Beaucoup d’agitation autour du nucléaire en Belgique. L’extrême dangerosité du procédé industriel a servi à cacher les réalités du nucléaire au public, au lieu d’en renforcer le contrôle démocratique. Aujourd’hui, le black-out concernant les affaires nucléaires est partiellement rompu et les affaires louches qui se sont conclues dans l’ombre des cabinets viennent à la surface.
Energie gouvernementale
L’accord gouvernemental est une bible antisociale et pronucleaire. Dans son point 5 « Energie, environnement et politique scientifique » le gouvernement avance des décisions concrètes : prolongation de Doel 1 et Doel 2 « moyennant l’accord de l’AFCN et de l’exploitant » jusqu’en 2025. Le gouvernement ouvre aussi la perspective de la construction d’un huitième réacteur nucléaire. L’accord gouvernemental affirme que « toute source d’énergie pourra être considérée sans tabous en fonction de ses mérites […] ». Le cabinet de Mme Marghem, la ministre libérale de l’Energie, est cohérent avec l’accord : il est truffé de proches du groupe GDF-Suez (qui a changé son nom en Engie). La ministre libérale saisit l’occasion unique de gouverner sans le PS et veut avancer sans les subtilités, les lenteurs calculées, l’habilité diabolique qui caractérisent ce parti gouvernemental. Mal lui en prit : elle a découvert le pot aux roses !
Les accords secrets: Di Rupo, le précurseur libéral
Quand le gouvernement Di Rupo, avec la ministre Milquet et le secrétaire d’Etat Wathelet, a prolongé la durée d’exploitation du réacteur Tihange 1, l’existence d’un accord était un secret de polichinelle, mais aucune personne crédible ne s’est alors lancée dans une croisade pour mettre à jour les magouilles. L’exclusion du PS du pouvoir fédéral et l’exclusion des Verts de tous les niveaux de pouvoir importants a changé la donne. Le magnifique talent que Jean-Marc Nollet a déployé dans l’opposition fédérale contre le nucléaire est sans commune mesure avec ses activités au Gouvernement wallon. C’est grâce à ce travail que l’accord secret du gouvernement Di Rupo-GDF-Suez est maintenant connu. L’accord est proprement scandaleux : il garantit une marge bénéficiaire de 9,3% sur les 600 millions d’investissement de remise à jour de Tihange 1. Les 600 millions sont déclarés par GDF-Suez, ils comprennent notamment 57 millions invérifiables de « frais d’études ». En cas d’arrêt par un parlement plus lucide, le gouvernement Di Rupo a engagé l’Etat à rembourser l’investissement de GDF-Suez si la rentabilité de l’affaire était écornée ou si le réacteur était fermé avant 2025. En outre, les pertes déclarées par Electrabel pourront être répercutées l’année suivante sur la taxe sur la rente nucléaire qui est calculée d’une façon très compliquée, favorable à… Electrabel. Cela revient à confirmer GDF-Suez pour dix années supplémentaires comme monopole dans la production d’électricité en Belgique, puisque le prix de vente du kilowattheure nucléaire est nettement en-dessous du prix de revient du kWh en provenance de sources fossiles ou renouvelables. Faut-il admirer les talents de contorsionniste d’Elio Di Rupo, qui sait combiner son rôle de dirigeant du PS avec la conclusion de cet accord ?
La deuxième prouesse de l’ex-gouvernement Di Rupo est la nomination de Jan Bens à la tête de l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN). Un traité international, dont la Belgique est initiatrice, signataire et qui a été ratifié en 1997, donc intégré dans la législation belge, prévoit que chaque Etat doit mettre en place une agence de contrôle totalement indépendante de l’opérateur. Pourtant, le gouvernement a nommé Bens, dont on savait qu’il était un top-manager de GDF et qu’il avait trempé dans des affaires de corruption, active et passive, en étant top-manager de la filiale kazakhe de Tractebel, autre filiale de GDF. Donc GDF connait dans le détail les délits de corruption dont Bens s’était rendu coupable : la porte ouverte au chantage, à la dépendance totale du directeur-général de l’AFCN par rapport à l’opérateur. La loi belge a donc été violée par le gouvernement même. Les aveux de Bens dans Le Soir ont donné un côté spectaculaire à la situation. Il n’y avait pourtant aucune autre explication pour l’avis positif criminel émis par l’AFCN donnant son accord pour le redémarrage des réacteurs fissurés Doel 3 et Tihange 2. Cet avis a ouvert la voie à la décision criminelle du gouvernement Di Rupo d’effectivement redémarrer. Il faut que Bens dégage si on veut avoir un contrôle sérieux de la sécurité des centrales nucléaires belges.
