A l’heure où le gouvernement Michel s’emploie à casser la Sécurité sociale pour privatiser les soins de santé et que la très libérale ministre de la Santé, le Docteur Maggie De Block, nous propose une diminution de 4 milliards d’euros dans le budget 2015 des soins de santé, le public ne sait finalement que très peu de chose sur l’un des plus influents acteurs du secteur: l’industrie pharmaceutique des médicaments et des dispositifs médicaux.
Qui explique clairement aux citoyens leur influence dans l’organisation des soins hospitaliers, leur impact sur les budgets de recherches et de la Sécurité sociale? Personne!
Prestataires et industrie pharmaceutique: les liaisons dangereuses
Acteurs importants du processus de prise en charge du patient, il n’en reste pas moins vrai que les laboratoires sont avant tout des industries qui évoluent dans un monde capitaliste où concurrence et rentabilité sont les maitres mots de la santé économique des actionnaires!
Il faut le dire haut et fort, l’industrie pharmaceutique participe au déficit de la Sécurité sociale. Elle bénéficie des intérêts notionnels, des primes à l’embauche, du paiement de ses médicaments par l’INAMI et elle profite d’une ingénierie fiscale qui minimise ses impôts.
L’idéologie dominante tente de nous faire accepter l’idée que concilier capitalisme, besoins des patients et finances de la Sécurité sociale est possible. Soyons sérieux, il est impossible de mélanger l’eau et le feu. Sous prétexte de rentabilité, la machine économique broie les utilisateurs de soins et les chercheurs en amenant la Sécurité sociale à toujours plus de dépenses. Le tout avec le soutien des gouvernements successifs.
Pour comprendre l’importance historique du sujet, il faut relire l’Article 10 de la Loi du 25 mars 1964 (modifié par la loi du 16 décembre 2004). Cette loi, aussi appelée «Loi sur les médicaments» tente de «lutter» contre les abus de publicité des médicaments et les conflits d’intérêts. Elle dit ceci: «Il est interdit, dans le cadre de la fourniture, de la prescription, de la délivrance ou de l’administration de médicaments, de promettre, d’offrir ou d’octroyer, directement ou indirectement, des primes, des avantages pécuniaires ou des avantages en nature aux grossistes, aux personnes exerçant des activités de courtage, aux personnes habilitées à prescrire, à délivrer ou à administrer des médicaments ainsi qu’aux institutions dans lesquelles ont lieu la prescription, la délivrance ou l’administration de médicaments».
Il y a 51 ans, les liaisons dangereuses entre prestataires et laboratoires étaient déjà soulignées. Au travers de l’Article 10, les parlementaires rappellent que les dérives existent.
Malgré un cadre strict, les comportements non conformes aux «bonnes pratiques» n’ont jamais cessé. Prestataires et industriels ont feins, avec la bénédiction des gouvernements successifs, de s’autoréguler au travers d’asbl privées et financées par l’industrie: Les asbl «Centre belge d’information pharmaco-thérapeutique», Farmaka ou Mdéon! Stratégie d’une industrie qui craint par-dessus tout que le public ne vienne mettre son nez dans ses juteuses affaires et qu’en soit informé le plus grand nombre. Le message est clair: circulez y’a rien à voir! Libre cours au business pendant que le politique détourne le regard!
La main de l’industrie pharmaceutique
dans le financement de la recherche publique
Concrètement, la protection du libre marché offre aux laboratoires pharmaceutiques la possibilité d’exploiter au maximum les moyens de s’enrichir sur le dos de la collectivité.
Premier exemple, la recherche scientifique. Qu’elle soit fondamentale ou appliquée, l’austérité imposée par les gouvernements Di Rupo et Michel a touché de plein fouet la recherche scientifique hospitalière. Les préoccupations financières des responsables d’études ont pris le pas sur les questions scientifiques. De professeurs d’université et chercheurs, les patrons de laboratoire hospitaliers sont devenus des experts-comptables et des chasseurs de financement. Clairement, la recherche de financements est devenue une activité à plein temps pour ceux qui devraient passer leur temps dans leur laboratoire.
Pour éviter de dépendre de demandes de budgets auprès de la Région wallonne ou du Fonds national pour la Recherche scientifique (FNRS) aux résultats incertains, les chercheurs se sont associés aux laboratoires pharmaceutiques. Le tout, au prix d’une déontologie soldée et de priorités scientifiques discutables!
