre les terroristes, et qui fait le jeu de ceux-ci ».
Au-delà de la lutte contre le terrorisme… !
L’avocate, Catherine Forget, première intervenante à la conférence, allait d’abord nous éclairer sur l’extension et les nombreuses adaptations de la définition du « terrorisme ». Ainsi, instructive à cet égard, est la dernière mise à jour de la loi anti-terroriste belge, datant de 2012. Ont été rajoutés les délits terroristes « d’incitation à commettre des délits terroristes, oui ou non suivis d’effet », « le recrutement à but terroriste », « l’entrainement en vue de commettre des infractions terroristes », la criminalisation de participation négative à d’éventuels actes terroristes – par exemple, le fait de ne pas empêcher une personne de partir en Syrie -, la diffusion de messages, pouvant être une incitation indirecte à un commettre un acte terroriste…De là à ce que l’extension de la définition de « terrorisme » puisse potentiellement concerner toute expression, toute pensée, tout acte critiquant l’Etat ou portant atteinte à la propriété privée…des moyens de production, à la « liberté du travail »… !!!
Notre oratrice a évoqué les 18 mesures de « lutte contre le terrorisme », annoncées par le gouvernement, suite aux attentats de Paris, et dont une partie a déjà été approuvée par le parlement. Ainsi, en juillet 2015, tous les partis (sauf le PTB qui s’est abstenu) votaient à la Chambre la loi de déchéance de la nationalité pour tous les Belges de double nationalité, condamnés « comme auteur, coauteur ou complice à une peine d’emprisonnement d’au moins 5 ans sans sursis pour une infraction terroriste telle que définie dans le code pénal ».
Ces différentes mesures (prolongation de la garde à vue; augmentation considérable des peines pour « participation à des activités terroristes » ; augmentation de moyens d’enquête ; renforts à la police fédérale et à la Sûreté d’Etat, principalement dédiés à la lutte contre le « radicalisme » ; légalisation du déploiement permanent de militaires dans les rues, etc, etc), ces mesures ont pour l’essentiel, comme l’a souligné Catherine Forget, un caractère sécuritaire, répressif, liberticide.
Dans la foulée des mesures du gouvernement, quelles sont les cibles visées ? Pas seulement les terroristes pur jus ! Le gouvernement annonçait des contrôles maison par maison dans la commune de Molenbeek, élargis ensuite à tous les quartiers pauvres de Bruxelles. Et après l’annonce du plan fédéral en février 2016, ces contrôles se sont transformés en contrôles « technologiques » : vérification de la consommation d’énergie afin de déterminer le nombre d’habitants et de passer à un contrôle au domicile, s’il y a des soupçons. Les déclarations gouvernementales, surtout du côté de la NVA, laissaient apparaitre le lien entre « terrorisme » et « délinquance », deux monde qui se croiseraient et s’entre-aideraient.
Evoquée aussi la cible des sans-papiers et des réfugiés.
En tant que juriste, Catherine attirait encore, pour terminer, notre attention sur un jalon posé vers un « Etat fort ». Dans la foulée des attentats de Paris, le gouvernement créait, en janvier 2015, le « Conseil National de Sécurité », une sorte d’état-major de la lutte contre le terrorisme. Ce conseil réunit le premier ministre, le chef du centre de crise du ministère de l’Intérieur, de la Sûreté de l’Etat, de la Police Fédérale, des Renseignements Militaires, du Parquet Fédéral et de l’OCAM. C’est ce dernier organe qui émet les fameux avis de « menace ». Le Parquet Fédéral, lui, cherche depuis des années à s’autonomiser le plus possible des juges d’instruction.
Le Conseil National de Sécurité, organe non élu à la tête de l’Etat, va jouer un rôle important dans le combat contre le terrorisme, la menace et la …subversion, disposant d’une autonomie d’action et de prise de décision qu’aucun conseil, comité, organe n’avait eu auparavant.
Criminalisation des mouvements sociaux… !
