Eric Toussaint, bien connu pour son travail sur la dette au CADTM, tente ici de montrer qu’il existe des bases juridiques pour un audit de la dette grecque, même dans les traités de l’Union européenne néolibérale. Cet argumentaire peut être utile pour démonter les dogmes des donneurs de leçons qui veulent faire croire qu’il n’est pas « légalement » possible de rompre avec le fardeau de la dette.
Reste cependant que ce sont le rapport de forces, les mouvements sociaux et les choix politiques qui trancheront au final, en Grèce comme ailleurs en Europe, et pas les subtilités juridiques. Les organisations des travailleurs ne doivent jamais s’arrêter à la légalité imposée par ceux d’en haut, et être toujours prêtes à désobéir à ces règles dans l’intérêt des classes populaires. Ceci vaut en en Grèce comme dans toute l’Europe et dans le monde entier. Cette contribution au débat n’engage pas la LCR.
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Depuis l’annonce des élections du 25 janvier en Grèce, la possibilité que Syriza sorte victorieuse des urnes et forme un gouvernement est présentée comme une menace pour la zone euro. Pourtant, Syriza souhaite que la Grèce reste dans la zone euro, et propose une renégociation au niveau européen de la dette du pays, qui représente 175 % de la richesse nationale produite en une année et constitue un fardeau insoutenable pour la population.
En revanche, Syriza s’engage à mettre fin aux mesures antisociales imposées par la « troïka », Commission européenne, Banque centrale européenne (BCE) et Fonds monétaire international(FMI), qui regroupe les créanciers de la Grèce. La campagne contre Syriza vise donc à intimider les électeurs grecs afin qu’ils renoncent à leur droit au changement.
Mais que se passerait-il si Syriza, une fois au gouvernement, décidait de prendre à la lettre l’article 7 du règlement adopté en mai 2013 par l’Union européenne, qui prévoit qu’« un Etat membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité » ? (Règlement UE 472/2013 du 21 mai 2013 « relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des Etats membres de la zone euro »).
L’actuel gouvernement grec d’Antonis Samaras s’est bien gardé d’appliquer cette disposition du règlement. Mais à l’issue d’une victoire électorale, Syriza pourrait prendre au mot l’Union européenne en constituant une commission d’audit de la dette (avec participation citoyenne) chargée d’analyser le processus d’endettement excessif et d’identifier les dettes illégales, illégitimes, odieuses…
Légalité et légitimité
La dette grecque représentait 113 % du produit intérieur brut en 2009 avant l’éclatement de la crise grecque et l’intervention de la « troïka », qui détient aujourd’hui les 4/5es de cette dette. L’intervention de la « troïka » a donc été suivie d’une forte augmentation de la dette.
A partir de 2010 et jusqu’en 2012, les crédits octroyés par la « troïka » ont largement servi à rembourser les principaux créanciers de la Grèce jusqu’à cette période, à savoir les banques privées des principales économies de l’Union européenne. Les banques françaises et allemandes possédaient la moitié des titres de la dette grecque.
Un audit montrera que les banques privées européennes ont très fortement augmenté leurs crédits à la Grèce entre fin 2005 et 2009 (ils ont augmenté de plus de 60 milliards d’euros, passant de 80 milliards à 140 milliards), sans tenir compte de la capacité réelle de la Grèce à rembourser. Les banques ont agi de manière aventureuse, convaincues que les autorités européennes viendraient à leur secours en cas de problème.
L’audit montrera que le plan de prétendu sauvetage de la Grèce mis au point par les instances européennes avec l’aide du FMI a en réalité servi à permettre aux banques de continuer à recevoir des remboursements de la part de la Grèce, tout en transférant leur risque sur les Etats à travers la « troïka ».
L’audit analysera la légalité et la légitimité de ce plan de sauvetage. Les prêteurs publics en 2010 (c’est-à-dire les 14 Etats membres qui ont octroyé des prêts à la Grèce pour un total de 53 milliards d’euros, le FMI, la BCE, la Commission, etc.) ont-ils respecté le principe d’autonomie de la volonté de l’emprunteur, ou ont-ils profité de sa détresse face aux attaques spéculatives des marchés financiers pour lui imposer des contrats qui vont à l’encontre de son propre intérêt ?
Il s’agit également d’auditer l’action du FMI. Comme l’a révélé le Wall Street Journal, plusieurs directeurs du FMI avaient fait part de leur plus grande réserve à l’égard du prêt accordé par le FMI, en affirmant notamment que la Grèce ne serait pas capable de le rembourser étant donné les politiques qui lui étaient imposées. La BCE a-t-elle outrepassé de manière grave ses prérogatives en exigeant du Parlement grec qu’il légifère sur le droit de grève et sur la fixation des niveaux de salaire ?
Programmes illégaux
En mars 2012, la « troïka » a organisé une restructuration de la dette grecque qui a été présentée à l’époque comme un succès. Rappelons que George Papandréou, alors premier ministre, avait annoncé début novembre 2011, à la veille d’une réunion du G20, son intention d’organiser pour février 2012 un référendum sur cette restructuration de la dette grecque préparée par la « troïka ».
Sous la pression de celle-ci, ce référendum n’a jamais eu lieu et le peuple grec s’est vu retirer le droit de se prononcer sur les nouvelles dettes. Les grands médias ont relayé le discours selon lequel la restructuration permettait de réduire de 50 % la dette grecque. En réalité, la dette grecque est plus élevée en 2015 qu’en 2011, l’année qui a précédé la grande annulation de soi-disant 50 %.
L’audit devra aussi évaluer si les conditions strictes imposées par la « troïka » à la Grèce en échange des crédits qui lui sont apportés constituent une violation caractérisée d’une série de traités et conventions que sont tenus de respecter les pouvoirs publics du côté des créanciers comme du côté de l’emprunteur. Professeur au Centre de droit et de politique européenne de l’université de Brême, Andreas Fischer-Lescano a démontré de manière irréfutable que les programmes de la « troïka » sont illégaux en vertu du droit européen et du droit international.
La commission chargée de l’audit pourra émettre un avis argumenté sur la légalité, l’illégitimité, voire la nullité de la dette contractée par la Grèce auprès de la « troïka ». Le gouvernement décidera ensuite d’agir.
Source : CADTM