Ce partenariat public/privé a des effets désastreux. A coup millions d’euros, l’industrie pharmaceutique exerce une influence sans cesse grandissante sur les médecins et les chercheurs. Dans une étude de 2008, «Médecins sous influence – Enquête sur les relations entre les médecins hospitaliers et les firmes pharmaceutiques» des Docteurs Guillaume Kring et Jean Laperche de l’UCL, 3 effets néfastes de ce type de rapprochement sont pointés du doigt:
- L’influence passive qu’exerce une firme sur les chercheurs: Les chercheurs savent qu’ils seront mal perçus et que leur hôpital touchera moins d’argent s’ils ne réussissent pas l’étude dans le sens espéré par la firme pharmaceutique. D’où, des phénomènes d’autocensure rapportés par plusieurs professeurs: un résultat qui pourra déplaire à la firme, sans que celle-ci en ait eu connaissance, ou qu’elle décide de creuser les recherches sur un aspect positif, est aussitôt jeté aux oubliettes.
- L’influence active exercée par certaines firmes: cadeaux, matériel, financement du congrès organisé par le chef de service, voire dessous de table pour faciliter l’aboutissement positif d’une étude.
- Des recherches scientifiques sans intérêt: l’acceptation par des médecins-chercheurs de mener des études sans intérêt scientifique, mais uniquement à vocation commerciale. Pour les professeurs interrogés dans l’étude, ce type de situation est monnaie courante dans la majorité des services hospitaliers car elles permettent aux hôpitaux de gagner beaucoup d’argent. On monnaie de la sorte la caution scientifique donnée à une marque plutôt qu’à une autre.
Cette situation jette l’opprobre sur tout un pan de la recherche hospitalière. Elle remet en question jusqu’au contenu des prescriptions de traitements proposés aux patients. Elle décrédibilise un corps médical qui garantit, au détriment de la collectivité, de plantureux profits aux laboratoires et aux hôpitaux. C’est la marchandisation de nos cerveaux et des soins de santé de qualité.
Instrumentalisation des patients et de leurs familles à des fins commerciales, ou quand un drame humain est exploité par un laboratoire pharmaceutique
Cette marchandisation est sans limite. C’est le cas de Viktor, 7 ans. Mon deuxième exemple. Le petit Viktor vit à Alost et, comme 15 autres patients, il est atteint du syndrome hémolytique et urémique atypique (SHUa). Seul traitement disponible, un médicament nom remboursé par l’INAMI: le Soliris® des laboratoires américains Alexion.
Le Soliris® n’a pas reçu l’accord de remboursement par la commission de remboursement des médicaments de l’INAMI. Alors qu’il aurait dû imposer des règles claires en vue de protéger les malades, le Cabinet de la ministre de la Santé a proposé aux laboratoires Alexion une diminution du prix de vente de son médicament. Refus immédiat du laboratoire. La moralité n’a pas cours dans le milieu. Ni pitié, ni compassion. Ce qui prime, c’est le capitalisme pur et dur. Dans ce monde-là, on ne brade pas! On compte!
Plus fort! Le lobbyiste attitré du laboratoire a même sollicité une agence de communication et les parents pour médiatiser la problématique du petit malade. Une façon pour la société Alexion d’exercer une pression sur la ministre de la Santé. Objectif: arracher le remboursement du Soliris®. Faire pleurer dans les chaumières, on ne sait jamais, ça peut rapporter gros!
Dans cette histoire, Alexion s’est bien gardé de proposer la gratuité du traitement à Viktor (et aux autres patients): Rien! Pas un euro! Tout mettre en œuvre pour obtenir un remboursement à 18.000 euros/mois par patient! Surtout ne pas déplaire aux actionnaires. Aujourd’hui, le Soliris® du petit Viktor est financé par l’hôpital universitaire de Jette et le laboratoire du Connecticut arbore un chiffre d’affaire supérieur à 1,55 milliard de dollars.
Laboratoires pharmaceutiques et INAMI, le loup dans la bergerie!
L’INAMI se définit comme une institution publique qui organise, gère et contrôle l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités. Avec les moyens qui lui sont octroyés par le Fédéral, elle élabore annuellement son budget. Ce budget est le résultat de concertations. Ces concertations ont lieu dans divers groupes appelés Commissions ou Conseils. On y retrouve, entre autre, les Commissions de conventions ou d’accords, le Conseils d’agrément, la Commission de remboursement des médicaments, la Commission de remboursement des implants et des dispositifs médicaux invasifs, le Conseils techniques, le Collèges des médecins pour les médicaments orphelins.
