Avec son dernier clip Anaconda, Nicki Minaj a suscité de nombreuses réactions, souvent outrées, parfois violentes. Cet élan de slut-shaming, désignant la volonté de dénigrer de façon agressive tout comportement sexualisé féminin ne répondant pas aux normes, fait éclater au grand jour la présence d’un discours sexiste et raciste au sein du mainstream.
«Que de vulgarités», s’écriaient de nombreuses voix, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les conversations, après la vision du clipAnaconda de Nicki Minaj. Il suffit de parcourir les commentaires présents sur YouTube pour observer l’avalanche d’accusations de pornographie, de décadence…
Que contient ce clip pour qu’il fasse autant réagir négativement ? Nous ne reviendrons pas ici sur la musique du titre Anaconda, laissant chacun·e exprimer ses goûts sur ce tube ricain. Pour celles et ceux qui ne la connaîtraient pas, Nicki Minaj est une chanteuse et compositrice américaine. Elle a remporté en tout 60 récompenses et gagné près de 30 millions de dollars en 2013, ce qui en fait la femme nº 1 dans le monde du hip-hop. Parmi les stars féminines du mainstream américain, elle est l’une des rares à raper, genre généralement réservé aux hommes, et non pas à chanter du r’n’b.
Dans Anaconda, second clip de son nouvel album qui sortira en fin d’année, elle se retrouve dans un décor de jungle et y danse entourée de comparses. Surtout, le thème principal des paroles et des visuels du clip n’est autre que sonbooty, ses impressionnantes fesses. Ces dernières sont constamment mises en avant, que ce soit via la danse du twerk, qui consiste justement à les secouer, ou avec des strings roses étroits au possible. Si ce clip sexualise évidemment ainsi le corps des femmes, cette sexualisation s’exprime d’une façon spécifique. Et c’est bien ces différences qui font que ce clip fait autant réagir, alors même que la sexualisation du corps des femmes est une constante dans le mainstream.
Ne pas rester à sa place
Ce qui dérange, au fond, c’est que Nicki Minaj refuse la place qui est attribuée socialement à la sexualité féminine. Cette dernière est habituellement passive, présente en arrière fond, les femmes dénudées n’étant que les accessoires de chanteurs mâles. C’est une sexualité réduite à une fonction décorative, le clip Blurred Lines de Robin Thicke étant l’exemple récent le plus saillant de cette imagerie machiste. Nicki Minaj refuse ce rôle de faire-valoir, s’empare du premier plan et exprime sa sexualité avec joie.
Le slut-shaming, exprimé avec violence envers Nicki Minaj, tend lui aussi à imposer un rôle aux femmes. Elles doivent être « comme il faut », faire preuve de pudeur et de discrétion, sinon elles sont traitées de salopes. Anaconda peut être ainsi lu comme un attentat à la pudeur, Nicki Minaj affichant sa liberté d’exprimer sa sexualité avec force, à l’instar des hommes. Les critiques du slut-shaming sont d’autant plus problématiques qu’elles sont parfois reprises par certaines féministes, à travers l’argument du refus de la marchandisation et de la prostitution du corps féminin. Mais refuser au corps féminin la liberté d’exprimer sa sexualité comme il l’entend, n’est-ce pas également lui assigner un rôle ? La façon dont le corps est présenté dans le clip souligne de plus sa toute puissance. Nicki Minaj exprime une appropriation et une force revendiquée contre la réification : le corps ne représente plus un objet dans l’attente d’être possédé mais bien le sujet libre et actif.
D’autres éléments du clip viennent accentuer cet aspect. Ainsi c’est le corps masculin qui se trouve réifiée et moqué. On voit par exemple Nicki Minaj jeter négligemment une banane à un moment de la vidéo. Surtout, c’est le second clip de Nicki Minaj de suite où une star masculine apparaît alors même qu’elle ne contribue en rien à la chanson, n’étant présent que comme décoration. Après The Game dans Pills N Potions, c’est au tour de la superstar Drake de jouer le rôle de simple figurant. Il s’agit d’une scène où Nicki Minaj subjugue un Drake par une lap dance avant de le laisser en plan quand celui-ci tente de la toucher.
Récupération et subversion
Peut-on en conclure que Nicki Minaj et son clip représentent une percée révolutionnaire, chamboulant le patriarcat du mainstream ? La réponse n’est évidemment pas univoque. Stuart Hall rappelait dans sa Déconstruction du populaire (1981) que les phénomènes culturels ne sont pas « soit totalement corrompus soit totalement authentiques » mais bien plutôt « profondément contradictoires ». Le mainstream est un champ de bataille permanent où la culture populaire est sans cesse réarticulée par l’industrie culturelle pour qu’elle corresponde aux visions du monde hégémonique. Néanmoins, cette lutte implique la présence de processus de subversion et de résistance au sein même du mainstream. Ainsi, si la performance de Nicki Minaj se retrouve récupérée par une industrie qui en tire des bénéfices, elle permet en même temps d’exprimer des éléments allant à l’encontre des rôles attribués par notre société sexiste. La violence des réactions qu’elle suscite en étant un premier indice. De plus, pour indiquer que cette interprétation d’Anaconda ne tombe pas du ciel, rappelons que Nicki Minaj s’est souvent exprimée dans différents interviews pour dénoncer le manque de reconnaissance qu’elle subit du fait qu’elle soit une femme au sein d’un milieu du rap largement dominé par les hommes. Nous lui laissons la conclusion : « I’m the queen of New York. I’m the king of New York ».
Source : solidaritéS