« C’est un grand honneur pour moi quand Monsieur Trotski exhorte aujourd’hui le communisme allemand à collaborer à tout prix avec la social-démocratie, vu que le national-socialisme est le plus grand danger pour le bolchevisme… ».
Cette phrase a été prononcée par Adolf Hitler dans son discours du 27 janvier 1932 à Düsseldorf devant les 650 membres de l’organisation patronale Industrie-Klub, donc avant la prise de pouvoir par les nazis. La salle de bal du Park Hotel de la ville était assez grande pour contenir les représentants du big business allemand. Mais notons aussi que certain figures importantes du grand capital s’étaient absentées.
Hitler montrait implicitement une clairvoyance devant le danger d’un combat commun des deux grands partis de la gauche contre son mouvement. Ni le PC allemand, ni les sociaux-démocrates allemands ont été aussi clairvoyants. Ils restèrent tous les deux sur leur position sectaire, ce qui explique en grande partie la victoire des national-socialistes. Mais le fonds réel de ce renvoi à Trotski était le fait qu’Hitler sollicitait l’aide financière des capitalistes allemands, avec comme argument principal que son mouvement était la seule garantie contre le danger « bolchevique », c’est-à-dire contre une possible révolution socialiste.
Les capitalistes restèrent cependant sceptiques selon l’historien britannique Ian Kershaw, l’auteur de la biographie Hitler 1889-1936 (Paris 1999), malgré ce que claironnait la propagande nazie. « La réponse (je traduis de l’édition anglaise) à son discours était mélangée. Beaucoup étaient déçus qu’il n’avait rien de nouveau à dire, qu’il évitait les questions économiques de détail en se réfugiant derrière ses panacées politiques répétées à tire-larigot. Il y avait des signes que les travailleurs au sein du parti n’étaient pas tous contents que leur dirigeant fraternisait avec les dirigeants industriels. La rhétorique anticapitaliste intensifiée, qu’Hitler ne réussit pas à refréner, inquiétait la communauté des entrepreneurs comme toujours. Durant la campagne présidentielle au printemps 1932 la plupart des dirigeants du monde des affaires se positionnèrent fermement derrière Hindenburg et ne favorisèrent pas Hitler. Et durant les campagnes pour la diète pendant l’été et l’automne ils supportèrent dans leur grande majorité les partis qui avaient la faveur de Franz von Papen (…) qui avait des liens étroits avec le monde des entrepreneurs, des propriétaires terriens ». Von Papen était un politicien dilettante, conservateur, aux tendances réactionnaires et en faveur de l’autoritarisme traditionnel. « Von Papen, et non pas Hitler était, sans surprise, le favori du grand capital. Ce n’est qu’à l’automne 1933, quand Von Papen fut délogé par Kurt von Schleicher, le général qui était au cœur de la plupart des intrigues politiques, faiseur et briseur des gouvernements, que l’attitude de la majorité des figures dirigeantes du monde des affaires changèrent d’une façon significative d’attitude, inquiétés par l’approche du nouveau chancelier des problèmes économiques et son l’ouverture aux syndicats. »
L’Europe d’aujourd’hui n’est pas celle de 1933. Les travailleurs ne menacent pas le socle du pouvoir politique de la bourgeoisie. En France la bourgeoisie n’a pas besoin du Front National, mais du Parti « républicain » que vient de lancer Sarkozy, un parti unifié et bien soudé pour continuer avec succès les contreréformes libérales. Mais ça peut évidemment changer. En Belgique la bourgeoisie peut compter en Flandre sur le NV-A de Bart De Wever et en Wallonie sur le PS de Elio di Rupo. La bourgeoisie choisit l’instrument politique qui lui semble le plus approprié du moment. Mais parfois elle se trompe, comme elle l’a fait en 1933 en Allemagne.
image: Parkhotel Düsseldorf