Mais ces concertations se font elles au bénéfice des patients et de la collectivité? Pas si sûr! Pour s’en convaincre, et c’est notre troisième et dernier exemple, il suffit d’analyser la composition des commissions de conventions ou d’accords. Officiellement chargés de négocier les tarifs des prestations et de certains produits entre les mutualités et les différents groupes de dispensateurs de soins, elles sont avant tout des groupes d’intérêts économiques.
C’est le cas de la Commission de convention bandagisterie (bandagistes et pharmaciens bandagistes) – Organismes assureurs (les mutualités). D’un côté, les bandagistes, dispensateurs de soins, et de l’autre, les représentants des mutuelles, la voix des utilisateurs. Enfin, de leurs membres respectifs!
Tous sont dans une dynamique de protection d’intérêts financiers. Les bandagistes, car ils ont tout intérêt à voir les montants des remboursements augmenter. Les mutuelles, car sous couvert de siéger au nom de leurs membres, elles représentent en réalité les bandagisteries et les pharmacies de leur groupe respectif (les bandagisteries «Espace santé» des Mutualités Chrétienne et les pharmacies «Multipharma» de Solidaris – Mutualités Socialistes).
Comment rester objectif dans la fixation des montants de remboursements lorsque les acteurs en présence ont un intérêt économique identique à celui des groupes de laboratoires pharmaceutiques producteurs de dispositifs médicaux dont ils sont client? Les laboratoires n’hésitent pas à faire pression sur ces acteurs. Récemment l’un des membres de cette commission était à la fois représentant des bandagistes et directeur d’une bandagisterie qu’il avait vendu à un laboratoire pharmaceutique!
Bien sûr, tous les acteurs de ces commissions et conseils ne sont pas «corruptibles» mais force est de constater que faire participer des personnes aux prises de décisions, dont le conflit d’intérêt ne fait aucun doute, c’est demander aux laboratoires pharmaceutiques de fixer eux-mêmes les prix de ventes et les montants des remboursements INAMI de leurs propres produits! C’est la marchandisation de la totalité de notre système de Sécurité sociale et de soins.
Protéger notre Sécurité sociale et les soins de santé: Une évidence à rappeler!
Les dégâts des politiques de santé successives qui visent à privatiser le système de santé et à chercher dans le marché, inépuisable, des profits considérables, sont évidents. Il est bon de se rappeler que depuis des mois, nous connaissons l’impact de la folle austérité imposée aux citoyens en matière de dépenses de santé: augmentation de la participation financière des patients dans leur consultation chez le médecin généraliste, le spécialiste et dans l’achat de leurs médicaments. Désinvestissement de l’Etat dans les stratégies de préventions de maladies graves, diminution du nombre d’implants (pacemakers et prothèses orthopédiques), et réduction de la durée de séjour des accouchements ordinaires. Au total, en 2015, c’est plus de 211 millions d’euros d’efforts supplémentaires qui sont demandés aux utilisateurs de soins. Et la droite nous promet plus d’efforts pour les années suivantes.
Oui, sans réaction, l’avenir ne sera pas rose. Notre Sécurité sociale est attaquée de toutes parts: malmenée par des budgets d’austérité, fragilisée par un poison qui favorise le transfert des soins les plus rentables vers le privé. La possible signature par l’Europe du Partenariat transatlantique de Commerce et d’Investissement (TTIP), qui est téléguidé par les multinationales, ouvrira plus encore les portes à ces monstres financiers du monde de la santé et de l’assurance privée qu’elles ne le sont déjà. Ne l’oublions pas, ces entreprises n’ont qu’un seul et unique objectif: assurer la rentabilité maximale de leurs investissements. Même au détriment du système.
Pour un système public de santé débarrassé des virus de la rentabilité et de la marchandisation, pour répondre aux besoins de la population et réduire les inégalités, le préalable passe par un remboursement de tous les soins à 100% sans avance de frais. Un véritable service public de santé pourra alors s’articuler autour d’un seul service public intégrant l’ensemble des acteurs: Cliniques (qui sont aujourd’hui toutes des asbl privées), unités de soins à domicile, distributeurs… Nous devons recréer des lieux de soins et de prévention avec la participation de collectifs d’habitants et d’associations de patients. L’industrie pharmaceutique doit impérativement être placée sous contrôle public dans le cadre d’une Sécurité sociale autogérée. Il en va de la survie de l’accès aux soins pour tous!
Article publié dans La Gauche #72, avril-mai 2015.