Après les attentats de Paris, la LCR tirait la sonnette d’alarme face aux procédures anti-démocratiques qui se mettent en place au nom de la lutte contre le terrorisme. Et près d’un millier de personnes signaient l’appel « De la peur à la résistance – urgence démocratique » qui se termine par: « Nous abominons le terrorisme de Daesh, mais nous lutterons contre la politique sécuritaire et liberticide que nos gouvernements veulent imposer au nom de la lutte contre les terroristes! »
Procès d’intention?
Les conséquences de « l’Etat d’exception » ne se sont pas fait attendre. Les perquisitions policières se sont multipliées, avec des méthodes choc (portes défoncées, fenêtres brisées, etc.) « Des policiers qui interrogent des élèves, musulmans, parce qu’ils ont participé à un débat en classe et que le professeur, inquiet de ce qu’il avait entendu, les a directement contactés sans en référer à la direction. Un élève – musulman lui aussi – se fait violemment interpeller au moment où il achète son pique-nique de midi. Mitraillette pointée sur lui, il est fouillé et emmené au poste avant d’être libéré (…) « On ne peut en tout cas plus parler aujourd’hui d’incidents isolés », constate Patrick Charlier, directeur du Centre interfédéral pour l’Egalité des Chances (1). Des travailleurs, suspectés comme éléments « radicaux » sont dénoncés comme tels. Sous prétexte de « lutter contre le terrorisme », on a vu des bourgmestres interdire des manifestations ou des débats publics. Le MR profite de la situation pour déposer une proposition de loi visant à interdire les piquets de grève…
Un nouvel arsenal de mesures sécuritaires et liberticides
Le jeudi 19 novembre, le gouvernement Michel énonçait 18 « mesures fortes » pour lutter contre le terrorisme. Mesures qui doivent faire l’objet d’un débat au sein d’une commission parlementaire ad hoc avant d’être soumises au parlement fédéral et traduites en texte de loi (et même avec révision d’article de la Constitution). Dans une « carte blanche », plusieurs organisations ont attiré l’attention sur le caractère « ultra-sécuritaire » et liberticide de ces mesures: « Ces mesures sont problématiques sur le plan des droits démocratiques […]. Nous nous inquiétons de la politique ultra-sécuritaire qui se met en place sous nos yeux. Nous abhorrons le terrorisme de Daesh, mais nous nous opposons tout aussi fort au démantèlement des droits fondamentaux au nom de la lutte contre les terroristes pour qui ce démantèlement constituerait une victoire ». (3) Le 10 décembre 2015, journée mondiale des Droits de l’Homme, les organisations signataires de cette carte blanche, rejointes par la FGTB fédérale, la Centrale générale et la Centrale des Métallos FGTB Wallonie-Bruxelles appelaient à la mobilisation et un rassemblement dans le centre de Bruxelles.
Pointons quelques-unes de ces mesures:
- Contrôle massif: tous suspects !
- Renforcement des contrôles policiers aux frontières; application du PNR (Passenger Name Record). Sans attendre le projet européen, la Belgique appliquera le contrôle systématique de l’enregistrement de tous les passagers, avec leurs données, dans les transports (avions et trains à grande vitesse); élargissement des écoutes téléphoniques, présence massive de caméras de surveillance…
- « Il ne faudrait pas que, sous couvert de lutte antiterroriste, on mette en place des mécanismes de contrôle et de surveillance systématique de l’ensemble des citoyens », s’inquiète Edouard Delruelle, professeur de philosophie politique à l’ULg (4). »Trop d’information tue l’information. La plupart des personnes impliquées dans les attentats de Paris étaient connues des services de sécurité. Il faut des contrôles ciblés plutôt que de considérer à priori toute la population civile comme suspecte », plaide Alexis Deswaef, le président de la LDH.
- Renforcement du « screening » pour l’accès aux emplois sensibles. « Il faut rester prudent quant aux risques de discrimination qui pourraient se faire jour, particulièrement vis-à-vis de certains groupes, soit en raison de leur religion, soit en raison de leurs opinions politiques », met en garde la Ligue des Droits de l’Homme. « Cette mesure, qui vise à identifier des éléments ‘radicaux’, pose la question de ce qu’inclut le terme ‘radical’ […]. Ce terme flou pourrait aboutir à créer une nouvelle catégorie de citoyens privés d’une partie de leurs droits fondamentaux et être le moteur d’une dérive […] vers une répression par l’Etat de la contestation sociale ou politique »(5).
- Lors de la COP21 à Paris, des militants du climat furent traités comme des terroristes et assignés à résidence pendant deux semaines!
- Perquisitions 24h/24 et prolongation de la garde à vue
- Actuellement, les perquisitions ne peuvent être menées qu’entre 5 heures du matin et 21 heures. Des perquisitions de nuit sont cependant déjà utilisées, soit sur base du flagrant délit, soit en matière de stupéfiant, soit encore sur base du consentement des personnes concernées. Désormais, les enquêtes pour terrorisme entreront dans ces exceptions et les perquisitions liées à ces affaires pourront donc s’effectuer la nuit. Le ministre de la Justice, Koen Geens, tient à préciser: « Cela reste une mesure d’exception qui visera le terrorisme de manière générale [c’est nous qui soulignons] et les organisations criminelles, lorsqu’il existe des indices sérieux »(6). Qui va en juger? Faudra-t-il encore l’autorisation d’un juge d’instruction pour mener ces perquisitions en pleine nuit? Et puis, on imagine le traumatisme laissé par ces perquisitions de nuit, menées avec des méthodes « choc » chez un suspect, présumé innocent, et pour sa famille et ses enfants. Ce type de perquisitions n’est plus exceptionnel.