La deuxième intervenante, Aïda ben Dhiaf, accompagnatrice de train à la SNCB et déléguée CGSP-Cheminot, remplaçait Jordan Croeisaerdt, lui aussi accompagnateur de train à la SNCB et délégué CGSP-Cheminot.
Jordan est aujourd’hui sous le coup d’une astreinte, de sanctions financières, d’une enquête administrative, d’intimidations et d’acharnement sur sa personne de la part de la direction de la SNCB pour avoir tout simplement participé à un piquet, lors de la grève des cheminots en janvier dernier.
« Jordan n’a fait qu’appliquer son droit de grève », fait remarquer Aïda. « C’est une véritable offensive contre les piquets de grève, pour vider le droit de grève de sa substance qui est en jeu dans ce qui se passe avec Jordan. Cette astreinte qui lui est imposée, en fait, elle nous vise, nous les délégués et les syndicalistes de combat chez les cheminot, mais aussi dans tous les autres secteurs syndicaux ».
Le fond de cette affaire, précise encore très lucidement Aïda, c’est que « le patronat et le gouvernement veulent avoir les mains libres pour augmenter la cadence dans leur offensive antisociale. Et pour cela, il fait brise les reins à la combativité syndicale. Il leur faut un syndicalisme de cogestion et non de combat.
Aïda insiste sur l’importance du comité de solidarité qui s’est créé à Bruxelles pour la défense de Jordan et du syndicalisme de combat. Surtout que l’offensive contre le mouvement syndical prend aujourd’hui une nouvelle dimension avec les propositions de loi provenant de plusieurs partis de la coalition gouvernementale et le protocole pour le règlement des conflits sociaux en discussion entre patronat et directions syndicales, pour vider le droit de grève de sa substance.
La déléguée CGSP-Cheminot termine en rappelant deux dates importantes pour la mobilisation dans l’affaire concernant Jordan : le meeting pour le droit de grève organisé par la CGSP de Bruxelles, le vendredi 18 mars, avec entre autre la participation du secrétaire national de la FGTB, Marc Goblet, et Jordan Croeisaerdt.
Deux actions syndicales ont été introduites en justice, l’une contre l’astreinte, l’autre contre l’ordonnance proprement dite. De l’intervention de Aïda ben Dhiaf, découle toute l’importance de mobiliser pour les audiences au tribunal des 1er et 4 avril à 9 Heures (Tribunal de première Instance, rue des Quatre Bras 14, à 1000 Bruxelles).
Il faut reprendre la rue !
La troisième intervenante, Matilde Dugaucquier, militante de la LCR et des JAC (Jeunes anticapitalistes) allait d’abord rappeler l’Appel « De la peur à la résistance-Urgence démocratique ». Un appel lancé, fin 2015, par la LCR/SAP, un appel à la désobéissance civile : « Nous appelons la population à ouvrir les yeux et à désobéir. L’histoire n’a jamais été faite par ceux qui demandent la permission ».
« L’arsenal des mesures « antiterroristes » du gouvernement a pesé comme une chape de plomb idéologique, cherchant à étouffer toute contestation de la politique du gouvernement, sous la bannière de « l’unité nationale », avec interdiction de conférences, des manifestations… ». Mais, continue Matilde,« heureusement, il y eu des formes de désobéissance à l’injonction de rester chez soi : le maintien de la grève de 24 heures dans le Hainaut, la plate-forme « Pas en notre nom » à Liège avec un rassemblement, les manifestations contre climat dans le cadre de la COP 21 à Paris, etc).
« Nous devons reprendre le contrôle de nos vies (…),travailler au retissage des liens sociaux, via des initiatives locales …). Il nous fait imposer l’idée selon laquelle le droit de vivre en paix est inséparable d’un tournant radical vers la justice sociale, l’égalité des droits, la satisfaction des besoins, le partage des richesses et le respect ».
Matilde Dugaucquier allait conclure en dégageant une leçon essentielle de cette soirée-débat :
« Il nous faut reprendre la rue, en étant présent-e-s en masse aux mobilisations. En ce sens, le mouvement syndical a une responsabilité majeure dans la résistance au changement de régime qui a lieu petit à petit sous nos yeux ».