Aux Rencontres Anticapitalistes de Printemps, le meeting féministe et internationaliste du samedi soir a été un grand moment. Luiza Toscane, militante des droits de l’Homme en Tunisie, dont nous reproduisons ci-dessous l’intervention, a présenté quelques aspects de l’implication des femmes dans les révolutions arabes. Zely Ariane, membre du parti de gauche radicale Politik Rakyat (Politique du Peuple) en Indonésie a expliqué comment le mouvement féministe-socialiste Perempuan Mahardika (Femmes Libres) au sein duquel elle est active lutte contre les violences sexuelles et les discriminations au travail à l’encontre des ouvrières des zones industrielles et des jeunes femmes dans les campagnes. Dans ce pays où les femmes et les minorités religieuses sont victimes de discriminations sévères, l’auto-organisation des femmes à travers ce mouvement est une première du genre qui allie un combat syndical et féministe, pour les droits des travailleuses, des femmes et des lesbiennes. Enith Flores, membre de la section équatorienne de la IVe Internationale, a expliqué la façon dont l’assemblée populaire des femmes a obtenu l’incorporation dans la Constitution de 1998 d’éléments fondamentaux pour les droits des femmes, des jeunes et des LGBT à travers la campagne « Pas une loi de plus sans nous! ». Elle a insisté sur la nécessité de construire un féminisme communautaire, qui mène de front la lutte anticapitaliste, antipatriarcale et anticoloniale, tandis que le gouvernement de Rafael Correa multiplie les attaques contre les droits des femmes, avec la suppression d’institutions officielles de défense des droits des femmes et les retours en arrière sur le droit à l’avortement. Christine Poupin, déléguée syndicale dans le secteur de la chimie et porte-parole du NPA est revenue sur la déferlante réactionnaire qui sévit en France depuis plusieurs mois, contre le mariage homo, le droit à l’avortement ou l’éducation à l’égalité. Elle a insisté sur la nécessité d’une lecture féministe des mesures d’austérité pour en mesurer toute l’ampleur et s’y attaquer efficacement. Evie Embrechts, blogueuse et candidate indépendante appuyée par la LCR-SAP sur les listes PVDA+, ainsi que Pauline Forges, membre de la direction de la LCR-SAP et 8e effective sur les listes PVDA*PTB-GO! pour le Parlement Bruxellois sont revenues sur les raisons de poursuivre la lutte féministe en Belgique. Enfin, Marwa Mahbub, active depuis le début dans la lutte des Afghan.e.s dits « du Béguinage » à Bruxelles, a expliqué les raisons pour lesquelles elle a fui l’Afghanistan avec son mari et ses deux enfants il y a environ trois ans à cause de son activisme pour les droits des femmes. Elle a eu droit à une salve d’applaudissement, à la hauteur de l’enthousiasme qu’elle a soulevé dans la salle. (LCR-web)
Christine Poupin & Enith Flores
Marwa Mahbub, demandeuse d’asile afghane
Aspects de l’implication des femmes dans les révolutions arabes Bien évidemment, les femmes ont été partie prenante des processus révolutionnaires dans la région. Elles ont été grévistes (Egypte, Tunisie, Bahrein), elles ont participé aux assemblées générales (Oman), partout elles ont manifesté, marché, occupé des places et des campements (Bahreïn, Oman, Yémen). Quelque soit la modalité des manifestations, mixtes (Maroc) ou en cortèges séparés (Libye, Oman), les femmes ont pris la rue et continuent de la prendre tous les jours. Et dans certains pays, leurs mobilisations spécifiques ont joué un rôle remarquable (étudiantes d’Arabie Saoudite ou du Soudan) Seuls les processus de militarisation des révolutions (Libye, Syrie) les ont tenues à l’écart. Et encore, des femmes militaires dans l’armée de Kadhafi ont été partie prenante de l’insurrection armée quand l’armée régulière s’est retournée. Dans un premier temps, les femmes ne se sont pas démarquées de l’ensemble du mouvement, exigeant