- Prolongation de la garde-à-vue jusqu’à 72 heures pour les actes de terrorisme. Les signataires de la carte blanche font bien de rappeler que « la prolongation de privation de la liberté de 24 à 72 heures ne peut être appliquée sans changer la Constitution. Or la Constitution n’est pas un texte que l’on peut bricoler à la légère. Garder un suspect – présumé innocent – pendant trois jours au commissariat est un délai très long. Seul un juge d’instruction doit pouvoir examiner la nécessité d’une détention prolongée au-delà de 24 heures ». (7)
- Ces quelques mesures mises en évidence (sur l’arsenal des 18 mesures annoncées par le gouvernement Michel) ont d’ores et déjà été approuvées par le Conseil des ministres, tenu le vendredi 11 décembre 2015. On retiendra ce commentaire d’un journaliste relatant le communiqué du Premier ministre le jeudi 19 novembre 2015: « Charles Michel a évoqué un hypothétique ‘état d’urgence’ qui permettrait à l’exécutif d’opérer plus vite et fort s’il le faut » (8). En serions-nous déjà là?
Répression – prévention – droits démocratiques
Le 24 novembre, dans son communiqué, la LCR n’hésitait pas à dénoncer la marche à l’Etat fort du gouvernement Michel: « Celui-ci instrumentalise cyniquement le sentiment d’horreur soulevé par les ignobles attentats de Daesh pour imposer un climat politique et médiatique ultra-sécuritaire où toute contestation de sa politique néolibérale est montrée du doigt comme faisant le jeu de l’ennemi ». Le gouvernement Michel-De Wever avance des mesures essentiellement répressives et liberticides (sans oublier l’arsenal de mesures antisociales), qu’il compte bien continuer à faire voter par un parlement où la majorité lui est acquise! Et l’opposition parlementaire (CDH, PS, Ecolo et PTB) dans tout ça? Tout en mettant l’accent sur la nécessité d’allier répression avec prévention, n’est-elle pas en train d’approuver globalement ces 18 mesures, au nom de l’unité nationale « tous ensemble contre le terrorisme », même si c’est avec des nuances propres à chaque famille politique (9)? C’est du côté syndical et des mouvements sociaux, avec les organisations de la gauche radicale, que le sursaut doit s’opérer. « Le droit de vivre en paix et dans la sécurité sont inséparables d’un tournant radical, à tous les niveaux, vers la justice sociale, l’égalité des droits, la satisfaction des besoins, le partage des richesses et le respect »(10).
Militaires dans la rue
Un millier de militaires déployés dans les grandes villes et aux endroits « stratégiques », soit trois fois plus dans nos rues qu’en mission à l’étranger! « L’exemple des militaires dans la rue laisse craindre le pire », souligne un document de la Ligue des Droits de l’Homme; « L’urgence est devenue le droit commun, et ne prendra sans doute jamais fin »(2). Avant la trêve des confiseurs, le gouvernement a décidé de prolonger d’un mois l’occupation de Bruxelles par l’armée et a annoncé 2.500 policiers en plus dans les rues du pays… Près de la moitié seront d’anciens militaires!
C’est louche!
« Comment Charles Michel a-t-il pu trouver, sans difficulté pour le budget, 400 millions d’euros de plus pour les budgets militaires et de sécurité, alors qu’il nous répond, depuis un an qu’il n’y
a pas un euro, à cause des contraintes budgétaires, pour créer des emplois ou relever les petites pensions au-dessus du seuil de pauvreté […]. Oui le terrorisme tue, mais la pauvreté tue davantage, le manque de soins, le chômage, le travail tue… L’Agence européenne pour l’Environnement révèle que la pollution de l’air a causé en Belgique 11.000 morts prématurées en 2012. Pourquoi n’y a-t-il jamais d’argent pour nous protéger d’abord des dangers qui nous menacent le plus? ». (11)
Notes:
(1) La Libre Belgique, Opinion, 07 décembre 2015.
(2) La LDH, Réaction aux diverses mesures annoncées par le gouvernement suite aux attentats de Paris
(3) Carte blanche signée par la Ligue des Droits de l’Homme, le Syndicat des Avocats pour la Démocratie, le CNAPD, la CSC BHV et la Centrale générale de la FGTB, Campagne Stop Répression et d’autres, Le Soir, 10 décembre 2015
(4) Edouard Delruelle: »On est très loin d’un Patriot Act à l’américaine, mais… », Le Soir, 20 novembre 2015
(5) La LDH, ibid.
(6) »Six mesures antiterroristes approuvées par le conseil des ministres », Le Soir, 12-13 décembre 2015
(7) Le Soir, 10 décembre 2015, ibid.
(8) »Les mesures fortes pour la lutter contre le terrorisme », Le Soir, 20 novembre 2015
(9) Daniel Tanuro, »Attentats: PS, Ecolo et PTB dans le piège sécuritaire », www.lcr-lagauche.org, 1er décembre 2015
(10) Communiqué de la LCR, www.lcrlagauche.org, 24 novembre 2015
(11) Felipe Van Keirsblick, »Face à la terreur », Le droit de l’employé n°10, décembre 2015
Article publié dans La Gauche #75, janvier-février 2016.
Illustration: Arnold De Spiegeleer