La LCR se réclame de l’écosocialisme depuis son congrès de 2006, au cours duquel elle a adopté des « Thèses sur l’écologisation du marxisme ». Pendant plusieurs années, nous sommes restés la seule organisation politique belge à nous réclamer de ce concept. Cette situation a commencé à changer à partir de décembre 2012, lorsque le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon a lancé son Manifeste pour l’écosocialisme. Deux organisations en Belgique se sont en effet immédiatement inscrites dans la démarche du PG : le Mouvement de Gauche (créé début 2012 par Bernard Wesphael) et les Verts de Gauche (VEGA, créé un peu plus tard à Liège comme coopérative avant de se constituer en mouvement francophone en février 2013). Le 25 mai prochain, dans l’isoloir, les personnes qui se reconnaissent dans l’écosocialisme auront donc trois possibilités de vote: le Mouvement de Gauche, VEGA, ou les candidat-e-s de la LCR sur les listes PTB-GO ! Qu’est-ce qui les rapproche et en quoi se différencient-elles ?
Un concept, pas un programme
L’écosocialisme est un concept selon lequel les problèmes sociaux et écologiques sont les deux faces d’une même médaille – le productivisme capitaliste, de sorte que les premiers ne peuvent pas être résolus indépendamment des seconds, et vice-versa. Pour les partisans de l’écosocialisme, il s’agit donc de mettre en avant des revendications qui satisfont les demandes sociales tout en protégeant l’environnement. Au-delà de cette définition très générale, il n’y a ni doctrine ni programme établis. L’écosocialisme peut donc se décliner de différentes manières : il y a des écosocialistes libertaires, des écosocialistes anticapitalistes, des écosocialistes antinéolibéraux, et même des écosocialistes sociaux-démocrates. De plus, dans chacune de ces catégories, des courants peuvent apparaître, par exemple en fonction du diagnostic qui est posé sur la gravité de la « crise environnementale », ou en fonction du lien entre luttes écologiste et féministe, par exemple. C’est dire que la référence écosocialiste rassemble des courants partageant une même démarche, à la fois écologique et sociale, mais n’élimine pas le débat stratégique et programmatique d’un coup de baguette magique.
Cette diversité apparaît assez clairement quand on compare le MG, VEGA et la LCR. L’écosocialisme du MG et de VEGA est du type antinéolibéral, comme celui du PG d’ailleurs (voir une critique de celui-ci ici); celui de la LCR est anticapitaliste. Pour le montrer, nn ne procèdera pas dans le cadre de cet article à une analyse exhaustive des programmes, quelques éclairages suffiront.
Que faire de l’UE ?
Sur la question de l’attitude face à l’Union Européenne, par exemple, les positions sont nettement différentes. Le MG veut « sortir de l’application du Traité de Lisbonne sans sortir de l’Union » et demande que le prochain Parlement européen soit chargé d’écrire un projet de Constitution à soumettre à référendum dans tous les Etats membres. Pour VEGA, l’UE « doit renouer » avec « les logiques de coopération et de paix qui ont inspiré ses fondateurs ». Le mouvement « est favorable à l’abrogation des traités austéritaires – Mécanisme européen de stabilité, « Two-pack », « Six-pack » et Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – ainsi qu’à une révision fondamentale du Traité de Lisbonne » et veut « soumettre aux peuples d’Europe un traité refondateur ». La LCR défend que l’UE est par essence une machine de guerre capitaliste, à détruire, qu’il faut abroger l’ensemble des traités (y compris le traité de Rome) et des institutions européennes, et élire ensuite une Assemblée constituante en vue de construire une autre Europe, démocratique, sociale, écologique et féministe.
Protectionnisme ou internationalisme ?
Des différences significatives se marquent aussi dans la vision des relations entre l’Europe et le reste du monde. Le MG demande que « des barrières douanières (soient) mises en place pour obliger à équilibrer les contraintes sociales et environnementales entre l’Europe et le reste du monde et même entre pays européens », afin que « nos entreprises ne se trouvent pas en situation de concurrence faussée face à des pays qui ne respectent pas les mêmes contraintes ». Dans le même ordre d’idées, VEGA veut que « l’Union européenne adopte un protectionnisme social et environnemental solidaire » : l’UE « doit évaluer les conditions sociales et environnementales dans lesquelles les produits importés sont fabriqués (délivrance de « visas » sociaux et environnementaux) et prendre à l’égard de ceux qui ne satisfont pas à ces critères des mesures allant de la taxation (taxe kilométrique, par exemple) à l’interdiction, en passant par des systèmes de limitation (quotas) ». La taxe à l’import serait « solidaire » car ses rentrées seraient versées à des associations sociales et écologiques des pays d’origine (vous imaginez le produit d’une taxe sur le pétrole d’Arabie saoudite reversé aux associations saoudiennes?).Pour la LCR, le protectionnisme revient toujours à une alliance des exploité-e-s avec leurs exploiteurs, et il est toujours asymétrique (rien n’est fait pour empêcher le capital exportateur des pays développés d’écraser les petits producteurs du Sud par le dumping des prix). Nous y opposons la solidarité internationale des travailleur-euse-s. Une politique protectrice vis-à-vis de l’extérieur n’est légitime que dans le cas où le gouvernement d’un pays applique concrètement une politique de rupture avec le système capitaliste, tout en appelant les travailleurs et travailleuses des autres pays à faire de même.
32H : GO ou no GO ?
