En Belgique, la résistance s’organise contre les « mesures d’activation » et la chasse aux chômeurs.
Divers collectifs se sont réunis pour demander l’abrogation de l’article 63§2, partie de l’arrêté royal qui organise le système des allocations de chômage. Cet article a été voté en interne par le gouvernent Di Rupo fin 2011 (sans passage par le Parlement !). Il est entré en application au 1er janvier 2012, mais sans effet rétroactif. C’est pourquoi les premières personnes qui en seront victimes ne le seront qu’au 1er janvier 2015.
Il stipule que désormais les personnes qui bénéficient d’allocations d’insertion ne les toucheront plus, à partir de leur trentième anniversaire, que durant trois ans maximum.
Nous, travailleurs hors et dans l’emploi [1], appelons à une campagne large et unitaire en vue de l’abrogation immédiate de l’article 63 §2 avant le 1er janvier 2015.
L’article 63§2, c’est quoi ?
L’article 63§2 limite dorénavant le bénéfice des allocations dites d’insertion (anciennes allocations d’attente) à trois ans à partir de 30 ans [2]. Il a été décrété en décembre 2011 par le gouvernement Di Rupo, et intégré à l’arrêté royal de 1991, qui légifère sur l’organisation de l’ensemble du système chômage. En vertu de cet article, à partir du 1er janvier 2015, des vagues successives de milliers [3] de travailleurs hors emploi arrivant en fin de droit seront exclus du système d’allocations de chômage.
Il s’agira majoritairement de femmes (64 %) et de familles monoparentales (surtout des mères avec enfants à charge, 81 % des chefs de ménages exclus étant des femmes), mais aussi de travailleurs à temps partiel, intérimaires, artistes ou autres, qui n’auront pas eu la possibilité d’accumuler suffisamment de « jours de travail » dans une période donnée pour ouvrir leur droit aux allocations de chômage sur base de leur emploi.
Un changement décisif
Cette mesure introduit un changement décisif dans la « politique d’activation des chômeurs » telle qu’elle est menée en Belgique. En effet, à l’obligation de chercher du travail, elle substitue désormais l’obligation d’en trouver ! Rappelons qu’il y a aujourd’hui en Belgique plus d’un million de personnes totalement ou partiellement hors emploi pour… 70 000 offres d’emploi mensuelles [4] !
Dans ce contexte, prétendre qu’affamer des individus va les pousser à trouver un emploi qui existe peu relève de la perversité. Ils iront simplement rejoindre les 15 % de pauvres que compte déjà la Belgique, pourtant l’un des pays les plus riches de la planète (17ème mondial en termes de PIB/habitant, 10ème en Europe, devant la France, l’Italie, l’Angleterre et … l’Allemagne).
Une absurdité budgétaire, économique et sociale
Et tout ça pour quoi ? Les économies que le gouvernement espère (cyniquement) tirer de cette mesure sont dérisoires.
Sans compter qu’elles seront, en partie [5], répercutées sur des CPAS déjà aux abois, notamment dans les communes les plus pauvres, au risque de renforcer les inégalités territoriales (sans parler des inégalités sociales…) dans notre pays et d’alimenter entre précaires une concurrence malsaine, susceptible de faire le lit du racisme.
L’absurdité de cette mesure est aussi économique. Elle n’aura aucun effet significatif sur le chômage puisqu’elle ne crée pas d’emploi. Bien au contraire, elle produira un effondrement de la capacité des plus précarisés d’entre nous à participer à l’économie belge, au seul profit à court terme des employeurs et de leurs actionnaires.
À moyen-long terme, elle renforcera l’existence d’une société belge à plusieurs vitesses, dont les « perdants » seront contraints de retourner chez leurs parents ou de multiplier travail au noir, petite délinquance, prostitution, mendicité… avec en bout de course un délitement social, une angoisse, et un isolement dont les familles les plus pauvres (et/ou les plus récalcitrantes) subiront en priorité les effets [6].
Dès lors, il est fort à craindre que cette mesure stigmatise et désigne à la vindicte populaire de la « Belgique qui se lève tôt » une frange importante d’un salariat ainsi divisé qui gagnerait pourtant à resserrer les rangs. Le terrain serait alors préparé pour un retour du triangle noir [7], épinglé sur le torse des asociaux que seraient ces nouveaux « réfractaires » [8] à l’emploi.
Une défaite politique pour l’ensemble des travailleurs
Mais ne nous y trompons pas, cette mesure constitue d’abord et avant tout une défaite politique catastrophique pour l’ensemble des travailleurs. La Belgique était le seul pays au monde à disposer d’un système d’allocations de chômage illimitées dans le temps. Loin d’être une tare, il s’agissait d’une conquête essentielle des luttes sociales passées, qui renforçait le droit de chacun à choisir librement son travail.
Avec cette mesure, c’est donc un symbole fort qui tombe, mais c’est aussi une pression de plus sur des conditions de travail déjà tirées à la baisse par des décennies de mise en concurrence forcée, que les « réformes » en cours ne visent qu’à accentuer. Que ceux qui ont un job ne se fassent pas d’illusion : ils sont aussi visés par ces mesures !
