A récemment eu lieu en Belgique le procès d’un jeune homme coupable de féminicide. Le crime n’a, évidemment, pas été qualifié ainsi ni par la justice, ni par les médias belges. Cette affaire donne l’occasion de revenir sur ces assassinats perpétrés sur des femmes, parce qu’elles sont femmes, et la manière dont les médias les traitent, systématiquement, en tant que simples faits divers. Celle-ci donne également l’opportunité de revenir sur les dernières luttes féministes visant à combattre les violences masculines.
Du 17 au 20 octobre 2016 s’est déroulé devant le tribunal correctionnel le procès de Zain L., le meurtrier de Laure Nobels.
Le 9 mai 2012, Laure et Zaïn se retrouvent chez les parents de ce dernier, à Neder-over-Heembeek. Ils sont ensemble depuis un an mais l’adolescent sent que sa petite amie va bientôt le quitter. Après une violente dispute, Zaïn finit par étrangler la jeune fille dans sa chambre à coucher, alors que son frère et son père étaient dans la maison. Après avoir tardé à appeler les secours, Zaïn a été interpelé et inculpé. Il a tout de suite reconnu les faits avant d’être placé en IPPJ. (DH)
Majoritairement reléguée au rang des « faits divers », cette affaire et la façon dont elle a été traitée méritent qu’on l’examine plus en profondeur. Elle représente de manière assez typique l’attitude dont les médias et la société belges font preuve face à la violence masculine.
La presse numérique (DH, La Capitale, La Libre, L’Avenir) couvre et analyse le procès sous plusieurs angles. Se trouvent mobilisés dans les articles : l’aspect juridique (et plus précisément la loi « Pot-Pourri II » selon laquelle « plus aucun crime commis par un mineur dont le tribunal de la jeunesse s’est dessaisi ne peut être renvoyé aux assises »), les détails d’expertises (déroulement de la scène), la souffrance et la colère du père de Laure (mais pas de la mère), et la sincérité supposée du meurtrier.
Sur la dizaine d’articles relevés, plusieurs abordent le motif du meurtre. « Selon l’enquête, la victime avait reproché à son petit ami de l’avoir trompée et une dispute avait éclaté. « J’ai voulu lui arracher la vie. Je sais que c’est paradoxal mais j’avais peur qu’elle m’abandonne et la seule solution était de lui ôter la vie pour la garder pour moi pour toujours », a expliqué Zain L. lors des précédentes audiences. » (La Capitale) Deux autres faits intéressants ont également été cités sans être approfondis : « selon le magistrat qui représente la société, “Pour Laure, Zain était un dieu, mais en fait, il était un véritable diable. Il la tenait sous son emprise, jouait avec ses sentiments, lui mentait, la trompait.” » (DH) et « concernant les faits, [la mère de Laure] a expliqué que Zain L. avait plusieurs fois harcelé sa fille. “On avait dit à Laure que c’était étrange mais c’était une jeune fille de 16 ans, amoureuse”, a-t-elle exprimé. La maman a déclaré qu’elle n’était par contre pas au courant des violences physiques que sa fille avait subies de la part de Zain L. Mais la jeune fille en avait bien parlé à ses amis » (La Libre).
En faisant discrètement mention de ces éléments, on voit ainsi apparaitre ce qui n’a jamais été affirmé explicitement et frontalement quant à cette affaire. Il ne s’agit pas d’un simple « fait divers », d’un accident, ou d’un « crime passionnel » commis par un ado déboussolé, et certainement pas d’un « homicide ».
Il est nécessaire d’utiliser le terme de féminicide. C’est le caractère systématique de la violence dont Laure a été victime qu’il faut dénoncer.
Le féminicide (ou « fémicide »), reconnu depuis peu par le parlement bruxellois, ne peut simplement être oublié et classé dans la catégorie « homicide » : Laure a subi des violences et est morte de ces violences parce qu’elle était une femme, comme 162 autres femmes tuées en 2013 sous les coups de leur conjoint ou amant (LaLibre) en Belgique. La phrase prononcée par le meurtrier lui-même (« J’avais peur qu’elle m’abandonne et la seule solution était de lui ôter la vie pour la garder pour moi pour toujours ») ne peut pas mieux illustrer la définition de Casa del Encuentro, ONG argentine qui vient en aide aux femmes : « le terme «féminicide» a une connotation politique et renvoie à la notion d’assassinat «d’une femme par un homme qui la considère comme sa propriété» ». Cependant, dans la plupart des cas, ces meurtres sont banalisés et associés à des faits divers.
En Belgique, une femme sur trois est victime de violences physiques, morales ou sexuelles au cours de sa vie. Et dans deux cas sur trois, les violences sont commises par une personne proche. Chiffres d’autant plus alarmants lorsqu’on sait que seuls 16% des femmes victimes de violences au sein d’un couple portent plainte (Insee-ONDRP, enquête Cadre de vie et sécurité 2008-2012).
Cette situation dramatique n’est pas propre à la Belgique, au contraire. En tout lieu, tous les jours, des femmes sont victimes de violences. Ainsi, depuis le début du mois d’octobre, plusieurs mouvements de soulèvement des femmes ont pris place afin de lutter contre les différentes formes de violences patriarcales. À commencer par les Polonaises qui sont entrées en grève suite à la volonté de leur gouvernement d’interdire l’avortement. En Argentine, une jeune femme de 16 ans a récemment été violée, torturée et assassinée. Des associations et collectifs ont appelé les femmes à faire grève, grève qui a été suivie d’une manifestation : des dizaines de milliers de personnes ont répondu positivement à l’invitation. Les Italiennes ont suivi le mouvement dénonçant également les violences conjugales. À Québec, plusieurs actions ont été menées suite à une vague d’agressions sexuelles, en une nuit, au sein d’une résidence universitaire. Il y a quelques jours, les Islandaises s’arrêtaient de travailler à 14h38 afin de protester contre les inégalités salariales. Aujourd’hui ce sont les françaises, souhaitant dénoncer elles aussi les inégalités salariales, qui prévoient une grève le 7 novembre à 16h34, moment précis de l’année à partir duquel les femmes travaillent gratuitement.
Au-delà d’apporter du soutien à toutes ces femmes qui luttent à travers le monde entier, il semble important de réaliser que cette domination masculine est bel et bien également présente en Belgique. Qu’il s’agisse d’atteinte à notre intégrité physique ou de préjugés implicites considérant notre travail comme moins important que celui des hommes, c’en est assez. Alors, qu’attendons-nous pour lutter afin que le terme de féminicide soit effectivement et justement employé ? Pour à notre tour faire grève afin de dénoncer notre salaire annuel de 20% moindre que celui des hommes ? Nous sommes toutes victimes du patriarcat. Levons-nous, les femmes, et brisons toutes les iniquités. Révoltons-nous, ensemble, mettons fin à toutes les oppressions !
Source : JAC