L’Etat Espagnol a connu un petit séisme politique à l’occasion de ces élections européennes. Un séisme dans le bon sens, celui du genre qui donne l’espoir. La liste Podemos (dont nous avons déjà parlé sur ce site (1), (2), (3)), créée sur la vague des mouvements sociaux actifs depuis le fameux 15 mai 2011, en rupture avec les politiques d’austérité, se positionne en 4e force du pays à l’issue de ce scrutin, avec 8% des votes, 1,2 millions d’électeurs/trices et 5 sièges d’eurodéputé-e-s, dont l’un revient à notre camarade d’Izquierda Anticapitalista, Teresa Rodriguez, active dans la Marea Verde, le mouvement de défense de l’enseignement public. Nous traduisons ci-dessous un billet à chaud de Victor Alonso Rocafort, Professeur de Théorie Politique à l’Université Complutense de Madrid, paru ce 26 mai sur le site eldiario.es (LCR web).
Il y a à peine un an, deux profs de la Faculté de Sciences Politiques de l’Université Complutense de Madrid, Carolina Bescansa et Ariel Jerez, expliquaient, chiffres et documents sous le bras, qu’un autre discours avait la possibilité de faire irruption dans le panorama électoral de l’Espagne. A partir de l’indignation héritée du 15M, avec un discours sans broderies et en voyant grand, on pouvait décrocher des votes dans le bassin électoral de celles et ceux qui s’éloignent de la gauche traditionnelle.
En même temps, à la fois collègues à la faculté et amis intimes, les professeurs Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero, avaient créé autour de La Tuerka (une émission de débat politique très populaire sur internet – ndlt) et de l’association des étudiants Contrapoder un groupe politique avec une certaine influence dans leur propre Université, un premier cercle autour de la communication politique, des carences d’Izquierda Unida (IU) et de l’expérience latinoaméricaine.
Quand, à Noël dernier, des rumeurs ont commencé à parcourir la gauche madrilène à propos de l’opération d’Izquierda Anticapitalista (IA) qui voulait se lancer dans l’aventure avec Iglesias, personne n’imaginait que le résultat serait celui de ce dimanche. Mais, en février à Lavapiés, la présentation de l’initiative Podemos au Teatro de Barrio rendait déjà bien compte des espoirs des protagonistes qui ont réussi à rassembler 50.000 soutiens en un jour et demi. A ce moment-là, on ne présageait pas encore les difficultés que devrait traverser l’équipe fraichement formée dans sa traversée vers l’autre rive de la politique, celle des élections.
Depuis lors, il s’est passé beaucoup de choses. Il serait d’ailleurs intéressant que les protagonistes s’attèlent un jour ou l’autre à expliquer cette expérience unique dans l’histoire de la politique espagnole. Plus de 1.200.000 votes rassemblés en quatre mois, avec un peu plus de 100.000 euros et avec un fort appui médiatique méritent bien un tel effort.
Rapidement, les discussions sur le discours et l’organisation ont pris corps dans le cadre d’une guerre ouverte entre IA et le groupe promoteur de Podemos -essentiellement l’équipe de Complutense et de La Tuerka. La méfiance endémique qui parcourt traditionnellement la gauche fragmentée n’est pas étrangère à ces tensions. Mais, pendant que les cercles locaux se mettaient sur pieds, l’affluence de personnes à la recherche d’une nouvelle politique dépassait les prévisions. Il était désormais clair que la corrélation des forces dans Podemos serait complexe et qu’il serait très difficile de laisser de côté de telles bases.
Des sujets comme l’enregistrement de statuts verticaux pour se forger en parti « selon les exigences légales », le choix du logo, la polémique sur la mise en avant de Jorge Verstrynge comme figure publique de Podemos (politologue au passé phalangiste qui continue à tenir un discours xénophobe – ndlt), les discussions sur la question nationale, ou encore les forts conflits internes pendant les primaires (la liste Podemos a été constituée en fonction des votes des cercles locaux qui pouvaient proposer des candidat-e-s – ndlt), auraient fait chavirer n’importe qui. Les critiques ont plu de tous côtés mais le cap a été maintenu.
En restant critique par rapport à l’un ou l’autre de ces sujets de polémiques, je pense aujourd’hui qu’il faut se pencher sur l’espoir suscité par Podemos à travers les meetings et débats publics qu’ils ont organisé. Ils ont sûrement beaucoup appris en chemin, en adaptant leur discours à un point tel que, au meeting final de Madrid vendredi dernier, le terme « patriote » n’est pas sorti une seule fois. Et, surtout, ils ont réussi à faire ce que la gauche n’a jamais pu faire auparavant dans ce pays: cultiver la conviction de gagner. Ils l’ont cru fermement et l’ont dit ouvertement. Cette conviction s’est propagée à la vitesse de la lumière.
Un autre point à étudier est leur stratégie électorale. A partir de rien a surgi un groupe de jeunes enthousiastes avec des objectifs de campagne très clairs. J’ai des étudiants qui n’ont pas rentré leur travail de fin d’études parce qu’ils me disaient être impliqués ces derniers mois dans un projet auquel ils se dédiaient 24 heures sur 24. Ils faisaient référence à Podemos et en étaient enchantés. Je suis certain qu’ils ont plus appris de cette expérience que d’aucune autre. Cela peut nous plaire plus ou moins -à moi, ça me plait moins- que la communication politique d’une campagne électorale simplifie les messages et accepte des renoncements éthiques et oratoires, mais on doit reconnaitre que, à Podemos, ils ont pu lire les règles du jeu à la perfection.