comme les hommes ou toutes les autres minorités, la « chute » ou la « réforme » du régime. Et la répression les a visées : comme leurs pairs masculins, elles ont été arrêtées, torturées et emprisonnées (Syrie, Soudan), ou tuées. Mais elles ont été visées aussi de manière spécifique, avec la perpétration de viols de masse (Libye, Egypte, Syrie), le terme de viol incluant les « tests de virginité ». Au Soudan, des femmes ont été fouettées publiquement car les châtiments corporels sont prévus par la loi, comme la flagellation publique pour « tenue morale ou indécente » et « prostitution », dont les définitions sont si larges que les autorités peuvent les utiliser pour réprimer les femmes. Et des femmes ont déjà disparu de l’histoire, non pas dix ans ou cent ans plus tard, mais en temps réel. Les Syriens rendent hommage chaque jour aux dizaines de « martyrs » qui tombent quotidiennement pour la révolution. L’expression « Gloire aux martyrs » suivie d’un rappel des nom, prénom, date de naissance et de décès voire plus, qui est à juste titre mentionnée dans les organes de communication de la révolution syrienne, est destinée aux seuls hommes, dont les femmes sont exclues, car on ne rend pas hommage à une femme violée. Elle disparaît immédiatement de la mémoire collective. Dans un second temps, les femmes ont exprimé leurs revendications propres, soit à travers des mouvements préexistants (Maroc, Tunisie), soit par la création de nouvelles structures (Yémen, Syrie, Libye), soit par une troisième attitude, relevant de la transgression. Au nombre des mouvements de femmes créés ex nihilo, il faut évidemment citer toutes les structures de femmes mises en place dans les territoires libérés en Syrie leurs journaux, leurs radios, les structures de secours aux blessés et aux déplacés, etc. Même chose en ce qui concerne le mouvement des femmes en Libye qui vient d’obtenir une victoire, historique non seulement pour les Libyennes ou les Arabes, mais pour les femmes du monde entier. En effet, le 19 février 2014, le ministre de la Justice a adopté par décret un projet de loi reconnaissant les victimes de violences sexuelles commises pendant et avant la révolution comme victimes de guerre. ; cette victoire n’est pas que symbolique, mais accompagnée de dédommagements et d’un programme de réinsertion sociale pour les milliers de femmes concernées, ou des enfants nés de ces viols. Une mesure que bien des femmes violées dans des zones de conflits de par le monde attendent toujours… en Bosnie, au Congo, au Darfour, pour ne citer qu’elles. Anciens ou nouveaux mouvements de femmes, reste une troisième attitude certes très minoritaire, mais apparues dans la foulée de ces révolutions : au lieu de revendiquer des droits on les exerce ! Ce fut le cas pour le « baiser de Nadhor » (Maroc) quand suite à l’arrestation et à l’emprisonnement d’un couple d’adolescents s’étant embrassé en public, des jeunes filles et jeunes gens ont décidé de s’embrasser en public dans la rue. Lors de l’enterrement de Choukri Belaïd en Tunisie, Basma, sa veuve, lance un appel aux femmes et les invite à participer à l’enterrement alors que ce jour est en principe réservé aux hommes. Les femmes répondent massivement et se rendent au cimetière. En Syrie, des femmes de Salamiyé (Syrie) déclarent sur les réseaux sociaux que dorénavant elles enterrent les morts. Une femme enlève le haut en public (Tunisie) et une seconde le bas (Egypte). Au Soudan, des femmes défient le pouvoir et défilent tête nue. Et en Arabie Saoudite, les femmes prennent le volant à intervalles réguliers et commencent à remporter de petites victoires. Reste à savoir si ces attitudes relèvent d’un moment d’euphorie révolutionnaire, d’une contingence passagère, ou d’une tendance lourde. On imagine mal cependant, les Saoudiennes lâcher le volant. A nous de ne pas les lâcher, les femmes.