Libre expression. Portugal : désobéir à la troïka !
Adriano Campos est membre de la direction nationale du Bloc de gauche. Nous lui avons ouvert nos colonnes pour qu’il nous parle de la situation sociale et politique du Portugal, un pays marqués ces dernières années par de puissantes mobilisations contre l’austérité. Deux ans et demi après l’entrée de la troïka au Portugal, tout a échoué. Les objectifs de réduction de la dette et de la croissance se sont révélés un leurre et la politique des coupes n’a résolu aucun problème structurel. L’économie portugaise présente aujourd’hui plus de faiblesses et d’insuffisances. Les résultats mettent en évidence une situation de catastrophe sociale dont on ne voit pas la fin. On estime que plus d’1, 3 million de travailleurs se trouvent au chômage (15, 7 % de la population dont 30 % parmi les jeunes). La multiplication des faillites et le recul de l’État dans les secteurs essentiels qui a déjà conduit à la suppression de plus de 30 000 postes de fonctionnaires ont aggravé la précarité : un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Pendant cette période, le gouvernement à majorité de droite (formé par les conservateurs du PSD et par les minoritaires démocrates-chrétiens du CDS) s’est montré un excellent élève et a appliqué avec zèle les mesures d’austérité imposées par le FMI, la Banque centrale et la Commission européenne.
Réformes structurelles ou changement de régime ?
L’asphyxie financière à laquelle ont été soumis les pays du sud de l’Europe ces dernières années a été très tôt présentée par les gouvernements et par les responsables de l’Union européenne comme une conséquence du gaspillage de l’argent public et des familles.
Les réformes structurelles se sont traduites par deux grandes transformations qui, de fait, s’apparentent à un véritable changement de régime social et économique. La première concerne les entreprises publiques. L’octroi des entreprises de production et de distribution d’électricité à des capitaux chinois et la vente des aéroports à la société Vinci sont venus s’ajouter à la privatisation totale de la poste. Il ne reste plus qu’à démanteler le service public de l’eau et la banque publique. Le pays a ainsi perdu sa souveraineté économique dans les secteurs clés, tandis que prospèrent les capitaux étrangers dans l’économie, notamment les capitaux angolais.
La deuxième transformation a conduit au chômage, à la précarité et aux salaires de misère une grande partie de la population. La modification du code du travail, un des grands objectifs revendiqué par la troïka et le gouvernement a eu pour conséquence de faciliter les licenciements, l’augmentation du temps de travail (passage de 35 à 40 heures dans la fonction publique) et l’augmentation du travail précaire. Comme l’a affirmé récemment un important chef d’entreprise dans le domaine des télécommunications, « le Portugal rassemble le meilleur de deux mondes : des salaires relativement bas, une nouvelle génération hautement qualifiée et travailleuse, une bonne infrastructure et l’absence de conflits. »
La baisse des salaires, la casse des services publics, et en particulier les attaques contre la sécurité sociale, appauvrissent les travailleurs au profit du capital.
La dette et la Constitution au centre des décisions
Le Bloc de gauche continue d’affirmer que ce gouvernement est hors-la-loi. En effet, aucun des budgets présentés par le Premier ministre Passos Coelho n’a été totalement approuvé par la Cour constitutionnelle. Les nombreux avis défavorables de la Cour ont conduit la droite et quelques dirigeants du Parti socialiste à demander une révision constitutionnelle qui inscrive dans la loi toutes les mesures d’austérité possibles. La Commission européenne a même mis en garde la Cour constitutionnelle sur les conséquences qu’entraînerait un nouvel avis défavorable sur le budget de l’État.
Le leader du PS continue dans une position attentiste, alors qu’il est évident que le Portugal ne recouvrera pas sa souveraineté d’ici l’été 2014 (date prévue par la troïka). Mais s’il est certain que quelques manifestations de défense de la Constitution trouvent un écho dans une grande partie de la classe politique – depuis le Bloc de gauche jusqu’à l’ancien président de la République Mario Soares – c’est à travers la question de la dette que des majorités de transformation peuvent se constituer.
La spéculation financière a entraîné une telle augmentation des taux d’intérêt qu’il est impossible à l’État portugais d’honorer sa dette. L’alternative à la politique de destruction menée par la troïka passe par une renégociation radicale de la dette, quant à ses montants, intérêts et échéances.
Construire une alternative : rassembler des forces pour désobéir à la troïka
Après la crise politique du mois de juillet, lorsque le leader du CDS (droite) a présenté sa démission du gouvernement mais a été obligé de faire machine arrière suite à la pression exercée par Angela Merkel, le gouvernement continue donc d’être pieds et poings liés aux décisions de la troïka. L’unification annoncée de la droite – PSD et CDS se présenteront sur une liste commune aux élections européennes – n’occulte pas les contradictions d’un gouvernement qui a failli sur toute la ligne et continue à chuter dans les sondages.
Le fait que le Parti socialiste, parti qui a sollicité la troïka en 2011, continue à être en tête des sondages, montre l’ampleur de la tâche à accomplir pour la gauche en termes de mobilisations sociales. Après la gigantesque mobilisation du 2 mars, les mouvements anti-troïka se sont vu confrontés à des difficultés pour organiser des résistances d’un autre type, alors que l’on assiste à des mobilisations importantes dans les secteurs des transports, de l’enseignement et des chantiers navals.
Les prochains mois qui nous séparent des élections européennes et de la décision de la poursuite de l’intervention de la troïka seront décisifs pour organiser une alternative populaire capable de se transformer en une majorité de gauche pour gouverner et changer l’ordre des choses. Le Bloc de gauche défend la nécessité de larges convergences afin de rompre avec la troïka. Ce choix doit être assumé avec toutes ses conséquences. À défaut de renégociation, le Portugal doit imposer un moratoire unilatéral sur la dette détenue par le capital financier, en préparant le pays à toutes les épreuves qui pourraient advenir. Cet engagement aura d’autant plus de force que la pression populaire s’exercera afin de former un gouvernement de gauche capable de désobéir à l’Europe de la troïka.
Cette lutte commence à peine.
Source : NPA
(traduction Alain Eléonore)