La question clé pour le PS : comment mettre en crise la coalition NVA-MR afin de réintégrer le gouvernement fédéral au plus vite, mais sans renoncer à la politique d’austérité que le PS a menée, mène encore, et continuera de mener demain… dans le cadre du TSCG qu’il a voté comme un seul homme?
A cette question, les déclarations de Jan Jambon sur les collaborateurs qui-ont-fait-une-erreur-mais- qui-avaient-leurs-raisons, puis la participation de Théo Francken à une petite fête en l’honneur du collaborateur Bob Maes (sans parler de ses mails, déjà dénoncés il y a sept ans dans la presse flamande !), ont apporté une réponse idéale. La direction du PS l’a exploitée à fond en exigeant la démission des intéressés comme préalable à la déclaration gouvernementale.
Amplement médiatisé, y compris dans la presse internationale, le chahut du mardi 14 octobre à la Chambre est un joli coup de pub pour la social-démocratie : elle se donne à bon compte une image de combat, détourne l’attention des coupes budgétaires imposées aux francophones, se pose en leader des « antifascistes », renforce la crédibilité de l’argument du « moindre mal »… Sans compter qu’elle donne une légitimité aux coalitions contre-nature du PS avec le Cdh et le FDF, qui deviennent comme par magie une sorte de remake du Front populaire…
Tout cela, notez-le bien, sans exiger la démission du gouvernement en tant que tel. C’est que Di Rupo, en réalité, n’est pas pressé : les parlements sont de législature, on ne votera donc que dans cinq ans ; le PS, pour récupérer ses électeur-trice-s égaré-e-s sur les listes PTB-GO, mise sur le fait que, d’ici là, chacun-e aura le temps de faire pénitence après avoir médité sur la différence entre une coalition de « centre-droit » et une coalition de « droite-droite »…
Que cette différence existe, c’est l’évidence. Mais il est aussi évident que c’est le « centre-droit » de Di Rupo qui a ouvert le chemin à la « droite-droite » de De Wever-Michel. Laurette Onkelinx, qui a jadis fait l’objet d’une polémique à Schaerbeek pour les liens de candidats PS avec les Loups Gris de l’extrême-droite turque, dénonce à la Chambre le saut d’index, l’allongement de l’âge de la pension et les « injustices » de la politique budgétaire et fiscale. Or, sur tous ces plans, les mesures du nouveau gouvernement prolongent celles du précédent, en les approfondissant. Et on parle moins dans les médias du fait que le PS n’a pas bronché devant la politique raciste de Maggie De Block qui a fortement aggravé la chasse aux sans-papiers, que Francken veut encore renforcer, ni des lois répressives et du renforcement des privilèges des policiers, inscrites dans l’accord de gouvernement.
La cheffe de file PS et ex-vice-première ministre ferait mieux de balayer devant sa porte… mais c’est précisément ce qu’elle veut éviter!
La dénonciation de Jambon, Francken & Cie tombe à pic pour cela. Est-elle au moins justifiée ? Oui, à condition de ne pas tout mélanger. Il est évident que ces individus sont à la droite de la droite sur l’échiquier politique et qu’ils ont des liens et une réelle sympathie avec les milieux nationalistes flamands mouillés dans la collaboration avec les nazis. Mais la vérité a ses droits : ce ne sont pas des fascistes, Bob Maes n’est pas un nazi, la NVA n’est pas un parti fasciste et sa direction n’a pas un projet fasciste.
Qu’est-ce que le fascisme ? Un mouvement de masse extra-parlementaire de la petite-bourgeoisie et du lumpen proletariat enragés par la crise et que le grand capital, à un moment donné, décide d’utiliser pour briser physiquement le mouvement ouvrier et le mettre hors-la-loi. Le noyau du Vlaams Belang a un projet fasciste, celui de la NVA pas. De Wever vise un Etat fort néolibéral dans lequel les syndicats sont bridés, pas écrasés. Faut-il expliquer que ce n’est pas la même chose ?
Il y a évidemment des liens possibles entre fascisme et Etat fort. Outre les convergences idéologiques entre les partisans de l’un et de l’autre, il est arrivé à plusieurs reprises dans l’histoire que des gouvernements de droite autoritaires, dans une situation de polarisation sociale croissante, créent un climat favorable à la montée en puissance du fascisme en tant que mouvement de masse extra-parlementaire.
Cependant, confondre fascisme et Etat fort a généralement pour conséquence paradoxale qu’à force de voir des « fascistes » partout, on finit par tout mélanger et par banaliser le danger… Au point même, parfois, de ne plus être capable de reconnaître le fascisme quand il se présente vraiment !
Le cas belge est très particulier car le mouvement fasciste au Nord du pays (le seul à être vraiment consistant) est enraciné dans le terreau du nationalisme flamand, qui est hégémonisé par la droite. Cette situation n’est pas le produit logique des revendications nationales mais le résultat d’une faute gravissime de la social-démocratie : au lieu d’appuyer les revendications démocratiques du peuple flamand au 19e siècle (comme le lui avait conseillé August Bebel), le POB dans sa grande majorité s’est rangé du côté de la bourgeoisie francophone, avec laquelle il pratiquait déjà la collaboration de classe…
Il faut donc être très sûr de son fait avant de dénoncer des « ministres fascistes », voire un « gouvernement de fascistes », comme certains l’ont fait ces derniers jours. Surtout en tant que francophones ! Car, si on se trompe, on n’est pas crédible en Flandre. Chez les francophones, par contre, on ne risque pas d’être démenti : la méconnaissance du mouvement flamand est si grande que n’importe quel démagogue peut se faire applaudir en assimilant peu ou prou « Flamand » et « fasciste »… Mais alors, au final, on contribue à approfondir la division entre populations du Nord et du Sud. C’est ce qu’a fait le PS ces derniers jours.
Or, cette division est un danger pour le mouvement ouvrier. Particulièrement dans le contexte actuel. Car l’austérité de cheval du gouvernement de droite ne peut être défaite qu’en chassant cette coalition, et cet objectif à son tour ne peut être atteint que dans l’unité d’action la plus large entre travailleurs et travailleuses Flamands et francophones.
Est-ce possible ? Ne vaut-il pas mieux se replier sur la Wallonie « antifasciste »? Non, ce repli est une erreur. Il ne faut pas perdre de vue que la NVA a percé en tant qu’alternative aux partis traditionnels. Aussi incroyable que ça paraisse, une fraction de l’électorat populaire s’est tournée vers De Wever avec l’illusion qu’il protégerait le « travailleur flamand » de l’austérité et du chômage « provoqués par le PS et les Wallons ».
Le mécontentement social, en Flandre, a été partiellement détourné sur la voie de garage d’un ultralibéralisme qui avance masqué. La situation actuelle, où De Wever est le chef de fait d’une coalition de droite qui applique très largement sa propre politique socio-économique, offre une chance de clarification sur des lignes de classe. Une chance à ne pas laisser passer.
La conclusion coule de source: soyons vigilants, mais ne perdons pas de temps à traquer les « fascistes » de la NVA. Le front commun syndical, pour la première fois depuis les « grèves des vendredis » qui ont chassé le gouvernement de droite de Tindemans, propose un plan d’action qui semble digne de ce nom. Lutter dans l’unité la plus large contre ce gouvernement de malheur sera plus utile pour faire reculer la droite extrême et l’extrême-droite que toutes les tirades « antifascistes » du « front populaire » entre Di Rupo, Onkelinx, Lutgen et Maingain. Ce n’est pas Francken et Jambon qu’on doit faire démissionner. C’est tout le gouvernement Michel et sa politique qui doit tomber.