A grand renfort de campagnes choc et d’articles alarmistes, on a essayé, depuis des années, de convaincre les salariés de l’inexorable faillite du système légal des pensions par répartition [1], le « Premier Pilier ». Les principaux traits de ces campagnes tiennent dans la nature même du système actuel où le marché s’insinue partout dans notre vie, de la naissance à la mort. Le premier c’est la voracité du secteur financier (banques et assurances) qui rêve de mettre le grappin sur la manne financière que représente la Sécurité Sociale. Quand on parvient à convaincre les travailleurs « que leur argent ne vaudra plus rien une fois la pension arrivée » et si parallèlement on fait miroiter à leurs employeurs tout le bénéfice qu’ils peuvent retirer en échangeant l’augmentation de salaire « normale » contre l’intervention, à moindre coût, dans la constitution d’un capital qui viendra s’ajouter à la pension légale, des sommes considérables échappent alors à l’impôt et aux cotisations sociales. C’est là le deuxième objectif, partagé par la plus grande part des entreprises : réduire le coût salarial global. Le travailleur n’en voit pas immédiatement la trace car son « salaire poche » parait intact, mais la couverture sociale qu’il finance par ses cotisations, son « salaire différé », il contribue ainsi à la détricoter, y compris sa propre pension.
Et le troisième objectif, c’est celui que les gouvernements successifs ont poursuivi depuis les années 80 : inverser la répartition des richesses en faveur du capital par des plans d’austérité successifs. Cette guerre sociale s’accompagne d’une « guerre idéologique » visant notamment à faire croire à la population que ce sont les dépenses sociales qui « ruinent l’Etat ». On a ainsi les mains plus libres pour remettre en cause le caractère d’assurance collective et solidaire de la Sécurité Sociale, la privatiser et/ou la démanteler. Les Services Publics sont, dans la même logique, aussi en point de mire. Depuis des années il n’y a plus d’argent pour les transports publics, la Poste, la Santé, la Justice,… Les routes sont dans un état lamentable. Les allocations sociales aussi : indemnités de maladie, chômage et pensions sont au plus bas. Résultat : 1 pensionné sur 5 vit sous le seuil de pauvreté ; la pension moyenne (taux isolé) d’un salarié est à +/- 830€. La FGTB a calculé que pour relever ce montant à 75% du salaire moyen (+/- 1.030€) il en coûterait 2,4 milliards par an. Mais les gouvernements successifs ont préféré consacrer des centaines de millions en incitants fiscaux pour faire la promotion des pensions complémentaires par capitalisation.
Un Fonds sans fonds
On matraque l’opinion publique en répétant à longueur d’année qu’à cause du vieillissement l’on « ne pourra bientôt plus payer les pensions » mais dans le même temps on offre des cadeaux aux entreprises en réduisant leurs cotisations sociales (ce fameux « salaire différé ») de dizaines de milliards ce qui met le financement de la Sécu en péril. En 2001 un Fonds de Vieillissement avait été créé pour anticiper cette tendance et dégager les moyens à utiliser entre 2010 et 2030. De 2001 à 2013, 15 milliards € -seulement- y ont été récoltés : « les revenus du Fonds de vieillissement se composent de surplus budgétaires, d’excédents de la sécurité sociale, de recettes non fiscales et des produits de ses placements. Dans la pratique, le Fonds a reçu surtout des recettes non-fiscales pendant les premières années [2] ». Les cadeaux aux entreprises sur le compte de la Sécu l’ont empêchée de contribuer au financement du Fonds. Et puis la crise bancaire à enflé. En un weekend, fin 2008, le gouvernement de l’époque qui ne finançait pratiquement plus le Fonds, a trouvé les milliards qui ont été engloutis pour sauver le secteur financier en décomposition [3]. Le Fonds de Vieillissement ne peut qu’acter cette situation : « Toutefois, pour 2007, aucun excédent budgétaire n’a pu être réalisé. Suite à la crise de crédit de 2008, plus d’excédents budgétaires n’ont pu être réalisés et le trajet de financement prévu lors de l’adaptation de la loi-Fonds de vieillissement n’a par conséquent pas pu être mis en œuvre [4] ». Ce n’est pas le vieillissement qui nous conduit à l’impasse mais un certain nombre de choix politiques qui privilégient le capital au détriment du monde du travail.
