Le premier ministre grec Alexis Tsipras a annoncé vendredi soir 27 juin l’organisation d’un référendum pour permettre au peuple grec de se prononcer sur le nouveau programme d’austérité – un nouveau mémorandum- exigé par la Troïka (UE, BCE et FMI). Il est extrêmement positif et important que le peuple grec puisse s’exprimer lui-même sur l’acceptation ou non de la politique de démantèlement social dictée par les institutions européennes et le FMI
Dans son discours au peuple grec, Tsipras a mis très fortement en cause les conceptions de l’UE, de la BCE et du FMI. Au point qu’on peut se demander si le gouvernement grec fait une autocritique des illusions qu’il a lui-même entretenues pendant des mois en cherchant à parvenir à une solution négociée avec ces mêmes « institutions ».
De même que la plus grande partie de la gauche radicale grecque et de ses ami-e-s ailleurs dans le monde, nous nous réjouissons pleinement de ce pas posé par le gouvernement grec. La LCR espère par conséquent une victoire du camp du « non ».
La décision d’organiser le référendum intervient après que les propositions du gouvernement grec pour un plan d’austérité alternatif aient été repoussées par les institutions européennes et par le FMI qui les jugeaient insuffisantes.
Au cours des cinq mois écoulés, le gouvernement ANEL-SYRIZA semblait pris dans une spirale de concessions aux exigences de la troïka. Il est passé d’un engagement à rembourser intégralement la dette jusqu’à formuler lui-même un plan d’austérité qui allait loin et comportait de nombreuses mesures antisociales.
La décision est intervenue aussi après qu’il soit apparu clairement ces derniers jours que ce plan d’austérité proposé par le gouvernement grec se heurtait à une résistance croissante de la part des mouvements sociaux dans le pays, mais aussi de la part de la gauche au sein même de Syriza. La probabilité a commencé à poindre que Tsipras ne pourrait pas compter sur une majorité parlementaire pour son plan en s’appuyant sur son propre parti, et qu’il devrait chercher du soutien auprès du PASOK et d’une partie de la droite au sein de l’assemblée.
La décision de tenir un référendum – et l‘appel clair de Syriza à voter “non” – sont donc plus que bienvenus
La campagne pour le « Non » ouvre la possibilité pour les mouvements sociaux, les syndicats et la gauche une chance accrue de peser par l’action sur le débat politique et sur les décisions au niveau national. Il ne faut en effet pas perdre de vue la relative faiblesse des mobilisations sociales au cours des derniers mois, qui a affaibli la position du gouvernement Tsipras, y compris dans sa confrontations avec les créanciers.
Le rejet par référendum du nouveau Mémorandum pourrait ouvrir une nouvelle étape importante dans cette confrontation. Hélas, les événements des derniers mois l’ont montré : même un non massif, triomphant, ne suffira pas pour faire plier la troïka et la détourner de ses exigences d’austérité dure. Un compromis loyal et social avec ces institutions est impossible. Une rupture claire apparait comme la condition nécessaire pour que la Grèce puise mener ne fût-ce qu’un minimum de politique sociale, écologique et démocratique.
Ne fût-ce que pour éviter que le référendum annoncé donne cours à un nouveau bank-run et à la poursuite d’une fuite des capitaux à grande échelle, le gouvernement grec devrait instaurer un contrôle immédiat et approfondi des capitaux et des banques, premier pas vers la nationalisation sans indemnités ni rachat des banques et des compagnies d’assurance. Le mouvement ouvrier, les syndicats en particulier – à commencer par ceux du secteur bancaire- devraient jouer ici un rôle clé.
Pour donner au moins un minimum de marge de manœuvre économique et financière à une politique alternative, le gouvernement grec devrait aussi décider unilatéralement de cesser de payer la dette. Une dette dont la commission mise en place par le parlement a établi le caractère insoutenable, illégal, illégitime et odieux. Le gouvernement Tsipras a tout intérêt à s’appuyer sur les conclusions intermédiaires de cette commission, et il est pleinement légitime qu’il le fasse.
Ailleurs en Europe, la gauche et le mouvement ouvrier doivent élargir la solidarité active avec la lutte du peuple grec. En soutenant clairement le « Non » dans le référendum. En exigeant de leur propre pays l’annulation de la dette grecque (7 milliards pour la Belgique) et ce indépendamment de la position et des possibilités du gouvernement grec. En soutenant la gauche grecque directement, en collaborant avec elle, ses syndicats et organisations sociales. Solidarité donc avec les travailleurs-euse-s, chômeur-euse-s, pensionné-e-s, pauvres, avec les femmes et les jeunes. Un « non » massif du peuple grec renforcerait la résistance sociale non seulement en Grèce même mais partout en Europe. Ce serait partout un encouragement à lutter contre l’austérité.
Le référendum est aussi une occasion de porter la solidarité avec le peuple grec à un plus haut niveau. Car le soutien du mouvement syndical international –en particulier de la CES- est resté jusqu’à présent très au-dessous de ce qui est nécessaire. La solidarité syndicale devrait être beaucoup plus active et décidée. Un premier pas a été franchi en Belgique avec le soutien de la FGTB et de la CNE à la manifestation « Ensemble avec les Grecs ». Continuons dans cette voie, et élargissons-la.
– Stop au chantage et aux diktats de la Troïka – Soutien à la victoire du « Non »
– Solidarité inconditionnelle avec la résistance du peuple grec
– Annulation sans conditions de la dette illégitime (notamment la dette à la Belgique)
– Tous ensemble dans la lutte pour une autre Europe – sociale, écologique, démocratique. Non à l’UE capitaliste et à la BCE. A bas le FMI !
