Depuis son investiture au mois de février dernier, le gouvernement de Matteo Renzi à Rome a relancé le débat sur la question de l’austérité en Europe. En France, après la grande défaite du Parti socialiste et du gouvernement aux élections municipales fin mars suivie par la nomination de Manuel Valls, François Hollande lui a emboîté le pas. Les deux gouvernements déclarent vouloir ralentir le rythme de la résorption de leurs déficits budgétaires et défier la Commission Européenne chargée d’appliquer la discipline fiscale inscrite dans les traités.
La principale raison qui explique ce changement de posture est l’évolution du contexte économique et politique en Europe. Depuis l’été dernier, les différents indicateurs montrent que l’activité au sein de la zone euro est en train de repartir, même si à un rythme très lent. C’est vrai aussi pour les pays du sud de l’Europe les plus touchés par la crise des dettes souveraines de ces quatre dernières années. La Grèce, notamment, prévoit de renouer pour la première fois en cinq ans avec un taux de croissance du PIB positif l’année prochaine. Même si le chômage est loin d’avoir commencé à décroître, l’effet d’annonce n’est pas anodin.
Les investisseurs financiers sont de retour en Europe du sud. Leur fuite à partir de 2010, notamment en 2012, avait déclenché la violente spéculation financière sur la dette publique de ces pays. Les plans d’ajustement brutaux qu’a connu l’Europe du sud au cours de ces dernières années, le retour d’une timide croissance et la déclaration de la BCE en septembre 2012 de vouloir tout faire pour sauver l’euro, ont réussi à rassurer les investisseurs. L’Italie, par exemple, a enregistré au mois d’avril les taux d’intérêts sur sa dette publique les plus bas de son histoire. En janvier dernier, l’Irlande est devenue le premier des trois pays sous assistance européenne à revenir sur les marchés, et deux mois plus tard le Portugal lui a emboîté le pas. Mais surtout, en avril, la Grèce a réussi à placer de la dette publique à des taux inférieurs à ce qu’ils étaient en janvier 2010, au moment du déclenchement de la crise des dettes souveraines. En d’autres termes, cette crise est bel et bien terminée, créant des marges de manœuvre politique supplémentaires pour les gouvernements du sud de l’Europe.
Les élections européennes approchent et les partis eurosceptiques de droite sont portés par une petite dynamique. Taper sur la Commission Européenne en dénonçant l’austérité est certainement une stratégie porteuse pour les partis au pouvoir dans les pays du sud de l’Europe. De ce point de vue, Matteo Renzi et François Hollande se situent dans la continuité des campagnes électorales de 2013 (Italie) et de 2012 (France). Et le Parti socialiste européen, dont le chef de file Martin Schulz ambitionne de prendre la tête de la Commission Européenne en juin prochain en utilisant le droit de véto dont dispose le parlement européen sur la désignation du président de celle-ci, a fait de la dénonciation de l’austérité son cheval de bataille principal pour cette campagne électorale.
Quelle est la réalité concrète des politiques menées ?
Les slogans de campagne sont une chose, la réalité des politiques en est une autre. Quel est le lien entre ce que les gouvernements italien et français prêchent et ce qu’ils pratiquent ? Dans les deux cas, il s’agit d’un mélange de politiques de réduction des dépenses publiques et de baisses des impôts (d’austérité et de « relance ») dont le principal objectif est de constituer une coalition permettant de faire passer les mesures de résorption des déficits budgétaires.
C’est le gouvernement Renzi qui a montré la voie ici. Peu après sa prise de fonction, le nouveau premier ministre italien a annoncé l’accélération du paiement des arriérés de l’État italien aux entreprises, et des baisses d’impôts pour les salaires les plus bas. La CGIL – le principal syndicat italien et soutien de l’aile gauche du parti démocrate que Renzi avait besoin de rassurer – a applaudi cette dernière mesure, alors que la Confindustria – l’organisation patronale – l’a critiquée. Mais ce n’est pas pour autant que le cours des politiques d’austérité mise en œuvre depuis 2012 en Italie s’est inversé. La poursuite des réductions des dépenses publiques est prévue. Et le gouvernement Renzi va aussi accélérer les privatisations et les cessions d’actifs immobiliers, sachant que l’Etat italien est un très gros propriétaire.
François Hollande cherche à lui emboîter le pas, mais la situation française est plus compliquée parce que le manque de compétitivité des entreprises françaises impose au gouvernement des mesures pour baisser les salaires – ce qui, faute de pouvoir baisser les salaires perçus individuellement, se traduit par une baisse du salaire socialisé (baisse des cotisations sociales et par conséquent également des prestations). Au lendemain du deuxième tour des municipales, le gouvernement a annoncé une baisse d’impôts pour les plus bas salaires – façon de compenser l’effet politique de l’annonce de la baisse des cotisations sociales pour les entreprises. Et ses ministres sont partis en campagne pour expliquer que la Commission devait accorder à la France un délai supplémentaire pour qu’elle ramène son déficit budgétaire en dessous des 3 % du PIB. En d’autres termes, le gouvernement français ne veut pas compenser les nouvelles baisses d’impôts pour les bas salaires par des réductions supplémentaires des dépenses publiques. Mais Hollande a renoncé, au contraire de Renzi la semaine dernière, à demander un tel délai à la Commission.
Ce match commence maintenant, et Renzi et Hollande misent probablement sur une victoire du PSE et de Schulz en mai prochain pour que la Commission accepte de leur accorder des délais. Ils misent aussi sur une croissance plus rapide que prévue. Le fond des politiques menées est l’ajustement budgétaire et, en France encore davantage, la modération salariale pour restaurer les marges des entreprises.
Source : solidarités