Deuxième pilier : maxi-fissures
Il y a quelques jours la Fédération des Assureurs (Assuralia) lance une nouvelle offensive : elle veut remettre en question la contrainte contenue dans la Loi sur les Pensions Complémentaires de 2000 organisant les assurances-groupe [5]. Elle veut supprimer l’obligation faite par la loi d’accorder les rendements garantis (3,25% et 3,75% selon que les sommes versées le soient par l’employeur ou le travailleur). Ce n’est pas un mystère que du côté des patrons, on veut aussi remettre en cause la disposition légale qui prévoit que l’entreprise doit, en cas de défaillance de l’assureur, endosser elle-même la garantie de rendement. La FEB l’a rappelé et somme le gouvernement de « trouver une solution »…
Le ministre Bacquelaine emboîte le pas et annonce qu’il planche sur le remplacement du taux garanti (par l’assureur ou à défaut par l’employeur) par des « taux liés aux taux du marché ». Quand on connait l’évolution des taux actuels, pas besoin de longues explications pour constater que le deuxième pilier, et avec lui tous les systèmes de pensions basés sur la capitalisation n’offrent aucune garantie. L’argent que les travailleurs n’ont pas reçu en salaires (et accessoirement dans tout ce qui est lié au salaire, congés payés, préavis,…) rapporte maintenant moins que l’inflation. En soustrayant ces sommes aux cotisations sociales, on a mis à mal le premier pilier, mais le deuxième pilier est en train de se fissurer. Le capitalisme a fait miroiter le « joyau-pension » aux travailleurs; détourné leurs salaires pour jouer au casino… et au bout du compte ils n’auront que de la verroterie.
Une offensive généralisée
Ces attaques contre les pensions ne sont pas isolées. Dans le cas des fins de carrière elles se cumulent avec d’autres mesures spécifiques : relèvement de l’âge de la pension et de la prépension, projet d’un système de retraite « à points » (dont la valeur peut varier en fonction de paramètres variés), obligation de rester disponibles et actifs sur le marché de l’emploi pour les prépensionné-e-s. Elles interviennent aussi simultanément aux mesures d’austérité qui frappent tous les allocataires sociaux et les travailleurs. Le saut d’index visera bien tout le monde, la piste de l’augmentation de la TVA sera certainement privilégiée pour opérer un soi-disant glissement de l’impôt sur le travail vers d’autres formes de taxation (le fameux tax-shift).
Face à une telle vague d’attaques, la seule riposte possible c’est le « tous ensemble » et le seul objectif réaliste, c’est de faire tomber le gouvernement, de le remplacer par un gouvernement de la majorité sociale pour appliquer immédiatement un programme de réformes anticapitalistes.
Freddy Mathieu
2 mars 2015
[1] Le système consiste à assurer le financement et le paiement des pensions actuelles grâce aux cotisations solidarisées des travailleurs actifs au même moment. A l’inverse les pensions par capitalisation reposent sur la constitution d’un « capital » par chacun des futurs pensionnés en vue d’assurer ses vieux jours.
[2] http://www.fondsdevieillissement.be/fr_inkomsten.htm
[3] La « crise » qui a suivi a plombé la dette publique belge qui est passée de 87% du produit intérieur brut en 2007 à 105% en 2013 (de 300 milliards d’euros en 2007 à 413 milliards d’euros en 2013)
[4] Fonds de Vieillissement
[5] Plus de 50.000 entreprises ont organisé un 2ème pilier soit 2 millions de travailleurs salariés (75%)