Lorsque nous entendons parler de dette publique et de pensions en même temps, c’est généralement pour entendre dire qu’il y a une dette cachée, implicite, dont nous ne soupçonnons pas l’immensité. Non, évidemment, pas la dette écologique que les générations futures vont devoir payer au prix fort (par exemple), mais bien le vieillissement de la population qui, si on ne fait rien, va nous entraîner dans un gouffre sans fond en termes de finances publiques.
Merci.
Allons voir un peu plus loin que le bout du bâton qu’on veut bien nous tendre…
Comment finanç(i)ons-nous nos pensions en Belgique ?
Le système de pensions en Belgique est aujourd’hui constitué de trois piliers différents. Le premier pilier (système par répartition) est celui de la pension légale versée aux salariés, indépendants et fonctionnaires, financée par les cotisations sociales (du salaire socialisé). En 2012, le paiement des pensions – ainsi que des prépensions et des interruptions de carrière – s’élevait à 28 milliards d’euros, soit un tiers du budget de la sécurité sociale. Le deuxième pilier (système par capitalisation) est celui de la pension financée dans le cadre de certaines entreprises par des cotisations complémentaires versées auprès d’assurances-groupes ou des fonds de pension (appelés également IRP, institutions de retraite professionnelle |1|), soit plus ou moins 7 milliards par an. Enfin, le troisième pilier (système par capitalisation également) est celui de la pension complémentaire individuelle, financée par l’épargne que certain-e-s citoyen-ne-s versent à des compagnies d’assurances ou des banques privées pour assurer leurs vieux jours, soit moins de 2 milliards par an.
Comme le montre le très bon bouquin « 2040-2045, la guerre aux vieux : jeunes engagez-vous » |2|, il est utile de revenir sur la création des piliers dits complémentaires des années 1990 et sur les discours qui l’ont accompagnée pour comprendre ce qu’il y a derrière cette obsession du « vieillissement de la population ». Celle-ci se présente comme suit : nous allons vers un choc démographique, une inversion de la pyramide des âges, et il y aura au fil du temps moins d’ « actifs » (soit les personnes en âge d’être employées, ou qui le sont effectivement) pour beaucoup plus d’ « inactifs » (si seulement être « inactif » était possible biologiquement… ) ; or, dans le système par répartition du premier pilier, ce sont les « actifs » qui financent les pensions des « inactifs » (le taux de dépendance va donc augmenter, c’est mathématique) ; il faut alors pousser les gens à travailler plus longtemps et instaurer un système par capitalisation qui permettra de compléter le système par répartition du premier pilier qui est devenu insuffisant |3|. Il faut supprimer les retraites anticipées, repousser l’âge de départ à la retraite, réduire le montant des retraites, créer des fonds de pensions privés, etc. En deux mots, « moderniser » notre système de pensions, comme nous le rabâchent depuis plus de vingt ans la Commission Européenne ou l’OCDE. Car, nous devons bien le reconnaître et nous rendre à l’évidence, le belge jouit de trop bonnes pensions, d’une trop bonne vie, d’un trop bon système de sécurité sociale, le pays est trop bien placé dans les classements d’IDH (indice de développement humain) et de l’OIT (Organisation internationale du travail), il faut donc moderniser tout cela |4|…
C’est la Banque Mondiale qui, la première (pour ne pas changer) a attaqué le système par répartition du premier pilier, soi-disant pour répondre à la « crise du vieillissement », et a proposé à tous les pays du globe la création d’un système à trois piliers (three pilars). Le premier doit être réduit au strict minimum, il doit être modeste en taille, pour laisser plus de place aux autres piliers ; le deuxième devrait être obligatoire, préfinancé [par le premier] et géré de façon privée. […] Mais ce second pilier, pour réussir, doit réduire la demande pour le premier |5| ; le troisième sera constitué d’épargne privée facultative provenant des ménages aisés. La trinité parfaite… Et pour ceux (et surtout celles) qui n’ont pas d’emploi, ou de deuxième pilier dans leur entreprise, ou pas les moyens ? Tant pis, c’est ça la solidarité intergénérationnelle « modernisée »… Bref, toute cette propagande a plutôt bien fonctionné car en Belgique aussi les 2ème et 3ème piliers ont réussi à s’installer et, après le Pacte des générations de 2005, les mesures d’austérité (appelées sobrement « rigueur budgétaire ») de 2011 incluent une réforme des pensions : pension anticipée portée de 60 à 62 ans (et après 40 ans de carrière et non plus 35), prépensions rendues inaccessibles pour beaucoup de travailleurs-euses, montants de pensions qui diminuent et enveloppe « bien-être » rabotée de 40 %, accès aux crédits-temps et droit aux allocations d’interruption fortement restreints, etc. Mais, surtout, le discours dominant a réussi à ancrer dans la tête de la jeunesse l’idée selon laquelle les pensions comme droit universel « c’est dépassé », qu’il ne faut plus compter dessus…
Et en fait qu’en est-il de cette théorie du vieillissement de la population qui nous amènerait irrémédiablement vers une société en pleine déliquescence ? Premièrement, il s’agit de projections, par définition invérifiables (puisque futuristes), et il ne s’agit pas d’un « choc démographique » mais d’une évolution régulière. Deuxièmement, on sait que la génération des « baby-boomers » tant décriée n’existera tout simplement plus après 2050 (et que les générations suivantes ont eu un niveau de natalité bien moindre). Troisièmement, l’usage des termes « vieillissement de la population » n’est pas neutre, aujourd’hui nous ne sommes plus vieux à 60 ans, et tant mieux ! Les tenants de cette théorie aime d’ailleurs à oublier que si l’espérance de vie a augmenté c’est aussi parce qu’on a amélioré les conditions de travail et instauré un système de retraites convenable, justement. Quatrièmement, les « actifs » (20-60 ans) ne vont pas diminuer mais bien les « inactifs » de moins de 20 ans (qu’on prend rarement en compte, préférant insister sur la catégorie des plus de 60 ans). Pour 100 « actifs », il y avait 100 « inactifs » en 1970, il y en aura 105 en 2030 |6|.