Le 4 octobre prochain, une grande chaine humaine va encercler le siège de GDF-SUEZ-Electrabel à Bruxelles. Trois organisations antinucléaires nous invitent à y être en nombre. Il y a urgence. L’objectif central de ce rassemblement citoyen est de faire entendre bien haut et fort à Electrabel et au gouvernement : Non au redémarrage des réacteurs nucléaires fissurés de Tihange 2 et Doel 3 !
La Gauche, périodique de la LCR – Ligue Communiste révolutionnaire- a interviewé Léo Tubbax, animateur du comité « Nucléaire Stop ».
Pourquoi l’appel au rassemblement, à l’encerclement du siège de GDF-Suez-Electrabel près de la gare Bruxelles-Nord ?
Léo Tubbax : L’objectif principal de la chaîne humaine est de crier haut et fort : Non au redémarrage des réacteurs fissurés Tihange 2 (près de Huy) et Doel 3 (près d’Anvers). Il y a urgence. Ces deux réacteurs sont aujourd’hui à l’arrêt. Electrabel a fixé la date du redémarrage des deux réacteurs au 1er novembre prochain. C’est inacceptable et irresponsable ; c’est mettre les énormes intérêts financiers d’Electrabel en balance avec les problèmes touchant à la sécurité et aux conséquences dramatiques d’une catastrophe nucléaire pour les populations. Le risque zéro n’existe pas. Cet été encore, on a connu sept incidents, rien qu’à Tihange 2.
Une situation d’insécurité ? Mais de quoi s’agit-il ?
Léo Tubbax : Déjà en 2012, lors d’une révision des cuves sous pression des réacteurs de Tihange 2 et Doel 3, on a découvert un nombre important de fissures, entraînant l’arrêt des deux centrales nucléaires. En mai 2013, sous le gouvernement Di Rupo, l’AFCN , l’Agence fédérale du contrôle nucléaire, donnait le feu vert pour la remise en route des deux réacteurs concernés, certifiant que « l’intégrité structurelle « de l’acier des deux réacteurs était garantie.
Cette affirmation n’est plus du tout d’actualité. Suite aux « résultats inattendus » d’une nouvelle révision – avec la découverte de l’augmentation de 60% du nombre de fissures ainsi que de leur longueur jusqu’à 18 cm-, les deux réacteurs furent à nouveau à l’arrêt. Le Centre de recherche nucléaire de Mol allait de son côté procéder à une simulation de radiation d’un « échantillon représentatif d’acier », selon la terminologie d’Electrabel. De même, un panel d’experts indépendants, d’anciens fonctionnaires de l’industrie nucléaire allemande, allait tenir à Aix-La-Chapelle un séminaire où j’ai eu l’occasion de participer. Leur verdict fut sans appel : c’est le cœur (la cuve) des réacteurs qui est atteint. Cette pièce centrale ne peut ni être réparée ni être remplacée. Ces réacteurs de la première génération, qui datent du début des années 1970, avaient été construits pour durer jusque début des années 2000 ! Il est grand temps de les mettre définitivement à l’arrêt !
Mais alors pourquoi va-t-on vers le redémarrage des deux réacteurs Tihange 2 et Doel 3 ?
Léo Tubbax : J’y vois deux raisons : la collusion entre l’organisme de contrôle du nucléaire, l’AFCN, et le producteur d’électricité, Electrabel ; également, les profits juteux d’Electrabel qui contrôle 90% de la production d’électricité en Belgique.
Comme je l’ai signalé, en 2013, l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire avait déjà donné un avis positif pour le redémarrage des deux réacteurs fissurés, Doel 3 etTihange2. A la tête de l’Agence fédérale se trouvait Jan Bens, nommé par le gouvernement Di Rupo. Ce directeur-général de l’AFCN (agence de contrôle nucléaire) a été top-manager de la filiale kazakhe d’Electrabel. Le staff de l’AFCN comporte, aux côtés de Jan Bens, un bon nombre d’anciens cadres d’Electrabel. C’est dire le degré de dépendance de l’Agence par rapport à l’opérateur, en contradiction avec une convention internationale, inscrite dans la loi belge, stipulant que l’agence de contrôle doit être totalement indépendante de l’opérateur. Aujourd’hui, on sait que dans le gouvernement Michel pro-nucléaire, le Cabinet de Mme Marghem, la ministre libérale de l’Energie, est truffé de proches du groupe Engie, ex-GDF-Suez.
La deuxième raison, c’est le profit avant tout, avant la sécurité ! Le nucléaire rapporte à Electrabel le montant faramineux d’un million d’euros de bénéfices par jour ouvrable par réacteur. Nos centrales ont été amorties (remboursement des prêts bancaires…) en une 20 aine d’années. Et elles continuent à fonctionner après 40 ans d’exploitation ! On peut imaginer et calculer la somme phénoménale des profits accumulés.
Le gouvernement Michel, avec l’approbation d’une majorité des parlementaires, a récemment décidé de prolonger le fonctionnement des centrales Doel 1 et 2 et Tihange 1 jusque 2025, alors que celles-ci dépassent déjà 40 années d’activité. Incroyable, non !
