Quelques jours avant les élections grecques, l’économiste français Frédéric Lordon posait en ces termes l’alternative qui allait se présenter à Syriza: «passer sous la table ou la renverser». Fin observateur, Lordon anticipait que «les inconséquences de la formation grecque condamnent celle-ci à des acrobaties douloureuses» (1).
En fait, c’est exactement à la même alternative que le monde du travail est actuellement confronté. Et le parallèle avec le mouvement syndical en Belgique est frappant. Les organisations syndicales sont en permanence appelées par le patronat et le gouvernement à «la table des négociations», à «préférer la concertation à l’affrontement». Mais de quelle concertation parle-t-on? Le gouvernement Michel-De Wever négocie avec le flingue sur la table et il voudrait que les organisations syndicales passent dessous.
Malheureusement, celles-ci continuent de croire qu’en montrant les muscles une fois par an, elles vont pouvoir peser davantage dans la négociation. Quelques jours à peine après la manifestation massive du 7 octobre, elles ont présenté comme «les fruits de la mobilisation» les accords boiteux conclus dans le «Groupe des 10» (2).
Face à la violence des attaques du gouvernement des patrons, face au discours dominant qui ne cesse de pointer les «perturbations pour les usagers» lors des actions, le syndicat ne peut se contenter d’encaisser les coups. Le rapport de force engagé par la classe dominante exige une réponse énergique, massive et dans la durée.
Dans la situation actuelle, le Parti socialiste (PS) profite de sa cure d’opposition pour se refaire une image de gauche dans les médias. Il fait ainsi mine de redécouvrir des mesures prônées depuis des décennies par les anticapitalistes, comme l’individualisation des droits sociaux ou la globalisation des revenus. Grand bien lui fasse. Mais nous ne nous laisserons pas berner par des résolutions annoncées en grande pompe dans les médias.
L’appel du pied d’Elio Di Rupo aux élus PTB-GO! pour conformer une majorité alternative s’inscrit dans le même schéma: donner au PS une caution de gauche et s’assurer un retour au pouvoir une fois que Michel-De Wever auront fait le sale boulot. Le positionnement du PTB sur cette question sera à suivre avec attention. Une approche de type «front populaire» avec «toute la gauche» (depuis le PS, Ecolo… jusqu’au cdH et au CD&V!) – celle-là même qui a déjà mené une politique de droite à bien des égards – serait aussi illusoire que la volonté de Syriza de négocier avec les institutions européennes.
Au niveau européen, le menu qui nous est concocté n’en est d’ailleurs pas moins indigeste. Les experts de la Commission européenne négocient dans la plus grande opacité le Traité transatlantique avec les Etats-Unis. Si nous laissons passer ce traité, la table sera servie pour les multinationales, les privatisations et la liquidation de ce qu’il nous reste d’acquis sociaux. Ne nous voilons pas la face, la situation actuelle est sombre pour le monde du travail. Et encore, nous n’avons même pas évoqué l’Europe forteresse, les centaines de victimes en Méditerranée, le racisme et l’islamophobie qui font des métastases sur tout le continent, la crise climatique de laquelle la classe dominante n’est aucunement décidée à nous sortir, etc.
Face à ces décomptes macabres, l’alternative qui s’impose, c’est de renverser la table! Notre première exigence doit être de reprendre le contrôle de nos vies. Ne laissons plus une oligarchie au pouvoir décider ce à quoi nous avons droit, ce que nous mangeons, comment nous produisons, qui nous accueillons chez nous ni quelle terre nous lèguerons à nos enfants.
Renversons la table et commençons à construire le monde que nous voulons. Un monde pour toutes et tous, dans lequel la redistribution des richesses et toutes les décisions concernant la vie en commun seront soumises à un débat radicalement démocratique.
Note:
(1) Frédéric Lordon, «L’alternative de Syriza: passer sous la table ou la renverser», 19 janvier 2015, blog.mondediplo.net
(2) Le premier accord porte sur ce qu’on appelle les «pensions complémentaires». Le rendement garanti est abaissé de 3,25 à 1,75%, libérant ainsi sociétés d’assurance et patrons de leurs obligations conventionnelles antérieures. Le deuxième accord étend le contrôle de la disponibilité aux travailleurs/euses à temps partiel. Ce qui est loin d’être des conquêtes!
Édito paru dans La Gauche #74, octobre-novembre 2015.