Le discours d’Alexis Tsipras
Grecques et Grecs,
Depuis six mois, le gouvernement hellénique se bat dans des conditions d’asphyxie financière inouïes pour mettre en œuvre le mandat que vous lui avez confié à l’issue des élections du 25 janvier.
Un mandat qui nous enjoint de négocier avec nos partenaires pour mettre fin à l’austérité et faire en sorte que notre pays renoue avec la prospérité et la justice sociale.
Un mandat qui nous enjoint de parvenir à un accord viable, respectueux de la démocratie comme des règles de l’Union européenne, et qui permettra à la Grèce de sortir définitivement de la crise.
Tout au long de cette période de négociations, on nous a demandé d’appliquer les mémorandums qu’avaient signés les gouvernements précédents, mémorandums que le peuple grec a pourtant catégoriquement rejetés lors des dernières élections.
Mais nous n’avons pas un seul instant envisagé de céder.
De trahir – autrement dit – votre confiance.
Après cinq mois de dures négociations, nos partenaires ont malheureusement abouti, lors de l’Eurogroupe d’avant-hier [25 juin], à une proposition en forme d’ultimatum, un ultimatum adressé à la démocratie grecque et au peuple hellénique.
Un ultimatum qui contrevient aux principes fondateurs et aux valeurs fondamentales de l’Europe, de la construction européenne.
La proposition faite au gouvernement fait peser sur le peuple grec de nouvelles charges, intolérables, mine la société, sape tout espoir de reprise économique en perpétuant l’incertitude et en aggravant encore les inégalités.
La proposition des Institutions [UE, BCE, FMI] comprend des mesures conduisant à une dérégulation accrue du marché du travail, à des coupes dans les allocations de retraite, à de nouvelles réductions de salaires dans le secteur public ainsi qu’à une augmentation de la TVA sur les aliments, l’hôtellerie et le tourisme; les Institutions préconisent dans le même temps la suppression des exemptions fiscales pour la Grèce insulaire.
Ces propositions, qui portent directement atteinte aux acquis sociaux européens et aux droits fondamentaux – droit au travail, à l’égalité et à la dignité –, prouvent que certains de nos partenaires, que certaines de ces Institutions ne souhaitent pas parvenir à un accord viable, également profitable à toutes les parties, mais ont pour objectif d’humilier tout un peuple.
Ces propositions démontrent l’insistance mise – en particulier par le Fonds monétaire international – sur une politique d’austérité extrême et punitive.
Les puissances aujourd’hui à la tête de l’Europe doivent dès lors, et plus que jamais, se hisser à la hauteur des circonstances et prendre des initiatives qui mettront fin à la crise de la dette publique grecque, une crise qui affecte d’autres pays européens et menace le futur même de l’intégration européenne.
Grecques et Grecs,
Nous sommes aujourd’hui porteurs d’une responsabilité historique à l’égard des luttes menées et des sacrifices consentis par le peuple grec pour la protection de la démocratie et de notre souveraineté nationale; c’est notre responsabilité envers l’avenir de notre pays.
Cette responsabilité nous oblige à répondre à cet ultimatum en nous appuyant sur la volonté souveraine du peuple grec.
Au Conseil des ministres qui vient de se tenir, j’ai solennellement proposé l’organisation d’un référendum afin que le peuple grec puisse se prononcer souverainement.
Cette proposition a été adoptée à l’unanimité.
Demain [samedi 27 juin], l’Assemblée nationale se réunira en séance plénière extraordinaire afin d’entériner la proposition du Conseil des ministres en vue de la tenue, ce dimanche 5 juillet, d’un référendum à la faveur duquel les citoyens seront appelés à dire s’ils acceptent ou refusent la proposition faite par les Institutions.
J’ai déjà informé de ma décision le président de la République hellénique, mais aussi, par téléphone, le président de la République française, la chancelière de la République d’Allemagne et le président de la Banque centrale européenne; demain, j’adresserai un courrier officiel aux dirigeants de l’Union européenne et aux Institutions pour leur demander de prolonger le programme de quelques jours de sorte que le peuple grec puisse se prononcer librement, hors de toute pression et de tout chantage, conformément à la Constitution de notre pays et à la tradition démocratique européenne.
Grecques, Grecs,
Face à cette mise en demeure dont le but est de nous faire accepter une austérité extrême et humiliante, sans fin, sans perspective de redressement social et économique, je vous invite à vous prononcer souverainement, fièrement, comme l’histoire grecque vous y enjoint.
Répondons à l’autoritarisme et à l’austérité extrême par la démocratie, avec sérénité et détermination.
Que la Grèce, ce lieu qui a vu naître la démocratie, adresse une réponse démocratique retentissante à la communauté européenne, à la communauté internationale.
Je m’engage à respecter le résultat de votre choix démocratique, quel qu’il soit.
Je suis absolument sûr que votre décision fera honneur à l’histoire de notre patrie et sera un message de dignité adressé au monde.
En ces heures cruciales, nous devons tous nous rappeler que l’Europe est la maison commune de ses peuples. Que l’Europe ne se répartit pas entre des «propriétaires» et des «invités».
La Grèce est et demeurera une partie indissociable de l’Europe et l’Europe une partie indissociable de la Grèce.
Mais une Europe sans démocratie sera une Europe sans identité et sans boussole.
Je vous appelle tous et toutes, dans un même élan national, dans l’unité et la sérénité, à prendre les décisions que nous méritons.
Pour nous, pour les générations suivantes, pour l’histoire des Grecs.
Pour la souveraineté et la dignité de notre peuple.
(Traduction française par Dimitris Alexakis, publié sur A l’Encontre)