Les lignes de partage ne séparent pas toujours VEGA et le MG d’une part, la LCR de l’autre. Pour lutter contre le chômage, par exemple, VEGA et la LCR s’accordent sur la centralité et l’urgence de la réduction du temps de travail à 32 heures/semaine, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire. Accord nuancé (VEGA « vise la semaine de 32 heures » par « une véritable concertation sociale européenne » qui « balisera la mise en œuvre négociée et contrôlée d’un plan européen de répartition collective du temps de travail » ; la LCR mise sur la lutte syndicale), mais accord tout de même. Pour le MG, par contre, la réduction du temps de travail, c’est pour plus tard : il faut d’abord « la maîtrise de la finance et la réussite de la politique d’écorelance » qui vont « encourager une augmentation de l’activité » ; celle-ci «doit permettre d’accroître l’emploi et d’utiliser une partie des gains de productivité au profit de la réduction de temps de travail ». Ce n’est d’ailleurs pas la seule ambiguïté du MG. Tout en se disant « anticapitalistes » – ce que ne faisait pas Bernard Wesphael – les auteurs du programme du MG demandent que « l’État soutienne les P.M.E. -viviers d’emplois locaux- et leur croissance en les aidant à surmonter les difficultés qui entravent leur développement ». Il serait intéressant que le MG explicite ce point…
« Règle verte »? Pas d’accord!
Sur le plan environnemental aussi, les divergences ne sont pas minces entre le MG, VEGA et la LCR. Pour empêcher le pillage des ressources, le MG et VEGA reprennent à leur compte la « règle verte » mise en avant par JL Mélenchon. Cette règle consiste à faire reculer jusqu’au 31 décembre le « jour du dépassement global », c’est-à-dire le jour de l’année où les ressources prélevées dans l’environnement sont censées dépasser les capacités naturelles de renouvellement de celles-ci et de recyclage des déchets. Ce jour est déterminé par la mesure de « l’empreinte écologique », qui est la superficie nécessaire pour supporter les infrastructures, produire les aliments consommés et faire absorber par les forêts le CO2 provenant de la combustion des combustibles fossiles. Le problème est que, en amalgamant les prélèvements des ressources renouvelables et non renouvelables pour les rapporter à la population, l’empreinte donne une image biaisée de l’insoutenabilité. Primo : elle dilue la responsabilité majeure des combustibles fossiles dans celle-ci (80% environ de l’empreinte écologique provient de l’usage du charbon, du pétrole et du gaz naturel). Secundo : elle surévalue la responsabilité dans la crise écologique des pays du Sud à croissance démographique plus élevée. La notion d’empreinte écologique est mise en avant par le WWF, qui est le contraire d’un mouvement de gauche. Pour la LCR, il s’agit d’une notion ambiguë et potentiellement malthusienne, donc réactionnaire. Ce n’est en rien un indicateur valable de soutenabilité. Pour mener une politique écosocialiste, il faut plusieurs indicateurs, dont un est crucial et évident: une réduction des émissions de CO2 d’au moins 10% par an dans les pays capitalistes développés.
Quelle transition énergétique ?
On note des désaccords assez substantiels entre le MG, VEGA et la LCR sur la question clé de la transition aux énergies renouvelables. On sait que cette transition se heurte principalement au productivisme capitaliste et au fait que le secteur de l’énergie est aux mains du privé – qui préfère les fossiles et le nucléaire aux renouvelables pour des raisons de coût. Face à cette situation, la LCR est la seule à se prononcer pour l’indispensable expropriation du secteur sans indemnité ni rachat et sous contrôle démocratique, comme demandé dans les « 10 objectifs » de la FGTB de Charleroi. Le MG exige « une réappropriation collective » et une « maîtrise publique » mais il ne s’agit pas d’expropriation : en fait, le MG pense possible de contourner le privé par « la mise en place de sociétés publiques productrices d’énergie verte ». VEGA veut «accélérer la reconversion vers les renouvelables, en abandonnant les énergies fossiles et en amplifiant les politiques d’utilisation rationnelle de l’énergie », mais ne dit pas comment vaincre la résistance des trusts de l’énergie. En fait, tant VEGA que le MG proposent surtout des mesures fiscales. Le MG demande de « favoriser fiscalement certains investissements économiseurs d’énergie; d’encourager les entreprises à produire de manière écologiquement responsable en instaurant une taxe liée à l’impact environnemental de la production ; de privilégier fiscalement la distribution en circuits courts ». VEGA veut « instaurer une fiscalité spécifique au secteur énergétique; taxer les importations et exportations grandes consommatrices d’énergie et détaxer celles qui en consomment le moins ; favoriser le développement des technologies bas carbone locales ainsi que les cultures ralentissant le réchauffement climatique ». Une chose est certaine : ce n’est pas avec des mesurettes de ce genre qu’on cassera le pouvoir des groupes capitalistes responsables de la catastrophe climatique…
Rendez-vous dans les luttes
Ces quelques notes sont loin d’épuiser le sujet. D’une part les programmes de VEGA et du MG comportent évidemment beaucoup de points partagés aussi à la LCR (refus des gaz de schiste, des OGM, mesures fiscales et sociales immédiates). D’autre part on y trouve aussi quelques divergences non développées dans le cadre de cet article. En particulier, la LCR ne partage pas les conceptions du MG sur la laïcité, l’asile et l’immigration,… Enfin, il nous semble que le MG et VEGA restent en retard sur le PG français du point de vue de l’intégration des luttes écologistes et féministes – leurs textes y font à peine allusion – mais c’est peut-être le résultat du fait que les programmes ont été écrits dans l’urgence. Nul doute que nous aurons l’occasion de débattre de tout cela après les élections, dans le cadre de l’unité d’action contre les politiques de destruction sociale et écologique qui se préparent en coulisse!
(Les citations sont extraites du Priorités de VEGA pour l’Europe et du Programme du MG)