Coup sur coup, Elio Di Rupo sur RTL et Laurette Onkelinx sur la RTBF ont fait savoir que le PS placerait sa rentrée politique sous le signe de la réduction du temps de travail. Le premier étant Président du parti, la seconde cheffe de groupe à la Chambre, il est évident qu’on est face à une offensive politique concertée.
Courir derrière le PTB
Le but de cette offensive est clair comme de l’eau de roche : le PS veut enrayer sa perte de voix au profit du PTB. Les sondages montrent à la social-démocratie qu’il ne suffit plus, pour regagner des voix, d’être dans « l’opposition » fédérale lorsque la droite attaque à la tronçonneuse les conquêtes sociales que les coalitions avec la social-démocratie attaquaient à la hache. C’est pourquoi le PS veut donner l’impression qu’il défend des propositions offensives qui sortent du cadre néolibéral et ouvrent la voie au changement de cap souhaité dans les organisations syndicales.
La réduction du temps de travail correspond assez bien à ce cahier des charges. 1°) C’est une revendication emblématique de la gauche ; 2°) les syndicats la défendent mais elle est quasiment bloquée depuis un demi-siècle ; 3°) les autres stratégies de « lutte contre le chômage » ont échoué ; 4°) en même temps, la réduction du temps de travail rendrait un peu moins compliquée la vie quotidienne des ménages où les deux conjoints travaillent –surtout s’ils ont des enfants.
Il est pourtant douteux que cette sortie médiatique sur la réduction du temps de travail suffise à rendre des couleurs au PS dans les sondages. Les gens, en effet, ne sont pas dupes. Nombreux sont ceux qui se rappellent que le PS est revenu au pouvoir en 1987 en promettant le « retour du cœur » après cinq années de gouvernements de droite et d’austérité de cheval. Or, au lieu du « retour du cœur » promis, on eut droit au Plan Global, au Pacte des générations, puis finalement au gouvernement Di Rupo – le pire de tous avant celui de Charles Michel.
Temps partiel, flexibilité et âge de la retraite
Entre 1977 et 1982, puis au cours des 25 années écoulées après son retour au gouvernement fédéral, le PS n’a fait que collaborer à l’austérité. En matière de temps de travail, cette collaboration s’est traduite principalement par l’explosion du temps partiel, qui touche en grande majorité les femmes. Si on ne tient pas compte de l’impact du temps partiel sur le nombre d’heures prestées en moyenne, on constate que la tendance historique à la réduction du temps de travail s’est en fait arrêtée net dans les années ’70 et qu’elle ne s’est pas remise en marche depuis.
Non seulement elle ne s’est pas remise en marche, mais en plus elle a commencé à s’inverser, la tendance. Car le capitalisme en crise ne se contente pas du statu quo. Pour restaurer les profits, il veut à la fois augmenter l’intensité du travail et en allonger la durée. Ce deuxième objectif, aujourd’hui, prend surtout la forme de tentatives pour reculer l’âge de la retraite. Or, ces tentatives, la social-démocratie y collabore autant qu’au temps partiel. Les ministres Vandenbroucke et Daerden ont été en pointe, en prétendant que l’allongement de l’espérance de vie rendrait les pensions impayables. L’argument est faux, parce qu’il ne tient pas compte de la hausse de la productivité. N’empêche que le gouvernement Di Rupo l’a mis en pratique en démantelant les dispositifs de fin de carrière.
Pas de RTT généralisée
En dépit de toutes leurs belles phrases ronflantes, Di Rupo et Onkelinx n’ont aucune intention de s’écarter de cette politique néolibérale que le PS mène depuis des décennies. Premièrement, il est frappant que les dirigeants sociaux-démocrates communiquent dans les médias sur la réduction du temps de travail sans rien dire ni de l’allongement du temps de travail que constitue le recul de l’âge de la retraite à 67 ans, ni de la loi Peeters qui permet aux patrons d’allonger ou de raccourcir le temps de travail quand ça leur chante: la moindre des choses de leur part serait d’exiger le retrait de ces mesures injustes, mais ils s’en gardent bien!