Ce manque de contrôle sérieux sur un risque qu’on sait énorme – 14 millions de personnes vivent dans le rayon dangereux de 75 km autour des deux centrales – amène les conseils communaux des régions voisines transfrontalières, dont les villes de Maastricht et d’Aix-la-Chapelle, à voter une motion demandant de fermer Tihange. Le Premier ministre luxembourgeois, nullement suspect de sympathies rouges ni vertes, s’était déjà exprimé dans ce sens devant le Parlement belge. C’est le risque énorme – la probabilité d’une catastrophe est mille à dix mille fois plus importante que pour un réacteur non-fissuré – d’une catastrophe nucléaire lors d’un nouveau redémarrage, qui amène des dizaines de milliers de personnes de souscrire à la pétition du réseau régional www.stop-tihange.org.
Comment en sommes-nous arrivés là?
La loi Deleuze de sortie du nucléaire de 2003 avait le grand mérite d’exister. Mais elle créait aussi deux écueils : le premier était de laisser tout le pouvoir de produire de l’électricité entre les mains d’Electrabel. Le deuxième était de démobiliser le mouvement anti-nucléaire, puisque le problème semblait résolu par la loi. La combinaison des deux a failli être fatale. Pour sortir du nucléaire, il est indispensable de briser le pouvoir d’Electrabel. Il faut mettre le contrôle de la production d’énergie entre les mains du pouvoir démocratique, c’est-à-dire nationaliser GDF sans indemniser ses grands actionnaires. En absence de cette mesure, Electrabel arrêtera ses centrales fossiles quand bon lui semble, créant artificiellement une pénurie que seul le nucléaire pourra résoudre. Et ce nucléaire rapporte à Electrabel le montant faramineux d’un million d’euros de bénéfice par jour ouvrable par réacteur. C’est uniquement le sursaut du mouvement anti-nucléaire dans l’Euregion et la libération d’Ecolo de sa réserve ministérielle wallonne qui nous sauve d’une catastrophe nucléaire due à une cuve de réacteur pourrie.
Il existe une autre option. Laissons libre cours à la loi du marché ! Demandons d’abord aux grands actionnaires de GDF de rendre à la société les dividendes stables et importants qu’ils ont empochés pendant toutes ces années, ce qui revient à nationaliser l’entreprise. Élémentaire : tout cours d’économie énonce que la loi du marché interdit clairement les monopoles. Ensuite, calculons sur 50 ans le prix de revient de l’électricité. Indéniablement, les installations légères – comparées à un réacteur nucléaire – sans frais de combustible ni de matière fissile reviendront moins cher, seront plus compétitives. C’est seulement quand le nucléaire est arrosé de subventions, de protections et d’accords secrets, qu’il est à court terme meilleur marché. De notre point de vue, du point de vue des besoins sociaux, l’option des renouvelables s’impose encore davantage. Les sources d’énergie existent, il suffit de mettre en place les moyens techniques d’en bénéficier : l’éolien maritime et terrestre, le photovoltaïque, l’énergie des marées, des vagues, des courants dans le canal, la géothermie, le chauffage urbain, la cogénération… sans oublier des accumulateurs géants qui permettront de se passer davantage des centrales à gaz pour combler les lacunes de vent et de soleil. En même temps, l’isolation des habitations et des lieux de travail, l’arrêt des gaspillages et l’augmentation des rendements doit permettre de diminuer sensiblement les besoins énergétiques. Un plan décennal d’équipement, de l’ordre d’importance du Deltaplan néerlandais, permettra de résoudre définitivement le problème de l’approvisionnement en courant, et de nous délivrer en passant de la litanie du black-out évité après chaque journal télévisé.
Si tous les courants du mouvement climat sont d’accord avec la mise en place des options alternatives, la tentation est grande de reprendre le nucléaire dans l’éventail des solutions au réchauffement climatique. Des voix importantes du mouvement-climat se sont prononcées dans ce sens: nommons Monbiot, Lovelock et Hansen. Ces auteurs risquent de semer la discorde dans le mouvement climat. Il est pourtant indispensable de maintenir l’unité entre les mouvements antinucléaires et pro-climat. Un grand nombre d’activistes sont d’ailleurs actifs dans les deux mouvements. Pourquoi écarter le nucléaire? Par ce que les risques que créent l’énergie et l’armement nucléaire (qui est son jumeau siamois) pour les travailleurs des centrales, pour les populations avoisinantes et pour les centaines de générations à venir – celles qui nous prêtent la planète – est inacceptable. Chaque catastrophe nucléaire, chaque explosion d’une arme nucléaire libère dans l’écosphère des particules diaboliques d’une durée de vie quasi illimitée qui influenceront négativement toute vie sur terre. La question de la sortie du nucléaire ajoute un aspect urgent au choix entre le socialisme et la barbarie.
14/06/2015
Article publié dans La Gauche #73, août-septembre 2015.