Les éditions MeMogrammes et le CArCoB viennent de rééditer ce livre[1] écrit en 1967 par Claude Renard, militant du Parti communiste de Belgique. Cette réédition est intéressante à plusieurs titres. D’abord parce que l’ouvrage relate avec minutie les années 1914-1921 qui furent successivement des années noires (faillite de l’Internationale socialiste face à la guerre impérialiste, opportunisme d’Émile Vandervelde, années de guerre) suivies d’années d’espoir et d’enthousiasme (Octobre 1917, fondation de l’Internationale communiste en 1919, premiers balbutiements du mouvement communiste en Belgique). Un siècle après 1917, peu de nos contemporains imaginent l’enthousiasme soulevé à l’époque par la Révolution d’Octobre, non seulement en Europe mais aussi chez les peuples colonisés communistes encouragés à briser leurs chaînes.
Il est intéressant de relire aujourd’hui, 16 ans après la fin de l’URSS, ce qu’un cadre du PCB écrivait il y a 50 ans et comment il l’écrivait. En 1967, encore traumatisé par la scission prochinoise fomentée par Jacques Grippa, le PCB restait fortement marqué par les traditions staliniennes, et il aurait été impensable à l’époque que l’auteur mentionne dans son livre le nom de Léon Trotsky[2] qui a pourtant joué un rôle considérable en Octobre 1917. Il faudra donc attendre 50 ans pour que Claude Renard fasse référence à Trotsky dans la postface de cette réédition de 2017.
Octobre 1917 a eu des conséquences essentielles pour la classe ouvrière de Belgique, pas tellement en termes de recomposition politique (les communistes belges n’ont jamais atteint le nombre de mille membres dans les années vingt), mais surtout en termes de conquêtes sociales et politiques. La journée des huit heures, le suffrage universel (pour les hommes) et l’abrogation de l’article 310 du Code pénal (qui criminalisait la cessation collective du travail, c’est-à-dire la grève) ont été conquis au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Certes, comme l’écrit Jean Puissant dans la préface de cette réédition du livre de Claude Renard, les milieux patronaux de secteurs intensifs en capitaux, tels que Solvay (chimie) et Franqui (Finance), étaient favorables aux réformes contrairement aux secteurs intensifs en main-d’œuvre tels que les charbonnages et la sidérurgie (Société Générale).
Après que Vandervelde ait prouvé sa loyauté envers la bourgeoisie et la monarchie en soutenant la guerre (et par la suite en soutenant le Traité de Versailles), une partie de la bourgeoisie envisageait les avantages d’associer le POB au pouvoir après la guerre. Dans cette mesure, l’octroi du suffrage universel avait l’avantage non seulement de faciliter l’accès au pouvoir du POB mais surtout de désamorcer une revendication qui avait mené à plusieurs grèves générales avant 1914. Bien entendu le contexte général de la montée révolutionnaire en Europe (Allemagne, Hongrie) inspirait l’inquiétude dans les rangs de la bourgeoisie et il était donc prudent de lâcher du lest. D’autant plus qu’en novembre 1918, les rues de Bruxelles (la seule capitale occupée par les troupes allemandes) étaient livrées aux soldats révolutionnaires qui avaient hissé des drapeaux rouges et installé des mitrailleuses sur la Bourse. La révolution socialiste ne menaçait pas directement la Belgique mais, pour reprendre une expression chère à Daniel Bensaïd, «l’Histoire leur mordait la nuque». Quand l’incendie menace, tout est bon pour le circonscrire. Le suffrage universel fut donc accordé sans révision préalable de la Constitution!
Cette histoire est aussi la nôtre
L’ouvrage de Claude Renard est charpenté autour de quatre chapitres: le ralliement de la sociale-démocratie à la guerre, le timide réveil de l’internationalisme pendant la guerre, la portée internationale de la Révolution d’Octobre, la fondation de l’Internationale communiste et du PCB. Au fil de la lecture on suivra avec intérêt les prémices de l’émergence du mouvement communiste en Belgique: le Vredesgroep issu des JGS [Jeunes Gardes socialistes] de Gand, les petits journaux anarchistes (De Volkswacht à Louvain, La Révolte à Bruxelles) appelant les ouvriers belges à s’inspirer de l’exemple des Soviets ; le groupe L’Ère nouvelle, animé par Joseph Thonet à Huy, ou encore la participation enthousiaste des JGS de Molenbeek aux manifestations de rue des soldats allemands. Plus sérieusement l’ouvrage nous amène à suivre également la création du premier Parti communiste belge en 1920 autour de War Van Overstraeten, qui éditait L’Ouvrier Communiste et sera délégué au 2e Congrès de l’Internationale communiste. D’autre part Joseph Jacquemotte, animateur du Syndicat des Employés à Bruxelles, éditait L’Exploité, s’efforçant de développer un courant de gauche au sein du POB. En 1920 Les Amis de l’Exploité tinrent un congrès pour se constituer en courant mais furent ensuite quasiment poussés hors du POB. En 1921, sous l’impulsion de l’Internationale communiste, les groupes Van Overstraeten et Jacquemotte fusionnèrent pour fonder le Parti communiste de Belgique.
Cette histoire, que vous découvrirez peut-être en lisant le livre de Claude Renard, c’est aussi notre histoire. Car comme le relate Charles Plisnier dans Faux Passeports[3], à propos du Congrès du PCB de 1928 où les partisans de Trotsky furent exclus, un de ceux-ci s’écria: «Tout de même, ce parti, c’est nous qui l’avons fait! Avec notre chair! Dur de leur laisser cela!».
Notes:
[1] Claude Renard (2017) Octobre 1917 et le Mouvement ouvrier belge. Ed. Memogrammes et CArCoB, 160p. (19 euros + frais de port). A commander au CArCob, 33 Rue de la Caserne, 1000 Bruxelles ou au 02/513.61.99, carcob@skynet.be.
[2] Pas plus que celui de Trotsky, les noms de Zinoviev ou de Boukharine, qui furent pourtant parmi les bol-cheviks cofondateurs de l’Internationale communiste, ne figurent dans le livre de Claude Renard.
[3] Faux Passeports, Charles Plisnier, (Souvenirs d’un agitateur communiste) livre pour lequel l’auteur obtint le Prix Goncourt en 1937. Originaire de Ghlin, Charles Plisnier, avocat, fut exclu en 1928 du PCB dont il était membres du Comité central.