Ca y est la grève est lancée ! Les appels à la rejoindre fusent de toute part, et les initiateurs en sont les cheminots, les travailleu.r.se.s de la SNCB (et avant eux les gardien.ne.s de prison), qui depuis ce mercredi ont lancé un mouvement spontané, annonçant leur volonté d’y aller au «finish».
Poussés à bout par le plan Galant, qui prévoit plus de 3 milliards d’économie au sein d’un service déjà aux abois, une suppression de 6.000 postes, etc. Mais aussi par la loi Peeters, déjà renommée « loi travail belge », qui vise une annualisation du temps de travail avec la flexibilité poussée à l’extrême pour «dynamiser l’emploi».
Mais l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, c’est l’annonce ce mercredi par HR RAIL de sa volonté de diminuer les jours de récupération dont bénéficient les travailleur.r.se.s de la SNCB. Ce n’était plus supportable, la concertation a échoué (sans surprise), et rien ne semble pouvoir arrêter ce gouvernement Michel-De Wever, si ce n’est l’établissement d’un nouveau rapport de force qui ne peut s’obtenir que par la grève.
Le climat social qui se détériore depuis des années, de par la volonté systématique de destruction des acquis sociaux, et ce partout en Europe, est donc en cette période d’examen de l’enseignement supérieur particulièrement nauséabonde. Mais comme ce fut le cas pour les mouvements de grève de janvier, le syndicat étudiant Unécof, par la voix de sa Vice-présidente Opaline Meunier, critique et dénonce ce mouvement spontané, perçu comme une trahison du monde étudiant : «Les étudiants ne pourront faire front avec les cheminots tant que ceux-ci ne seront pas respectueux des périodes d’examen. Il est inexcusable d’annoncer une grève au finish à 17h quand des examens ont lieu le lendemain matin dans tout le pays: les étudiants ne seront pas en mesure de trouver des alternatives. Qui repassera les examens ratés?» (1)
La grève devrait donc d’avoir lieu en dehors des horaires d’examen. Il y aurait, comme le «droit de travailler», un «droit à passer ses examens» qui surpasserait le droit des travailleu.r.se.s de récupérer ce qui leur appartient : leur outil de travail. Aucune remarque n’est faite pour dénoncer le choix des dirigeants de la SNCB d’annoncer leur décision en plein blocus en connaissant les réactions que cela susciterait. Non, le choix est fait d’accuser les travailleu.r.se.s qui défendent leurs emplois et leur droit à travailler dans des conditions dignes et justes.
Les alternatives possibles sont pourtant nombreuses, comme la FEF qui propose par exemple de mettre en place un système de covoiturage pour les jours à venir, sans dénoncer qui que ce soit. Mais l’Unécof ne se limite qu’à la reconnaissance de «force majeur» comme justification d’absence, aucun mot n’est dit pour faire pression sur les véritables responsables de ce fiasco qui sont les responsables politiques, et les dirigeant.e.s du groupe SNCB, aucun mot n’est dit pour faire preuve de solidarité avec les mouvements, même si ce n’est que sur un plan idéologique, aucun mot n’est dit pour envisager de se joindre à la grève. Les étudiants ont pourtant tou.te.s, tout à y gagner (meilleure service, meilleurs emplois à venir)…
Déplacer un mouvement de grève (ce qui est bien plus complexe que de réorganiser certains examens pour quelques personnes) pour les raisons invoquées par l’Unécof, c’est le tuer dans l’œuf. Il faudrait attendre un mois pour ensuite pouvoir rebattre le pavé et installer les piquets de grève. Non, les mouvements sociaux ont leur inertie et leur dynamique, attendre un mois c’est le briser d’avance. On voit comment le piège se referme, c’est la stratégie du diviser pour mieux régner qu’ont choisi de manière pleinement consciente les organes dirigeants du service de transports publics et les gouvernants en partie relayés par l’Unécof.
La spontanéité de la grève serait «irrespectueuse des usagers et en particulier des étudiant.e.s», mais la dégradation permanente du service public, par un ensemble de coupes budgétaires, augmentant les retards, les suppressions de train, l’abandon de certaines lignes, l’augmentation annuel du prix du titre de transport, ne le serait-il pas d’avantage?
Non la volonté des grévistes n’est pas de prendre en otage les étudiant.e.s comme on a pu le lire partout. C’est la dernière solution qu’ont trouvée les cheminots pour se faire entendre (et pouvoir réaliser un travail correct sans courir vers le surmenage et le risque d’un accident grave, comme le faisait remarquer un gréviste en rappelant Buizingen). Mais pour le “syndicat” minoritaire au sein du monde étudiant, ces derniers le soutiendraient, et dénonceraient eux aussi cette trahison de la part des cheminots (comme on a pu le voir dans la presse), et pourtant, même si aucun chiffre ne peut évidemment être donné, la dénonciation prétendue n’est pas unanime. On voit de toute part des étudiant.e.s qui ne sont plus dupes du piège idéologique qu’on leur tend, qui dénoncent non pas la grève et la défense de nos droits mais bien ces gouvernements, qui s’enlisent toujours plus dans l’austérité, la protection des ultras favorisés, …
Et c’est peut-être aussi ce que nous étudiants, nous devrions faire au lieu de crier au scandale. Ecouter le pourquoi de ce mouvement de grève, écouter ce que nous réserve l’avenir si nous ne luttons pas: un service publique en voie de privatisation, des conditions de travail toujours plus précaires, une marche effrénée vers la concurrence entre travailleu.r.se.s. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici, une discorde provoquée entre futur.e.s travailleu.r.se.s qui se battent par l’étude pour s’en sortir et trouver un emploi qu’on leur annonce toujours comme une chance rare (et qui de fait se fait de plus en plus rare avec la loi Peeters venant encore aggraver cette situation) et entre travailleur.r.se.s actuels qui doivent toujours lutter plus pour conserver leur travail, leur salaire, la qualité de leurs conditions de travail et de vie.
Il ne faut pas tomber dans le piège du gouvernement qui espère, comme en France, que les examens empêcheront toute forme de mobilisation du monde étudiant et que ces mouvements de grève diviseront l’ensemble du monde social dominé par le patronat et la patriarcat, qui a pourtant un ennemi, des intérêts et une lutte commune. Il nous faut en tant qu’étudiant.e montrer notre solidarité envers ceux qui se battent aussi pour nous. Libre à nous de les rejoindre, une fois la session finie. Enfin, nous devons faire pression, d’abord sur les véritables responsables d’une colère légitime, et ensuite sur les autorités académiques pour aménager les horaires, réorganiser éventuellement certains examens, et surtout qu’aucune sanction ne puisse être prise face à une absence à un examen (perte de bourse, perte du droit à la réduction de minerval, perte des allocations de CPAS ou familiales). Parce que, comme toujours, ces sanctions toucheraient en particulier des étudiant.e.s qui vivent déjà une situation précarisée et qui pourraient perdre les faibles aides auxquelles ils/elles ont droit (bien souvent insuffisantes pour vivre correctement et pour permettre à tou.te.s de réaliser des études, mais cela est un autre débat). Les mots d’ordres ici doivent être solidarité et convergence des luttes.
(1) «L’Unécof condamne fermement l’annonce de grèves sur le rail en plein session», communiqué de l’Unécof, https://twitter.com/M_Opaline/status/735593436896727042