Depuis désormais plus de trois mois un nouveau mouvement féministe, qui surprend pour son ampleur, sa composition et sa radicalité, a fait irruption sur la scène italienne. Les premières signes de la maturation d’une nouvelle génération féministe, avec ses propres codes d’expression et sa propre sensibilité politique, étaient déjà visibles les derniers deux ans dans les initiatives italiennes, notamment à Rome, pour le plein exercice du droit à l’avortement – prévue par la Loi 194 mais pas garanti dans la pratique des hôpitaux à cause de la présence croissante des « objecteurs de conscience » – et en solidarité avec les luttes des femmes espagnoles contre le projet de loi anti-avortement du Ministre Gallardon.
Cette fois-ci aussi l’inspiration est venue des mobilisations féministes internationales contre la violence machiste dans de nombreux pays latino-américains et pour l’égalité salariale en Islande et pour l’avortement en Pologne, qui ont encouragé l’envie de réagir à une situation de violence structurelle envers les femmes qui caractérise ce pays et dont l’assassinat d’une femme par œuvre d’un fiancé, d’un mari ou ex n’est que la pointe de l’iceberg.
Ainsi, de la confluence des pratiques des collectifs de jeunes féministes et de l’expérience de centres antiviolence, gérés par les femmes, est né un appel à la mobilisation nationale, en occasion de la journée du 25 novembre, conçue comme le début d’un processus de réflexion et d’action qui s’en prend à toutes les formes de violences structurelles envers les femmes. L’appel, rédigé à Rome sous le nom Non Una di Meno, a été accueilli avec enthousiasme et dans plusieurs villes des assemblées locales se sont auto-convoquées pour préparer la manifestation. Contrairement au passé ces rendez-vous parfois à l’initiative de nouveaux collectifs de jeunes féministes ou de groupes informels, souvent liés aux espaces occupés, qui se sont adressés à tout le monde à travers les social media, ont connu un grand succès.
150.000 femmes dans les rues de Rome
Samedi 26 novembre au moins 150.000 femmes, LGBTIQ et un certain nombre de (jeunes) hommes solidaires sont déscendus dans la rue en formant une marée colorée, joyeuse et incontenable qui a envahit le centre de Rome. Cette manif, pleine d’énergie et de volonté de bouleverser le monde, auto-organisée, sans le support des structures traditionnelles de la gauche, s’est déroulée dans un esprit unitaire, inclusif des instances antiracistes, antipatriarcales et LGBTIQ. Il s’agit d’un mouvement qui est certainement hostile envers les gouvernements du PD (Renzi d’abord et Gentiloni ensuite) à cause des attaques à la santé publique, aux conditions di vie des travailleuses et des précaires, à l’autodétermination des femmes en matière reproductive (voir la promotion du « Fertility Day » de la Ministre Lorenzin) ; à cause des financements aux centres antiviolence suspendus et de la politique migratoire qui, dans les faits, est punitive et empêche aux nouv.elles.aux arrivé.e.s une vie digne sur notre territoire. Mais en même temps il ne se reconnait dans aucune autre force politique ou syndicale établie.
Cette manifestation qui est allé au-delà de toute expectative a été suivie d’une journée d’élaboration des contenus de la protestation, avec une assemblée nationale, articulée en 8 tables (chacune d’environ 200 personnes, provenant de tout le pays) qui se sont penchées sur les différents aspects de la violence (hétéro)patriarcale : du cadre juridico-légal à la violence économique, au travail et dans le welfare ; de l’éducation sexiste à l’école aux medias ; de l’accompagnement féministe pour sortir de la violence au plan de santé sexuelle et reproductive ; de la double ou triple violence que vivent le femmes immigrées au sexisme dans les mouvements sociaux. Cette élaboration mènera à l’écriture d’un plan féministe antiviolence, partant d’en bas, en contraste avec celui qui est en préparation de la part du gouvernement et qui sera présenté en juin.
