Quarante-cinq ans plus tard, l’une des photos les plus emblématiques des Etats-Unis cache la vérité.
photo: « Black Blouse Girl » par Ronald Haeberle
En regardant avec le recul la guerre du Vietnam et les photos emblématiques qui marquent cette époque, comment se fait-il que le public américain connaît la « Napalm Girl », mais que personne ne connaît ni parle de la « Black Blouse Girl »? Et que signifie le fait que, quarante-cinq ans plus tard, même si son expérience a été rendue publique par des rapports d’enquête et des témoignages du Congrès, ce qui lui est arrivé – reflété dans cette photo – reste soustrait à la vue?
Le massacre de Mỹ Lai a marqué les esprits en grande partie grâce à la diffusion, en 1969, de photos faites par le photographe de guerre Ronald Haeberle. Depuis lors, les spectateurs ont été captivés par l’émotion viscérale exprimée sur le visage de la femme au premier plan de la photo ci-dessous (publiée en 1969 par la revue Life) . Selon la légende publiée avec la photo dans Life, ces villageois étaient « blottis, terrifiés, quelques instants avant d’être tués par les troupes américaines à Mỹ Lai. »
Alors que le massacre de Mỹ Lai est largement reconnu comme une atrocité militaire et un acte d’assassinat en masse commis contre des civils et des non-combattants, le fait que l’événement fût aussi un acte de viol et de violence sexuelle en masse ne s’est jamais clairement inscrit dans la conscience américaine, malgré des données publiques et des témoignages qui se sont produits peu après le massacre. La présentation dans les médias de la photo intitulée « Black Blouse Girl » reflète cette amnésie.
En regardant attentivement l’image, vous verrez que l’adolescente au fond à droite est en train de boutonner son chemisier. C’est un geste curieux: pourquoi serait-elle préoccupée par un bouton tandis que les autres personnes dans la photo sont terrifiées? Et pourquoi son chemisier serait-il ouvert, pour commencer?
Un témoignage de l’enquête Peers (1969-1979) résout le mystère du bouton: l’image montre ces femmes et enfants dans les moments entre une agression sexuelle et un assassinat en masse. Dans son témoignage, Haeberle (le photographe) explique qu’un groupe de soldats tentaient de « voir de quoi elle était faite, » et qu’ils « ont commencé à la dépouiller , à enlever son chemisier ». D’autres témoignages de l’enquête le confirment.
Selon le témoignage de Jay Roberts, le correspondant de guerre qui avait accompagné Haeberle ce jour-là , les soldats appelaient l’adolescente « VC Boom Boom », le terme familier pour une prostituée Vietcong pendant la guerre du Vietnam. Ensuite, Roberts a révélé que la vieille femme était si angoissée parce qu’elle essayait de protéger la jeune fille de l’agression des soldats. Roberts a déclaré que la femme plus âgée, qu’on pense être la mère de la jeune fille, avait « mordu et donné des coups de pied au groupe de soldats, les avait griffés et repoussés. » L’émotion sur le visage de la vieille femme au premier plan n’est effectivement pas de la terreur passive.
Une fois que les soldats ont remarqué le journaliste et le photographe, ils ont cessé l’assaut. Haeberle a témoigné plus tard qu’après s’être éloigné: « J’ai entendu une [ mitrailleuse ] M- 60 péter, et quand on s’est retournés, toutes [ les femmes ] et les enfants étaient morts. »
L’article de Life en 1969 confirme les témoignages de Haeberle et Roberts, mais l’article minimise la violence sexuelle reflétée dans la photo en la sous-titrant sur la première page avec juste une référence à l’assassinat, mais pas à l’agression sexuelle. Les détails de l’agression sexuelle et du viol n’apparaissent qu’à l’avant-dernière page de l’article, six pages après la photo.
L’article stipule que Haeberle et Roberts « ont regardé les troupes accoster un groupe de femmes, dont une adolescente » ( c’est nous qui soulignons ). L’article note que l’un des soldats s’est mis à déshabiller la jeune fille, qu’un autre lui disait qu’ « elle était une pute pour le Vietcong », et qu’un troisième a dit, « Je bande. » La description fournit aussi un contexte pour le comportement de la vieille femme au premier plan, expliquant qu’elle a tenté d’aider la jeune fille en « griffant les soldats. »
Les comptes-rendus à l’époque du massacre et les photos de Haeberle faisaient référence à l’agression sexuelle. Se référant aux entretiens avec Jay Roberts, Seymour Hersh a décrit les détails de l’agression en 1972 , notant que les soldats ont ciblé la jeune fille en blouse noire, ont commencé à tirer sur son chemisier et ont tenté de lui caresser les seins. » Il a décrit la (présumée) mère comme ayant « repoussé deux ou trois mecs à la fois » pour tenter de protéger la jeune fille.
Pour comprendre pourquoi la charge de la photo a été réduite, il faut comprendre comment le rôle du viol et de la violence sexuelle à Mỹ Lai a été minimisé, noté seulement de façon très générale, son importance diminuant avec les années qui passent.
Ce qui est arrivé à la « Black Blouse Girl » n’était pas le seul incident de violence sexuelle qui eut lieu à Mỹ Lai. Dans leur survol historique du massacre, James Olson et Randy Roberts ont compilés des informations sur la violence sexuelle provenant de l’enquête Peers pour produire une liste de 20 actes de viol, selon les témoignages oculaires. Les victimes documentées sur cette liste avaient entre 10 et 45 ans. Parmi ces femmes et filles, neuf étaient âgées de moins de dix-huit ans. Beaucoup de ces agressions étaient des viols collectifs et il y a eu de nombreux actes de torture sexuelle. Cette liste ne comprend même pas les tentatives de viol, comme l’agression de la jeune femme en blouse noire, et étant donné que la plupart des témoins ont été tués lors du massacre, nous ne pouvons qu’imaginer combien d’autres femmes et jeunes filles ont été victimes de violences sexuelles dans les dernières minutes avant leur décès.