Deuxièmement, la manière dont Onkelinx et Di Rupo conçoivent la RTT montre nettement que les dirigeants sociaux-démocrates restent dans les clous de l’austérité. Onkelinx a en effet été très claire : « passer des 38h à 30h sans perte de salaire et avec embauche proportionnelle, ça ne se fera pas. Il faut multiplier les formules et les soutiens dans les secteurs. Les formules seront nécessairement différentes. »
Forcer le vote d’une loi est le seul moyen pour le monde du travail dans son ensemble d’imposer aux capitalistes que les gains de productivité soient transformés en temps libre pour tous, sans perte de salaire et avec embauche proportionnelle. Du coup, il n’y a que par la loi qu’une réduction généralisée du temps de travail (la durée hebdomadaire maximale) peut faire baisser le chômage significativement, et ainsi renforcer l’unité de la classe ouvrière face à la classe capitaliste. Telle est la leçon de l’histoire des luttes de classes. Le PS a le culot de s’en réclamer… tout en disant très clairement qu’il fera le contraire.
Des expériences pour faire la différence
Au lieu d’une réduction généralisée du temps de travail, le PS veut mener des « expériences » telles que la semaine de quatre jours sans perte de salaire qui sera mise en œuvre pour les travailleurs de Bruxelles-Propreté. Une autre « expérience » du même genre est en préparation pour 400 fonctionnaires de la Région wallonne ayant un emploi pénible. La déclaration du ministre wallon Lacroix (PS) est très caractéristique : « A partir de 45 ans, dans ces métiers, il y a de plus en plus d’absence pour raisons de santé. La solution est une réduction du temps de travail non pas idéologique mais rationnelle ».
En utilisant ses positions de pouvoir dans le secteur public, en liant son sigle à des avantages pour les quelques milliers de travailleurs concernés, et en médiatisant ces avantages au maximum, le PS espère surmonter son discrédit, tout en se montrant « plus efficace en pratique » que le PTB.
Et dans le privé ? « Les quatre jours n’y sont pas possibles », dit Onkelinx. Et la cheffe de groupe de déclarer que, dans ce secteur, on pourrait prévoir « des baisses de cotisations patronales ciblées », par exemple pour favoriser « une réduction du temps de travail allant de pair avec un autre type d’organisation du travail », ce qui aurait un effet positif sur « la hausse de la productivité ». En clair : le PS veut offrir au patronat de nouvelles « baisses de charges » (en fait, des baisses du salaire socialisé) pour réduire le temps de travail si ça l’arrange, dans le cadre d’une plus grande flexibilité et d’un allongement du temps d’utilisation des machines.
Maintien des salaires, vraiment ?
Bien que l’intention de récupérer des électeurs partis au PTB soit assez claire, et que la RTT à la sauce PS risque d’augmenter la flexibilité et le fractionnement de la classe ouvrière plutôt que de les réduire, il est néanmoins étonnant que Di Rupo et Onkelinx osent assumer l’exigence d’une diminution du nombre d’heures sans perte de salaire. C’est sans doute le prix à payer pour avoir l’air radical. Mais les patrons ne semblent vraiment pas prêts d’accepter une telle mesure, même en échange de plus de flexibilité et d’une réduction de leurs « charges » sociales. Le PS se risquerait-il à les affronter ? Sûrement pas ! Le cas échéant, il pourra toujours se cacher derrière l’absence de majorité politique, ou renvoyer la balle à la concertation entre les employeurs et les organisations syndicales.
Car il faut encore attirer l’attention sur ce dernier point : dans leurs interviews, les porte-parole du PS ont insisté lourdement sur la nécessité de la concertation autour de la RTT. Quand on se souvient que le gouvernement Di Rupo a fait voter le démantèlement de la fin de carrière à la hussarde, sans la moindre concertation avec les syndicats, on peut seulement conclure que ces gens-là n’ont aucun scrupule à promettre n’importe quoi dans l’espoir de retrouver leur maroquin ministériel. Demain on rase gratis. En attendant, les travailleur-euse-s se font tondre la laine sur le dos…