Après la Grèce, une seconde maille de l’Union européenne, la Pologne, est en train de craquer, mais pour de tout autres raisons…
Il ne s’agit pas de l’économie, qui n’a pas sombré dans la crise de 2008 et qui tient bon. Au cours de la dernière période des gouvernements de la Plateforme civique (PO), la situation des salariéEs s’est amélioré sur le marché du travail : le chômage a baissé, le gouvernement a commencé à faire réellement des pas en vue de diminuer le précariat et d’améliorer la situation. Il a également pris une mesure sortant de l’ordinaire : la renationalisation des fonds de pensions privés, malgré le scandale que cela a suscité en Allemagne.
Mais en octobre, lors des élections législatives, PO a subit une défaite écrasante. La victoire indiscutable a été remportée par le parti Loi et justice (PiS), qui avait déjà emporté la présidentielle. Le PiS se situe clairement à la droite de PO libéral-conservateur. Il est eurosceptique et ce dans un pays où la très grande majorité de la population se réjouit de l’adhésion à l’Union européenne. Il est non seulement antirusse, mais également anti-allemand au sein d’une Union où « le rapprochement germano-polonais était au cours de 25 dernières années le fondement de la stabilité et de l’élargissement de l’Europe » (d’après la journaliste Nathalie Nougayrède).
De plus, le dirigeant du PiS, Jaroslaw Kaczynski, proclame ouvertement qu’une guerre se déroule en Pologne : « la guerre polono-polonaise contre le postcommunisme ». Bien qu’un quart de siècle nous sépare de la restauration du capitalisme, selon sa théorie du complot, la Pologne serait toujours sous la domination occulte du « postcommunisme ». Dans un pays où les élites enracinées dans la bureaucratie de l’ancien régime se reproduisent à une large échelle, une partie de la société le croit. La mission historique du PiS est donc l’éradication totale et définitive de cette prétendue domination.
Une symphonie de grande purge…
Si c’est la guerre, alors un régime d’exception est indispensable… Et le PiS, qui dispose d’une majorité parlementaire absolue, l’installe rapidement. Neuf jours après la formation du nouveau gouvernement, lors d’une séance de nuit, la Diète (Assemblée nationale) a fait la peau du Tribunal constitutionnel, modifiant illégalement une partie de sa composition, et le président Andrzej Duda a durant la nuit fait prêter le serment aux nouveaux juges. Un mois plus tard, encore de nuit, la Diète a dégradé ce Tribunal à un rang institutionnel de facto subalterne.
Dans une symphonie de grande purge, les médias publics sont transformés en un « système médiatique national », et leur première mission sera de « cultiver les traditions nationales et les valeurs patriotiques » dans le cadre du « respect du système chrétien des valeurs ».
De plus, la police doit obtenir des pouvoir étendus dans le domaine de la surveillance des citoyens. Et ce n’est que le début du démantèlement de la démocratie libérale…
Au sein d’une importante partie de la société polonaise, le sentiment que les acquis démocratiques sont en danger est en train de croître. Durant les 23 dernières années, la Pologne avait connu une paix sociale relative. Aujourd’hui des dizaines de milliers de personnes sont sorties dans les rues dans plusieurs dizaines de villes, mobilisées par le Comité de défense de la démocratie (KOD).
La fracture politique de la société est évidente et elle s’approfondit. Les deux parties manifestent avec des drapeaux polonais, mais l’une d’entre elles a aussi des drapeaux de l’Union européenne. Jusqu’où ira cette confrontation ?
De Varsovie, Zbigniew Kowalewski
Source : NPA