En effet, comment pourront-ils défendre leurs propres conditions de travail alors que tant de personnes seront acculées à vouloir les remplacer à n’importe quel prix ? C’est pourquoi ces mesures appellent une riposte de l’ensemble du salariat dans ou hors emploi. Capituler aujourd’hui, c’est ouvrir la voie pour le prochain gouvernement à la limitation généralisée de l’ensemble du système d’allocations de chômage [9].
Pour un travail (et des travailleurs !) libérés
Nous refusons les bases idéologiques qui président à la politique actuelle en termes de chômage : considérer une partie de nos concitoyens comme des coûts pour la société parce qu’ils ne seraient pas enrôlés dans un contrat d’emploi. Cette rhétorique qui consiste à faire des hors emploi des parasites inactifs et assistés, nous ne l’acceptons pas.
D’ailleurs, comment une société peut-elle accepter de se passer des qualités, des savoirs-faire, de l’énergie et de la créativité d’une partie non négligeable de sa population ? Il s’agirait là d’un immense gâchis. Tous les citoyens de ce pays font pleinement partie de la société et de la production de son économie, qu’ils soient dans ou hors emploi. Le véritable problème, c’est que seule une petite fraction en tire actuellement les bénéfices.
Or, entretenir une telle injustice est d’autant plus intolérable que les défis écologiques qui l’accompagnent appellent une refonte urgente et radicale de nos modes de production et de consommation. Dans ce contexte, il est non seulement indécent, mais totalement vain de vouloir forcer les chômeurs (en les harcelant, en les humiliant, en les affamant) à participer à tout prix à une fuite en avant collective qui nous mène droit dans le mur. C’est pourquoi, à l’encontre d’un travail entièrement soumis aux injonctions de rentabilité et de productivité, nous revendiquons un travail libre, choisi, dont les finalités seraient déterminées par et pour la société dans son ensemble.
Ce que nous revendiquons
Nous exigeons dès lors du gouvernement belge qu’il commence par abroger l’article 63§2 et qu’il revienne sur toutes les décisions prises à l’encontre de notre système de protection contre le chômage, digne par son caractère illimité d’être inscrit au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité.
Nous exigeons que cesse le harcèlement institutionnel contre les populations dont les employeurs ne veulent pas ou qui développent à leur égard une résistance à l’enrôlement contraint. C’est pourquoi nous condamnons fermement et exigeons l’arrêt immédiat des contrôles de recherche d’emploi exercés par l’ONEM.
Nous réclamons un renforcement de la sécurité sociale, ainsi qu’ une revalorisation de toutes les prestations sociales, allocations de chômage, pensions, indemnités maladie, prise en charge des soins de santé et allocations familiales, parce qu’elles constituent le moyen le plus efficace de redistribution des richesses, ainsi qu’un laboratoire de rapports économiques libérés des contraintes de rentabilité et de productivité.
Notre sécurité sociale est le fruit d’une lutte de plus d’un siècle de la part des producteurs, hommes, femmes, enfants, dans et hors emploi. Soyons à la hauteur de cet héritage, ne laissons pas les véritables « parasites » nous le prendre ! Seule une large mobilisation pourra renverser l’idéologie actuelle et, pourquoi pas, initier une dynamique non plus strictement défensive, mais offensive. Après tout, pour paraphraser un célèbre philosophe : « Ne rougissons pas de vouloir la lune, il nous la faut ! »
Alors rejoins-nous, signe et diffuse cet appel !
Notes :
[1] Plutôt que « chômeurs », nous préférons le terme « travailleurs hors emploi », non seulement parce que les chômeurs sont bel et bien des travailleurs, mais aussi parce que le travail ne se réduit pas à l’emploi (bénévolat, militantisme, dépannage, etc.).
[2] Sauf pour les « cohabitants non privilégiés », c’est-à-dire les personnes qui cohabitent avec quelqu’un qui a un revenu professionnel ou un revenu de remplacement supérieur à plus ou moins 850 euros. Pour eux, c’est trois ans tout court…
[3] Environ 50 000 selon le service d’étude de la FGTB, 27 000 selon l’ONEM, seront exclus dès le 1er janvier 2015.
[4] Et quelles offres (massivement précaires, temps partiels, intérim, titres-services, CDD, faux indépendant…).
[5] En partie seulement, car seule une petite proportion des exclus pourra prétendre au CPAS. Pour les autres, ce sera la débrouille et/ou la rue…
[6] Parmi lesquels une médicalisation, voir une psychiatrisation de la pauvreté, par exemple à travers la catégorisation des « demandeurs d’emploi » au sein des organismes régionaux. On y parle en effet des « personnes présentant des problèmes de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique » (sous l’acronyme MMPP), à charge pour des assistants sociaux de faire le « tri », alors qu’ils n’ont évidement pas les compétences pour juger de la santé physique ou mentale des gens.
[7] Sous le régime nazi, le triangle noir désignait les « asociaux », une catégorie parmi laquelle on retrouvait notamment les personnes ayant refusé deux fois un emploi.
[8] Sous l’occupation, les travailleurs qui refusaient d’aller travailler en Allemagne étaient nommés « réfractaires » et passaient dans la clandestinité.
[9] Ce que réclame déjà la NVA : Le Soir du 28/10/2013. Note Cip : la NVA, la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA, en français, Alliance néo-flamande).
Source : CIP-IDF