Le 30 octobre à l’aube, Piotr Ikonowicz – ancien opposant et activiste de « Solidarność », ancien député, co-fondateur et principal animateur de l’Association pour la justice sociale (Kancelaria Sprawiedliwości Społecznej, KSS) qui aide les familles précaires menacées d’expulsion [1] – a été arrêté et conduit en prison pour y purger une peine de 90 jours. L’affaire a suscité un tollé, a divisé les parlementaires et prend l’allure d’un véritable scandale politique.
Un prisonnier politique bien encombrant
En l’an 2000, Ikonowicz a participé à l’action de blocage de l’expulsion d’un couple de retraités de leur logement à Varsovie par le nouveau propriétaire, lequel l’a accusé ensuite de lui avoir porté des coups. En 2008, le tribunal, sur la base du seul témoignage du propriétaire, et en écartant les témoignages contraires des personnes qui avaient participé à l’action, l’a condamné à 6 mois de limitation de liberté avec obligation d’exécuter des travaux d’utilité publique. Ce que l’intéressé a refusé, dénonçant le caractère inacceptable, politique, de ce verdict. Il a proposé en échange de considérer son travail de bénévole au sein de l’association comme étant justement un travail d’utilité publique. Le tribunal a refusé à son tour, et a porté la peine à 90 jours de prison ferme ; peine devant être purgée à compter du 14 octobre 2013.
Le jour de l’arrestation, le président de la Pologne, Bronisław Komorowski, du parti Plateforme citoyenne (PO, centre-droit), a opposé son refus à la demande de grâce de Piotr Ikonowicz. Il a ignoré les appels émanant des diverses personnalités et organisations situées au centre et à gauche de l’échiquier politique. Auparavant, il avait annoncé qu’il ferait dépendre son avis… de celui du tribunal qui avait jugé l’affaire, ainsi que… de celui du procureur. Le droit de grâce n’est-il pas « une prérogative particulière du Président de la République polonaise » ? Ses services ont avancé des raisons de procédure, que Piotr Ikonowicz n’aurait pas respectée.
Un acte de désobéissance citoyenne
Dans une lettre au président Komorowski soutenant la demande de grâce de Piotr Ikonowicz, Karol Modzelewski, Danuta Kuron, Jozef Pinior et d’autres anciens opposants et activistes de « Solidarnosc », ont pourtant bien souligné le fond de cette affaire [2] :
« Notre inquiétude vient du fait que 13 ans après le blocage de l’expulsion d’un couple de retraités – et après un procès mené de façon controversée, le retrait de l’un des juges et l’absence d’appel – l’organisateur dudit blocage doit aller en prison.
Indépendamment de notre opinion personnelle concernant l’ensemble de l’activité publique de Piotr Ikonowicz, nous ne pouvons pas accepter une situation où, dans la IIIe République polonaise, on envoie en prison des militants associatifs engagés dans des actions d’aide aux démunis et exclus. Il n’est pas sans intérêt de souligner que, depuis ces années-là, le Tribunal constitutionnel avait jugé les expulsions avec mise à la rue comme contraires à la Constitution. Par conséquent, le blocage de l’expulsion avec mise à la rue, au titre duquel Piotr Ikonowicz a été condamné par une décision de justice, fut un acte de désobéissance citoyenne au nom de la défense des valeurs constitutionnelles. »
On gracie de vrais criminels
De son côté, Wanda Nowicka, vice-présidente du parlement et militante féministe de gauche très respectée, a déclaré dans un communiqué [3] :
« … Piotr Ikonowicz n’est pas sans défauts et a certainement commis beaucoup d’erreurs, mais il fait partie d’un groupe restreint de gens qui, de manière conséquente, totalement dévouée et avec passion, luttent pour les droits des plus vulnérables – des gens pauvres, de ceux qui se battent contre de multiples formes d’exclusion. C’est l’une des rares personnalités publiques en Pologne qui intervient pour parler de ceux que personne d’autre ne veut plus aider, particulièrement de ceux qui sont menacés d’expulsion et qui risquent de se retrouver SDF. Lorsqu’il n’y a plus aucun espoir pour eux, alors ils s’adressent à Piotr Ikonowicz, qui jouit auprès d’eux d’une grande confiance. On considère que si lui ne peut pas les aider, alors personne d’autre ne pourra le faire… Je suis convaincue qu’il sera plus utile à la société en liberté qu’en purgeant une peine de prison. Pour l’opinion publique, il serait injuste qu’un homme qui a tant fait pour les autres soit puni par une peine de prison, tandis qu’on a accordé la grâce à des personnes condamnées pour des délits bien plus graves. »
Dans un tweet, elle précise [4] : « L’antipathie et les différences politiques ont-elles pesé dans cette décision ? Il n’y a pas d’arguments rationnels pour enfermer Piotr Ikonowicz, lorsqu’on gracie de vrais criminels… Komorowski a gracié 219 personnes condamnées pour maltraitance, vol, cambriolage, recel et escroqueries ; mais Ikonowicz, il ne l’a pas jugé digne d’une grâce! »
Pauvreté…
La décision du président polonais est encore plus choquante dans le contexte social actuel de la Pologne (38 millions d’habitants), où la misère et l’exclusion s’étendent. « Pour la première fois depuis des années, le nombre des personnes vivant dans la pauvreté extrême a augmenté », titre le quotidien Gazeta Wyborcza dans son édition du 30 octobre 2013, où l’on peut lire l’interview d’un responsable de l’Institut statistique de l’Ecole supérieure du commerce SGH. [5] [ page suivante > ]