En même temps, vendredi passé, à Madrid sur la place Reina Sofía pleine d’enthousiasme, des changements intéressants ont eu lieu par rapport au discours initial. Jiménez Villarejoa mis sur la table un exposé clair et sans complexes à propos de l’immigration, en s’attaquant aux actuelles politiques européennes, ce dont nous avons plus que jamais besoin alors que l’ultra droite domine le paysage politique en France et avance dans toute l’Europe. Monedero, pour sa part, n’a pas oublié de se solidariser avec ceux qui sont encore emprisonnés pour les marches du 22M. Et Teresa Rodríguez, la surprise de IA dans les primaires (elle a été élue comme 2e candidate avec une large avance – ndlt), a démontré que ce n’est pas seulement sur base de la colère contre « les voyous, les castes et les parasites » qu’on peut se mobiliser à Podemos. Avec un discours plein de gaieté et de références féministes, avec des propositions économiques face à la dette, elle n’a pas oublié de garantir que, à Podemos, la révocabilité et la rotation des mandats sont les marques de fabrique d’une nouvelle politique construite par en-bas. Et elle a réussi à faire se lever toute la place reprenant en chœur « sí se puede ».
La personnalité de Pablo Iglesias, son exténuant périple à travers les places et les plateaux télé dans toute l’Espagne et son fort leadership dans ce projet, ont guidé les quatre premiers mois de Podemos. Pour un bien comme pour un mal. Au meeting, il était exténué, avec la voix cassée de fatigue. Sans lui, on ne pourrait pas comprendre l’extraordinaire succès de ce dimanche. Son rôle dans cette expérience a certainement été déterminant, encore plus si, comme il l’a déjà annoncé, il n’écarte pas de revenir à la politique nationale avant la fin de son mandat. C’est à lui qu’il appartient de démontrer que Podemos n’est pas un parti personnaliste.
Avec la débâcle du bipatridisme ce dimanche, les défis sont désormais énormes. L’opportunité est unique pour la gauche. Podemos a réussi, non seulement a récupérer les voix des déçus de IU mais aussi à occuper une partie de l’espace du PSOE. Ce que nous croyions impossible jusqu’ici est quasi à portée de main. Podemos devra s’asseoir comme un parti qui se distingue de ceux du Régime comme ils disent. Ca se matérialisera certainement autour d’un Congrès où la prise de recul et l’exemplarité démocratique devront être les principes à respecter pour ne pas que les espoirs s’évaporent. Pour faire tomber les doutes, ils devront aussi mettre sur table la convergence avec le reste de la gauche, même si ça ne plait pas à certains secteurs de IA, traditionnellement confrontés à IU.
Dans la formation dirigée par Cayo Lara, IU, on s’est montré satisfait lors de la soirée électorale. Passer de deux sièges en 2009 à six en 2014 était leur alibi. Mais nous savons tous que l’irruption de Podemos a fait plus que jamais ressurgir les peurs. Ce n’est pas tant parce que IU reste encore à 13 points du PSOE dans ce qui est à pointer comme le plus grand échec électoral connu pour les socialistes mais surtout parce que Podemos a réussi en quatre mois seulement à se retrouver à deux points d’écart avec IU. Et, dans la Comunidad de Madrid, Podemos l’a même dépassé en devenant la troisième force politique.
Le tir dans le pied qu’a été pour IU la formation de sa liste européenne avec à nouveau Willy Meyer en tête et Paloma López, représentante de Comisiones Obreras en seconde, tout le monde semble l’avoir remarqué… sauf les principaux intéressés. La loi de fer de l’oligarchie bureaucratique de cette organisation doit retourner au passé par leur propre volonté. Sinon, ce seront les électeurs qui l’enterreront scrutin après scrutin. Dans le sillage d’Izquierda Unida, il y a une génération de jeunes liée aux mouvements sociaux, avec un discours frais, éloignée des rigidités héritées des vieux cercles de pouvoir internes, à qui il faut céder le pas d’urgence. De l’extérieur, on ne comprendrait pas qu’on laisse cette génération de côté tandis qu’une force émergente comme Podemos, avec laquelle elle partage tant tant, est en train de mousser. Il suffit de voir que, à la sortie du meeting de vendredi, des jeunes de IU et de Podemos en-dessous de la trentaine partageaient leurs impressions amicalement sur place comme les camarades qu’ils sont à travers beaucoup de luttes. C’est certainement là que réside la réponse.
Il ne suffit pas de gagner, il faut le faire bien. Nous serons nombreux à rester exigeants à chaque instant, parce que chaque pas compte pour construire une nouvelle politique dans ce pays. Mais aujourd’hui il est l’heure de remercier ceux qui ont mis en marche Podemos et qui, face à tous nos doutes, ont finalement réussi à nous faire rêver.
Source: eldiario.es
Traduction pour lcr-lagauche.org: Céline Caudron
Il existe un cercle de Podemos en Belgique.
Pour contacter Podemos Belgica, une page facebook: www.facebook.com/pages/Podemos-Belgica