A cause des élites qui sont à la tête du pays, la République Démocratique du Congo (RDC) entre de nouveau dans une zone de turbulences.
Il est clair que Joseph Kabila souhaite rester au pouvoir en dépit de l’article 220 de la Constitution qui interdit de briguer un troisième mandat. L’absence d’un démenti formel de sa part l’illustre. La seule solution est donc de tripatouiller la Constitution comme certains dirigeants le font ou tentent de le faire à l’instar de Pierre Nkurunziza au Burundi, de Denis Sassou N’Guesso en république du Congo ou de Paul Kagame au Rwanda, pour ne prendre que des pays d’Afrique Centrale. Mais selon l’histoire et la situation politique des pays, ces tentatives sont plus ou moins aisées.
En RDC, Kabila est dans une posture un peu compliquée et n’a pas la force ni l’assise nécessaires pour réformer la loi fondamentale du pays. Dès lors, comment faire pour continuer à rester au pouvoir sans changer la Constitution ? Le clan de Kabila a trouvé la solution. Elle est simple. Ajouter des étapes incontournables pour retarder l’élection présidentielle prévue en novembre 2016. D’abord rendre obligatoire le recensement de l’ensemble de la population avant l’élection. C’est cette mesure qui a provoqué les manifestations du 21 janvier qui ont été sauvagement réprimées, provoquant la mort de 42 personnes. Le Conseil Constitutionnel ayant retoqué la manœuvre, l’idée fut alors d’instaurer un ordre dans les différents processus électoraux : d’abord les élections locales et provinciales et ensuite seulement la présidentielle et les législatives. Pour être sûr de retarder le tout, le pouvoir initie une politique de décentralisation et un redécoupage administratif, les deux réformes étant menées sans concertation et en dépit du bon sens. Tout ce qui complexifie le processus électoral est bon à prendre. Profitant de la faible présence des institutions de l’État sur l’ensemble du pays, le retard du processus des élections locales permettra de reporter d’autant la présidentielle dans l’espoir d’une meilleure opportunité pour imposer un changement constitutionnel par la suite.
La désunion de l’opposition semble être le seul atout de Kabila
L’élection de Joseph Kabila lors de son second mandat a été fortement contestée. Elle ne satisfaisait nullement aux critères d’une élection sincère, transparente et démocratique. Kabila par cette farce électorale a réussi à conserver le pouvoir. Mais aujourd’hui et au vu de son bilan, la coalition des partis politiques qui le soutenaient semble s’effriter au fil des jours. Si le départ de sept partis de sa majorité n’inverse pas les rapports de force à l’Assemblée nationale, la charge symbolique est forte. D’autant que Moïse Katumbi, gouverneur de la province du Katanga, un des fiefs de Kabila, vient lui aussi de démissionner de son poste et de la majorité présidentielle. Certes les arrière-pensées électorales ne sont pas absentes, mais l’appel à une union nationale qui regrouperait majorité et opposition contre le troisième mandat de Kabila pourrait être entendu. D’autant que les voix les plus virulentes de l’opposition comme celle de Jean-Claude Muyambo ou de Vital Kamerhe, dirigeant de l’UNC, viennent de la majorité.
La désunion de l’opposition, son absence d’alternative et de politique de rechange semble être le seul atout de Kabila. L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) qui est un des plus anciens partis de l’opposition, déjà actif à l’époque de Mobutu, est entrée en crise. L’inamovible Étienne Tshisekedi, qui est à sa tête depuis des décennies, est désormais incapable de diriger cette organisation vu son état de santé. Les errements de la direction dans laquelle son fils semble jouer un rôle important et les luttes incessantes pour la succession affaiblissent sa crédibilité.
Un espace démocratique qui se rétrécit
Sur la défensive, le gouvernement Kabila semble s’enfermer dans un bunker et dérive de plus en plus vers l’autoritarisme. Les droits humains sont sans cesse bafoués, comme en témoigne la répression qui s’abat sur les jeunes Frédéric Bauma et Yves Makwambala des organisations citoyennes Filimbi et Lucha qui se battent pour la démocratie dans leur pays, à l’image de l’organisation sénégalaise Y en a marre ou du balai-citoyen au Burkina Faso. Ils continuent à croupir en prison sous les accusations grotesques de haute trahison.
L’agence nationale de renseignement (ANR), véritable police politique du pouvoir, traque, emprisonne, torture et assassine les militants de l’opposition. L’exemple de la détention au secret du militant des droits de l’homme, Christopher Ngoy Mutamba, accusé d’être responsable des violences lors des manifestations du 21 janvier à Kinshasa montre la volonté du gouvernement de museler toutes voix discordantes pour assurer sa survie. L’espace démocratique se rétrécit aussi au niveau social et culturel avec la récente mesure d’interdiction du film l’Homme qui répare les femmes. La colère d’Hippocrate consacré au combat du Dr Mukwege en faveur des femmes victimes des violences sexuelles. Une censure qui s’explique sûrement par les piètres résultats de ce gouvernement concernant la lutte des milices qui sévissent notamment dans l’Est du pays.
L’éradication des milices n’est pas qu’une question militaire
Si la mise hors d’état de nuire du groupe armé M23, soutenu officieusement par les autorités rwandaises, par l’action conjuguée des forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et de la brigade d’intervention de la Monusco est une bonne chose, d’autres milices continuent à sévir. La plus ancienne, les Forces démocratiques de libération du Rwanda, est à l’origine formée par les extrémistes hutu, responsables du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 réfugiés en RDC après l’arrivée du FPR, grâce à l’opération Turquoise menée par l’armée française.
Quant aux FDLR, pourtant coupables de multiples exactions relevant de la Cour Pénale Internationale, elles continuent à bénéficier d’une complicité sur le terrain avec l’armée qui se traduit par la fourniture d’armes, de munitions, de nourriture et d’une grande mansuétude au plus haut niveau de l’État
Les FDLR n’ont pas le monopole des pillages, des viols et de l’enrôlement de force d’enfants soldats. Des groupes comme l’ADF-Nalu d’origine ougandaise ou les différentes milices maï-maï ont les mêmes pratiques. La plupart exploitent les mines de coltan ou d’or en recourant au travail forcé, font le commerce de bois ou de charbon de bois et rackettent les populations sur les axes routiers.
Leur éradication n’est pas qu’une question militaire, elle est aussi politique ce qui implique de rompre tout arrangement avec ces milices quelles qu’elles soient, et de sanctionner les exactions contre les populations civiles y compris quand leurs auteurs sont des soldats ou des officiers des FARDC.
Les mobilisations pour une véritable démocratie, le respect de la Constitution, l’alternance politique et des élections libres et démocratiques s’inscrivent dans une mobilisation plus large au niveau du continent. Les potentats peuvent réprimer, calomnier les activistes qui portent ce combat, ils ne pourront pas arrêter cette lame de fond.
Publié dans le n°30 d’Afriques en lutte.
Source : Ensemble