Léo Tubbax : D’abord un petit rappel. En 2002, l’Ecolo Olivier Deleuze, qui était à l’époque secrétaire d’Etat à l’Energie et au développement, obtenait, et cela acté dans une loi, l’extinction programmée, entre 2015 et 2025, des 7 centrales nucléaires (3 à Tihange et 4 à Doel), dès qu’elles entreraient dans leur quarantième année de service.
Electrabel avait marqué son accord. Mais, entretemps, l’opérateur a fait la grève des investissements, tout en encaissant de plantureux bénéfices liés en grande partie à l’amortissement complété des centrales. Electrabel était également sensé entretenir ses centrales à gaz. Pas assez rentables, il les a tout simplement fermées. Quant à investir dans les énergies renouvelables pour préparer la fermeture programmée du nucléaire, il ne fallait pas compter sur Electrabel. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans un pays qui n’est pas équipé autrement que par ces centrales nucléaires rendues de fait indispensables. D’où la décision de prolonger l’activité des centrales, en tout cas celles de Doel 1 et 2, et de Tihange 1 jusqu’en 2025. On n’est pas à l’abri de catastrophes. Les réacteurs de la première génération ont été construits pour durer 25, voire 30 ans, mais pas 50 ans !
Il faut donc sortir du nucléaire ?
Léo Tubbax : L’activité dans le nucléaire n’est pas une industrie comme les autres. Les conséquences d’une catastrophe comme on en a connu ailleurs sont terribles pour les populations : 14 millions de personnes vivent dans le rayon dangereux de 75Km autour des centrales de Doel (région anversoise) et Tihange (région liégeoise et d’Aix-la –Chapelle). Comme je l’ai dit, les réacteurs de la première génération avaient été construits pour durer jusqu’au début des années 2000. Nous sommes en 2015 ! Le redémarrage des réacteurs fissurés de Tihange 2 et Doel 3 serait une décision politique que je n’hésite pas à qualifier de négligence criminelle. Nos vies valent plus que les profits d’Electrabel.
Il y a aussi une autre raison pour sortir du nucléaire et qui plaide pour l’unité entre les mouvements antinucléaires et ceux qui veulent empêcher le basculement climatique. Il y a des militants « climat », de notoriété publique, qui prétendent que le nucléaire fait partie de l’éventail des solutions au réchauffement climatique. Ils veulent peut-être nous faire oublier que chaque catastrophe nucléaire libère dans l’écosphère des particules diaboliques d’une durée de vie quasi illimitée, que les déchets radioactifs produits par les centrales nucléaires ont une durée de vie de…800 000 ans !
Cette sortie du nucléaire ne doit-elle pas être programmée ?
Léo Tubbax : Electrabel a tout fait pour que les centrales restent indispensables et pour continuer, en bluffant sur la sécurité, à se remplir les poches. Il est grand temps de briser le pouvoir d’Electrabel pour programmer, sans attendre 2025, la sortie du nucléaire. Les raisons ne manquent pas pour placer la production d’énergie sous le contrôle et la gestion du public, comme l’exige la CGSP-ACOD par exemple. Il est grand temps de forcer le pouvoir politique à investir dans les énergies renouvelables. Les moyens techniques d’en bénéficier existent, ils sont là : l’éolien maritime et terrestre, l’énergie des marées, le photovoltaïque, la géothermie, le chauffage urbain, la cogénération, sans oublier les Négawatts : l’isolation des habitations, le renforcement du transport public, etc.
Beaucoup d’études, de rapports s’accordent pour dire et prouver que le renouvelable est un très grand gisement d’emplois. Il va sans dire que ces objectifs impliquent un changement dans les rapports de force. C’est le mouvement ouvrier, syndical qui est le principal acteur qui pourrait modifier la politique énergétique. Il a laissé trop longtemps cette question de côté. Dans les prises de position, les choses commencent à changer. Mais cela ne se traduit pas encore dans une présence concrète sur le terrain.
Une belle occasion, ce serait qu’il soit à nos côtés le 4 octobre pour le rassemblement antinucléaire à Bruxelles devant le siège d’Electrabel.
Précisément, quels sont les objectifs de cette grande chaîne humaine et quels en sont les organisateurs ?
Léo Tubbax : L’appel pour ce rassemblement comporte trois objectifs : (1) Non au redémarrage des réacteurs fissurés Tihange 2 et Doel 3 ; (2) du courant bon marché, renouvelable et sans risque pour tous ; (3) la reconversion des travailleurs des centrales nucléaires.
Il y trois organisations à l’initiative de cette chaîne humaine : le comité belge Nucléaire Stop Kernenergie ; un collectif anversois qui s’appelle 11 Maartbeweging ; un collectif allemand d’Aix-la-Chapelle : Aachener Aktionsbündnis.
L’appel a été lancé à de nombreux comités, collectifs, organisations pour qu’ensemble nous renforcions le combat antinucléaire et, dans l’immédiat, pour empêcher le redémarrage des réacteurs Tihange 2 et Doel 3.
Propos recueillis par Denis Horman.