Après deux semaines de procès, le ministère public demande une relaxe pure et simple pour DSK, comme si de rien n’était. Aveu à peine masqué du peu de valeur accordée au respect de l’intégrité des femmes face aux pulsions viriles de ceux qui les violent. De quoi ajouter une couche à l’écœurement. Très médiatisée, l’affaire du Carlton a tout de même eu le petit mérite de mettre en lumière les sordides mécanismes de domination de classe et de sexe à travers le « proxénitisme BCBG » pratiqué par et pour les hommes puissants et la condition des femmes contraintes à la prostitution pour faire vivre leur famille. Nous reproduisons ci-dessous la tribune de Stéphanie Lamy, du collectif « Abandon de famille-tolérance zéro », parue dans la revue Politis le 17 février. (Feminisme Yeah!)
Depuis des années, on nous sert ad nauseam la narrative des “amours” de DSK et d’autres “libertins” puissants. Sauf que voilà : Il n’y a pas de “consentement” dès lors qu’il y a contrainte économique.
La femme séparée/divorcée avec ses enfants, pauvre, obligée de compromettre son intégrité physique et psychique pour assouvir les “besoins” des hommes riches et puissants – voici la trame qui se dessine à travers des témoignages des femmes à la barre du procès du Carlton, des femmes abîmées non pas par “la vie”, mais par d’autres hommes – et les institutions qu’ils gouvernent.
« La violence économique est une des conditions de l’exercice des violences sexuelles, tout comme la violence sexuelle est l’un des piliers du renforcement des inégalités économiques »
Jules Falquet, DSK ou le continuum entre les violences masculines et les violences néolibérales
Plus qu’un scandale politico-médiatique donc, le procès du Carlton à Lille met en exergue les limites du système néolibéral. Un système qui prétend que tout se marchande (sauf le travail domestique, of course), et où les personnes seraient, a priori, libres de disposer de leur corps si elles/ils le souhaitaient. Mais il s’agit alors d’une “liberté sexuelle” qui fait fi du désir des laissées pour compte de la société, et qui occulte l’asymétrie des rapports de force économiques.
C’est ainsi qu’on apprend qu’une chaîne d’approvisionnement de « labeur » semble avoir été montée autour des envies d’un seul homme. La demande hors normes de DSK aurait crée une économie de marché qu’il exploite, éhontément, fermant les yeux quant à la provenance de ce qu’il engloutit, et les ravages infligés par son appétit.
Si DSK se défend (non sans une arrogance certaine) en avançant qu’il aurait profité de ces services à titre gracieux, en tant que grand ponte du néolibéralisme, il était pourtant aux premières loges pour savoir que rien n’est gratuit. Aujourd’hui tout se vend, tout s’achète. Y compris en faveurs et influence.
L’économie de marché au nom de la liberté de l’individu et de l’efficacité économique est dévastatrice pour les femmes dans le monde entier. La politique d’austérité imposée aux pays ayant subi l’intervention du FMI détourne l’une des fonctions premières d’un État – le souci d’équité et de justice – au profit des remboursements de leurs dettes. Et ce sont les femmes et les enfants les premier-e-s touché-e-s par ce dévoiement des secteurs de la santé et du social – comme l’attestent de nombreuses organisations de défense des droits des femmes, comme Gender Action.
« Le néolibéralisme transforme l’échange économico-sexuel en un marché mondial, organisé par les migrations intra et internationales, la monétarisation, le trafic, une industrialisation qui appauvrit et illégalise les femmes les plus opprimées. »
Annie Ferrand, La “libération sexuelle” est une guerre économique d’occupation
C’est en France, et grâce a ses « rapports amicaux », que l’influence de DSK et de ses pairs semble avoir le plus d’emprise sur la parole publique et sur les projets politiques. Euphémismes pervers et négation des violences, les propositions de lois se suivent (APIE, Protection de l’enfance, Macron) sans jamais prendre en compte la paupérisation systémique des femmes, et plus particulièrement des mères.
« Ce qu’achète le client prostitueur, c’est le droit d’échapper aux règles et aux responsabilités qui fondent la vie en société. »
Christine Delphy (Sociologue), Françoise Héritier (Anthropologue) et Yvette Roudy (Ancienne ministre des droits des femmes)
L’enjeu politique de DSK est clair : saper les prétentions des femmes à l’égalité en leur faisant accepter les termes néolibéraux de l’échange économico-sexuel. Une négociation imposée sous contrainte monétaire. Cet accord (tacite ou contractuel) à l’acte sexuel, ne peut donc pas être libre.
Si la prostitution était un métier comme un autre, ce serait même la cour de Cassation qui nous le dirait :
« L’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement. » (Cass.civ. 1 , 3 avril 2002)
Les témoignages de Jade et Mounia m’ont particulièrement touchée. L’une prostituée par son avocat, l’autre pour dignement élever ses enfants seule, acculées, pressées par une justice toujours si soucieuse de préserver les privilèges de leurs ex, elles ont subi une violence institutionnalisée qui les a conduites à se soumettre encore et toujours à la violence des hommes.
Mounia :
« Je pleurais. Et puis je disais que j’avais très mal. Il y avait de la violence ? Non, c’était pas de la violence, c’était un rapport de force. Brutal parce qu’il ne s’est pas arrêté. Mais consenti de votre part ? Oui, parce qu’il me fallait cet argent, j’en avais besoin. »
Jade (Sandrine) :
« Moi, ça me permettait de m’occuper de mes enfants. Je travaillais la nuit, je m’occupais d’eux le jour. Je donnais surtout beaucoup d’argent à l’avocat pour payer mon divorce. »
Elle insiste :
« On ne choisit pas cette situation, j’en suis persuadée. Je ne me suis jamais acheté des sacs ou des bottes de marque. Et quand j’avais assez d’argent, je retournais travailler pour des boites d’intérim. »
Le président l’interrompt :
« Vous avez pourtant une excellente formation, vous parlez trois langues. Pourquoi ? Comment avez-vous franchi le pas ? »
Sandrine (Jade) répond en pleurant :
« J’étais acculée, ma fille avait sept mois… J’ai ouvert le frigo, ce frigo était vide. Je me suis dit qu’il fallait que je me lance. J’avais rendez-vous avec un chauffeur, sur l’autoroute… Il a fallu qu’on s’arrête parce que… J’étais morte de trouille. Voilà comment j’ai mis le pied là-dedans. »
Et l’historienne et essayiste Natasha Henry de commenter:
« Ces audiences racontent un esclavage, pas du libertinage »
Et de rappeler que la violence économique faite aux femmes n’est toujours pas sanctionnée par nos textes de lois, et ce en dépit du fait qu’elle soit explicitée dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), entrée en vigueur en France depuis le 1er août 2014.