Refuser les comportements de genre imposés
Pendant ce temps Non Una di Meno a accueilli l’appel de Ni Una Menos argentin à une grève internationale des femmes à l’occasion du prochain 8 mars. Une journée dans laquelle nous proclamerons : « si nos vies ne valent rien, nous nous arrêtons ». Nous ne produisons pas, nous ne soignons pas, nous ne consommons pas, nous « faisons grève » en refusant les comportements de genre imposés.
Galvanisé par la manifestation océanique, dans laquelle des milliers de jeunes filles – et garçons – sont descendues dans la rue pour la première fois, le mouvement s’est encore répandu en s’articulant dans des assemblées par ville qui travaillent dans l’optique soit d’approfondir les thèmes de tables nationales soit de préparer concrètement la grève des femmes du prochain 8 mars chacune sur son territoire. Une deuxième assemblée nationale qui vient de se conclure à Bologne le weekend passé a défini la plateforme – résultat des discussions approfondies dans les tables – et les modalités de la grève : choix d’endroits symboliques pour réaliser des flashmob, soutien aux travailleuses précaires ou soumises au chantage du patron à travers des « actions de trouble » (qui dérangent le déroulement du service ou de la production), choix d’un symbole unique – les couleurs noir et fuchsia et les poupées russes – à exposer à la fenêtre ou à porter pour dénoter l’adhésion à la grève aussi de la part de celles qui ne sont pas en mesure de quitter leur poste ; en plus des assemblées dans les lieux de travail et dans les écoles pour bloquer le cours et discuter de la violence et de l’oppression des femmes. Ensuite on se donnera rendez-vous dans les places centrales de toutes les villes à la fin de l’après-midi, où on créera des connexions nationales et internationales entre manifestantes, pour conclure dans quelques villes en soirée avec des cortèges du type « reprenons-nous la nuit » ou sous le slogan « les rues sures sont faites par les femmes qui y passent » (et par les « forces de l’ordre »).
Autogestion, entraide et éducation à la différence
Tout en gardant bien en main l’autonomie du mouvement, Non Una di Meno a lancé l’invitation et le défi à tous les syndicats, majoritaires et de base, à joindre l’action, en proclamant une grève générale de 24 heures, le seul moyen par lequel les employées peuvent faire grève légalement. Jusqu’ici il n’y a que quelques syndicats de base qui ont répondu positivement à l’appel sans s’engager pleinement pour sa réussite, tandis que la CGIL a décidé de ne PAS adhérer mais d’inviter seulement sa base à faire des assemblées dans les lieux de travail sur le thème.
Ce nouveau mouvement féministe, qui exprime un refus radical de l’existant, tire sa force de la combinaison d’ actions massives de protestation et d’action directe avec les expériences capillaires d’autogestion et d’entraide, dans les centres antiviolence, dans les curriculum d’éducation à la différence, dans les collectifs d’étudiantes et dans les espaces occupées, qui font allusion à la construction d’une société libérée machisme, de racisme, d’homo-lesbo-transphobie, et qui dépasse les logiques du marché capitaliste.
Il se sent partie d’une marée – sera-ce la fameuse troisième vague ? – de protagonisme des femmes qui traverse le monde et qui met en cause les politiques misogynes et excluantes d’un establishment qui a perdu toute crédibilité.
C’est le premier mouvement de masse qui secoue le sens d’impuissance et de passivité qui semble avoir frappé l’Italie depuis que le Centre-gauche de Renzi est arrivé au pouvoir, en promettant de moderniser le pays en faisant redémarrer l’économie, en rajeunissant sa classe politique et en alignant son fonctionnement aux standards d’efficience européens.
Espérons que ce mouvement, unique par sa force d’auto-organisation, dirigé par une nouvelle génération de femmes – dans lequel nous sommes pleinement engagées – pourra se consolider et donner un nouvel élan pour la reprise des mouvements sociaux dans leur ensemble.
Ecrit par Nadia De Mond pour La Gauche, n°81, mars-avril 2017