les dirigeants de Podemos Juan Carlos Monedero, Pablo Iglesias et Iñego Errejon
L’“Assemblée Citoyenne”, ou processus de fondation, du nouveau parti politique Podemos dans l’État espagnol vient de s’achever ce samedi 15 novembre. Après la votation des textes fondateurs, viennent d’avoir lieu les élections des organes de direction au niveau étatique.
Un Comité Central en un clic?
Ces textes fondateurs –organisationnel, politique et éthique– établissaient les organes de direction et les règles du jeu des élections. Sans grande surprise, c’est le projet « Claro que Podemos » de l’équipe autour Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero et Iñego Errejon, les dirigeants les plus médiatisés, qui a largement emporté le vote par internet. Au niveau central, l’organisation sera donc dirigée par un Secrétaire-Général, un « Conseil Citoyen » (qui remplit les fonctions d’un Comité Central) et une Commission de Garanties.
Ensuite, l’élection de ces organes de direction a été organisée par un système de votation « en bloc » sur internet: il était possible de présenter une liste et, en un seul clic, de voter pour tous les candidats de la liste. La grande question était donc: l’équipe autour de Pablo Iglesias introduirait-elle une liste complète sous le sigle de son projet vainqueur, laissant ainsi peu de place aux candidatures alternatives? Dans cette incertitude, l’équipe de Sumando Podemos, le projet organisationnel alternatif qui avait obtenu 18% des voix, avait constitué une liste de 22 personnes. Son porte-parole, l’eurodéputé Pablo Enchenique, avait cependant annoncé immédiatement qu’il retirerait sa liste si Claro que Podemos introduisait une liste complète. C’est ce qui s’est passé quelques jours plus tard. Avec l’impossibilité d’avoir même un seul élu, Sumando Podemos a donc retiré sa liste.
Pour sa part, Pablo Iglesias a soutenu présenter une liste équilibrée et pluraliste. Ainsi, force est de constater que le pluralisme de la direction de Podemos n’est donc pas garanti par un système de vote qui permet l’élection de candidat.e.s extérieurs à l’équipe du dirigeant mais dépend de la bonne volonté du nouveau Secrétaire-Général attendu d’incorporer des voix différentes dans sa liste. A noter aussi que la liste ne compte que des académiques et aucun.e travailleur/euse manuel.le et que la Commission de Garanties est entièrement proposée par Iglesias, ce qui pose questions par rapport à l’indépendance de cet organe de contrôle.
Un succès de 107.488 votant.e.s à reproduire pour l’élection des structures territoriales
Le résultat de la votation a été écrasant. Certes, il n’y avait aucun doute sur le fait que le fossé entre le 62ième en nombre de voix de la liste Claro que Podemos-equipo Pablo Iglesias et le premier des challengers serait gigantesque. C’est surtout la participation qui fut remarquable: 107.488 personnes ont émis leur vote. La déception face à l’adoption d’un tel système de vote a certainement généré l’abstention d’un nombre de militants actifs des círculos (les groupes de base de l’organisation). Mais dans les votes individuels par internet, c’est le vote d’un nombre beaucoup plus grand de sympathisant.e.s qui est le facteur décisif.
L’élection des organes internes du nouveau parti continue dans les prochaines semaines. Après les structures au niveau étatique, ce sera le tour des structures territoriales au niveau des communautés autonomes et des communes. Mais le système de vote sera le même, tout comme la grande question: des listes complètes sous le sigle « équipe Pablo Iglesias » verront-elles le jour dans l’État entier? Si ce scénario se produit, l’équipe d’Iglesias contrôlera alors toute l’organisation, non seulement par la victoire de son modèle organisationnel mais aussi en monopolisant toutes les structures internes. Il restera à voir quelle sera encore la marge de manœuvre des círculos. Sans pouvoir aux mains des cercles, les militant.e.s plus actifs risquent de quitter le projet, désillusionné par la manière dont leur organisation a changé en quelques mois.
Izquierda Anticapitalista formellement exclue des charges internes
Un autre élément de restriction du pluralisme est l’interdiction de la « double militance ». En février, Izquierda Anticapitalista (IA), l’organisation de la Quatrième Internationale dans l’État espagnol, avait cofondé Podemos ensemble avec les professeurs de l’Université complutense de Madrid, Pablo Iglesias et ses amis. Aujourd’hui, ces derniers monopolisent la direction et interdisent, par un article dans le document éthique, la présentation de candidat.e.s de IA aux responsabilités internes dans Podemos. Ainsi, l’eurodéputée Teresa Rodriguez ne pourrait pas se présenter pour la fonction de Secrétaire-Générale de la communauté autonome d’Andalousie.
Un Comité Central homogène grâce à l’exclusion de ceux qui expriment des divergences politiques à travers l’interdiction (pour les militant.e.s de IA) ou à travers le système de vote (pour l’équipe Sumando Podemos entre autres) fait malheureusement penser à des périodes précises de l’histoire du communisme au 20e siècle…
Neal Michiels, de Madrid
Ci-dessous, nous avons traduit une note sur Facebook d’un militant de Izquierda Anticapitalista sur l’élection du Conseil Citoyen :
Brais Fernandez (IA) : « Nous avons perdu la bataille du pluralisme politique, de la coexistence entre les majorités dirigeantes et les minorités critiques ».
Avec l’élection de Pablo Iglesias en tant que secrétaire général et le Conseil Citoyen comme organe de direction, termine un processus politique complexe, inédit et rapide qui se traduit par la fermeture de Podemos « d’en haut » comme un parti avec une double structure: modèle PCE [Parti communiste espagnole] classique à l’intérieur (et sans l’implémentation dans les lieux de travail et dans les quartiers qu’avaient les partis communistes), combinée avec une relation médiatique-populiste vers l’extérieur par un leadership (très) charismatique.
Je pense que la plus grande préoccupation est que ces derniers mois, nous avons perdu une bataille politico-culturelle que certains pensaient à tort avoir remporté avec l’effondrement du stalinisme et l’émergence du 15M [le mouvement des indigné.e.s]: la bataille du pluralisme politique, de la coexistence entre les majorités dirigeantes et les minorités critiques.
Il faut cependant admettre une chose: l’équipe de Pablo Iglesias a convaincu la gauche et une grande partie de la population qu’il est possible de gagner et que la victoire passe par la prochaine élection générale. Elle a fait progresser ces idées dans le champ de l’hégémonie et les a posé comme nouveau point de départ à l’heure de faire de la politique. Podemos n’est plus qu’un projet, il fait partie de la réalité objective et que cela nous plaise ou non, le futur changement politique, pour le meilleur ou pour le pire, passera en grande partie par là.
Claro que seguimos [nous continuerons].