Le récent suicide de Leelah Alcorn, américaine transgenre de 17 ans, a suscité une forte émotion. Il vient rappeler les violentes discriminations que subissent les personnes transgenres et leurs difficultés à vivre dans une société qui leur refuse toute légitimité.
Au-delà de la question de la sexualité, le genre ne constitue pas seulement le sexe social, c’est-à-dire les différentes normes et rôles qui sont rattachés socialement aux hommes et aux femmes. Le genre représente également un enjeu de normalisation sociale plus profonde. En effet, la société impose la division des individus dans une dichotomie entre hommes et femmes. On naîtrait soit l’un, soit l’autre et cette identité déterminerait notre place dans la société et nos différents traits de caractère.
S’il faut combattre les inégalités entre hommes et femmes, il est également important de rappeler que ces inégalités s’appuient sur un discours naturalisant de prétendues différences pour se justifier. Or, ces différences entre hommes et femmes sont construites socialement et reproduites du fait de la domination masculine à l’œuvre. Comme le dit Elsa Dorlin (2005) : « Contre l’idée que la différence sexuelle est la cause des différences, voire des inégalités sociales entre les hommes et les femmes, le concept de genre s’oppose à une conception naturaliste présupposant que quelque chose comme le sexe, ou la différence sexuelle, existe en soi, qu’il s’agit d’une catégorie naturelle et anhistorique.»
Et ces différences ne sont pas seulement construites, elles se basent aussi sur une division du genre binaire que l’expérience médicale contredit : 1 à 2 % des naissances constituent des cas d’intersexualité. Leur seule existence remet en cause la dualité identitaire entre hommes et femmes. Malgré cette observation, la médecine s’efforce aujourd’hui d’imposer, d’incorporer cette dualité via différentes mesures comme l’usage d’hormones ou la mutilation.
Elsa Dorlin détaille la procédure : « À la naissance d’un enfant à l’anatomie génitale inhabituelle, une commission de spécialistes (composée généralement de chirurgiens plasticiens, d’urologues, d’endocrinologues, de psychologues et de travailleurs sociaux) décide, souvent en l’espace de quarante-huit heures, la nécessité et les modalités de l’intervention chirurgicale et des traitements hormonaux conformément au genre auquel s’apparentent de façon la plus CRÉDIBLE les organes génitaux de l’enfant. S’il est techniquement possible de faire un vagin à n’importe quel individu, un pénis fonctionnel est plus compliqué à réaliser. La plupart des interventions de chirurgie plastique ont pour critères : la taille du pénis ou du clitoris (au-dessus de 2,5 centimètres on ‹ fabriquera › un pénis, au-dessous de 0,9 centimètres, un clitoris), un vagin apte à la pénétration, uriner en position féminine ou masculine (i.e. assise, debout).»
Une mort qui doit faire changer les choses
Ce caractère imposé des identités sexuelles constituent une source de souffrance pour de nombreux individus qui ne se reconnaissent pas dans le sexe qui leur est rattaché, qu’il s’agisse de personnes intersexes ou transgenres, des hommes ou des femmes se sentant appartenir au sexe opposé. C’est le cas de Leelah Alcorn, née Joshua, qui a choisi de se suicider face à l’impossibilité de vivre librement tel qu’elle l’entendait. Elle s’en est expliqué dans une lettre dont voici des extraits :
« Si vous lisez ceci, c’est que je me suis suicidé. Je vous en prie, ne soyez pas triste, c’est pour le mieux. La vie que j’aurais eue ne vaut pas d’être vécue… car je suis transgenre. […] Pour résumer, je me sens comme une fille piégée dans un corps de garçon, et je ressens cela depuis l’âge de 4 ans. […] Ma dernière volonté est que le produit de la vente de 100 % de ce que je possède légalement (plus l’argent de mon compte en banque) soit donné à un collectif de transgenres en lutte pour leurs droits civiques et à des groupes de soutien. La seule condition qui permettrait que je repose en paix serait qu’un jour, les transgenres ne soient pas traités comme je l’ai été, mais qu’ils soient considérés comme des êtres humains, avec des sentiments légitimes et des droits humains.»
Les parents de Leelah se sont constamment opposés à sa volonté, recourant notamment à des thérapeutes, censés convertir les homosexuels et les trans pour les ramener à l’hétérosexualité et à la dualité des genres. Ce type de traitement est notamment promu par la droite chrétienne américaine, malgré le fait que l’American Psychological Association ait jugé ces pratiques dangereuses.
Le droit à chacun de définir sa propre identité
De nombreuses personnes ont réagi après ce suicide. Une pétition pour l’interdiction de ces thérapies a été lancée et a recueilli de nombreuses signatures. Si ces traitements sont plus rares en Europe, les personnes transgenres y sont toutefois fréquemment les victimes d’insultes et de discriminations. De plus, elles possèdent parfois moins de droits à se défendre, un flou juridique persistant à les entourer, la transophobie étant moins inscrite dans le droit européen actuel que l’homophobie. Notons qu’en Suisse, les transgenres ont le droit de changer d’état civil sans passer par la stérilisation depuis 2012 seulement.
Au même titre que les violences et les discriminations sexistes ou homophobes, il est important de dénoncer toutes les agressions que subissent les personnes transgenres. Il s’agit également, du fait de l’observation scientifique de la caducité de la dualité homme/femme, de reconnaître le droit aux intersexes et à chacun de se déterminer soi-même, sans devoir se conformer à un genre en particulier.
Source : solidaritéS